Il y a des vies qui dévient

Publié le 03 juin 2013 par Sonolor

La venue de Mattt Konture chez moi il y a quelques semaines n'est pas étrangère à la chronique que voici. Mattt a remarqué  le disque posé sur un présentoir du salon et m'a signalé qu'il appréciait beaucoup la musique de ce groupe. Et même si les instruments inventés ne figurent pas dans leur instrumentarium, un groupe aussi inventif et délirant méritait bien une chronique. En parallèle, relisant la comixture "Tombe la veste", je me suis aperçu que Mattt avait aussi expérimenté la lutherie sauvage avec une musique jouée sur piano en plastique et dougoudoucrayon  ! Il faudra que je lui demande des précisions sur ce crayon dougoudou !

Tant de concours de circonstances et de coincidences m'ont enfin décidé à écrire. Déjà pas mal de temps que la superbe pochette dessinée par Jean-Pierre Nadau me narguait. Le travail de Jean-Pierre Nadau ne m'était pas inconnu,. Je l'avais d'abord découvert comme journaliste au sein de l'excellente et défunte revue Notes pour laquelle il avait signé quelques articles. Je me souviens en particulier d'une page très documentée sur Chomo. Ensuite pour "L'Air de Riens", une exposition collective arlésienne organisée par Originart en 2009 dans laquelle il avait présenté plusieurs dessins à l'encre de Chine noire de très grands formats. Manque de temps, paresse, j'ai sans cesse reculé le moment d'extraire la galette de vinyl de son emballage papier avant de la poser avec précaution sur ma modeste platine qui fait tout mais pas très bien (vinyls, cds, K7, clé usb et même radio).

Mais d'abord Toupidek Limonade kezaco ? Né en 1985, Toupidek Limonade est un trio composé de Jean Caël, basse, guitare, claviers, voix, Kwettap Ieuw, voix, percussions, et Denis Tagu, claviers, accordéon, percussion et voix. Denis Tagu est par ailleurs le fondateur du label rennais InPolySons, spécialisé dans différents courants des musiques inouïes, inentendues et inattendues, comme la toy music, la musique mécanique ou la musique brute (en référence à l'art brut de Jean Dubuffet).

Si le nom fruité du groupe sonne comme celui d'une boisson exotique, en réalité Toupidek est un mot groenlendais se réfèrant aux petites statues sculptées dans des os de baleine qui représentent des monstres de mer aux pouvoirs magiques, et, sous le mot Limonade, point de sens caché mais un simple clin d'oeil à la célèbre boisson pétillante constituée de jus de citron, d'eau et de sucre. Dans certains contes esquimaux, le Toupidek est un petit être qui ressemble beaucoup à un lutin et qui vit dans des grottes creusées dans les glaciers du Groenland.

Tout ceci pourrait sembler anecdotique et pourtant, l'univers toupideklimonadien est l'exact reflet des mots et des histoires qui sous-tendent son intitulé. Fortement imprégnés d'humour dadaiste, délire pataphysique, nonsense anglais et calembours oulipiens, les titres sont à eux seuls de délicieux haikus saisis sur le vif du rasoir à mots. D'"Imaginer sa conception" à "Ethers nuitées" en passant par "Hélium d'insouciance", "Profite, rock & roll" et "Or, ni, car", on assiste à un détournement permanent du langage. Et la musique n'est pas en reste qui passe subrepticement d'une ritournelle enfantine absurde et inquiétante à une courte plage instrumentale aussitôt brisée par une rythmique obsédante, aussitôt agonisante. La musique de Toupidek Limonade surprend. Elle se joue des adjectifs comme des étiquettes. Elle est toujours là où on ne l'attend pas. Quelquefois, on aimerait que tel ou tel passage d'un morceau se prolonge mais trop tard, on est déjà emporté ailleurs. La musique de Toupidek Limonade n'est pas logique, elle tourne à l'envers des sillons et voyage au coeur des rêves.

Des rêves qui se prolongent le temps d'un beau disque vinyl comme on en fait encore...quelquefois.

Pour en savoir plus sur Toudidek Limonade, une page (en anglais) sur Progarchives.com : ici.