Homo abilis

Publié le 27 mai 2013 par Rolandbosquet

   Les caprices du ciel commencent vraiment à devenir exaspérants. Ainsi les nuages y sont si bien installés que, la nuit, on ne peut même plus observer la lune. Impossible donc de lire ses prescriptions de jardinage. Je décide en conséquence d’utiliser la totalité de mes droits au libre-arbitre : je vais libérer mes dahlias de leur protection hivernale. La timidité des températures ne les a guère jusqu’ici incités à pousser. Il n’est donc pas trop tard. D’autant qu’il me faut, cette année, les déchausser et en diviser les tubercules. La bêche pénètre sans effort dans une terre meuble et humide. Je pourrais presque la travailler à mains nues. Mais c’est tout de même plus facile avec mon outil. Le premier australopithèque à en utiliser un partagea-t-il cet avis ? Souvenons-nous. La saison des pluies, déjà, avait traîné en longueur.Garhi était parti à la chasse dès l’aube avec deux ou trois autres mâles du clan. Vers le milieu de la matinée, Lucy, sa compagne, s’était réveillée d’une nuit trop courte. Le petit, dans son ventre, prenait décidément de plus en plus de place. Elle était descendue de l’arbre où ils s’étaient réfugiés pour dormir et avait exploré la cache où ils conservaient leurs maigres provisions. Las, elle était vide. Plus de jujube, de tamarin ou de simple datte. Pas même le moindre reste du calao attrapé deux jours plus tôt. Elle avait faim. Elle jeta un regard encore à demi ensommeillé sur la savane qui l’entourait. A quelques pas, elle remarqua un petit singe qui sondait d’un doigt fébrile un trou creusé sous une pierre plate et en extrayait un insecte qu’il portait aussitôt à la bouche. Elle se précipita. L’animal s’enfuit en jetant des petits cris aigus. Elle plongea la main à son tour. Aie ! Elle la ressortit et observa, dépitée, l’ongle cassé de son index. Pourtant, elle avait faim. Elle s’empara sans plus réfléchir d’un bout de branche qui traînait à côté d’elle et se mit à creuser. Un magnifique tubercule jaillit bientôt. Elle le renifla longuement et s’enhardit à en croquer une petite bouchée. Ce n’était pas si mauvais, après tout. Filandreux et coriace certes mais quand on a faim, on ne peut pas faire la délicate. Était-ce un oignon, un topinambour, une belle truffe noire à 700 €uros le kilo ? Nul ne le sait. Mais c’est ainsi que, parfois, les plus grandes découvertes sont portées par le hasard. En tout état de cause, le premier homo habilis se révélait être en réalité une femme. D’aucuns, machistes, renâcleront. Qu’ils se souviennent que l’homme la rattrapera bientôt avec toute une boite à outil sous le bras. On voit par là que, d’un siècle à l’autre, un ventre affamé est capable de réaliser de grandes choses.