Job, l’illustrateur de la jeunesse de nos (arrière) grands-parents

Par Artetvia

Après Schubert, sa belle, sérieuse et ingrate Meunière, je vous propose aujourd’hui de partir dans le monde de l’enfance, à la suite d’un des premiers articles de ce site, qui vous avait présenté Pierre Forget, graveur et illustrateur de bandes dessinées, notamment la série Thierry de Royaumont.

Remontons le temps et penchons-nous sur un autre illustrateur de livres de jeunesse, Jacques Onfroy de Bréville (1858-1931), qui signe ses œuvres sous le nom de Job.

Un rêve agité

Très tôt attiré par les arts graphiques, le jeune Jacques se voit refuser l’entrée aux Beaux-Arts… par son père. Il s’engage donc pendant cinq longues années dans l’armée de la république naissante, les affres de la Commune tout juste refroidies. Il en gardera de bons souvenirs et une passion pour les armes, les uniformes et l’histoire militaire. Il entre enfin aux Beaux-Arts et se forme dans les ateliers des peintres Carolus Duran et Evariste-Vital (cela ne s’invente pas !) Luminais. Il collabore ensuite à différents journaux (Le Monde Parisien, La Nouvelle Lune) où il excelle dans la caricature et la satire politique et sociale, à l’image du célèbre Caran d’Ache, celui du dîner en famille parlant de l’affaire Dreyfus. Il croque avec une délectation non dissimulée les travers de la société de la Belle Epoque et développe par ailleurs son goût pour l’histoire en images (l’ancêtre de la bande-dessinée), renouvelant l’imagerie enfantine, jusque là préemptée par les productions d’Epinal.

Job est surtout connu pour l’illustration de livres historiques, une bonne trentaine d’albums, écrits pour nombre d’entre eux par Georges Montorgueil ou, plus rarement, par Abel Hermant ou Jacques Bainville ! Et ce sont de petits chefs-d’oeuvre. Ils racontent aux enfants les grands moments de l’histoire de la Patrie, ou la vie des grands héros français auréolés de gloire, avec un faible marqué pour l’épopée napoléonienne.

Sapeur

Les textes sentent bon leur Troisième République : on y parle d’héroïsme, de devoir, d’honneur, de courage. Les textes et les images sont là pour exalter la gloire et la grandeur de la France, et les faits héroïques, exemples parfaits pour la jeunesse ! Les anecdotes sont nombreuses et savamment illustrées : point besoin d’être un parfait pédagogue agrégé des ex-IUFM pour savoir que c’est par ce biais que nos têtes blondes apprennent leur histoire de France et leurs leçons de choses : Bayard et son pont, Du Guesclin et ses cochons, Roland et son olifant, etc y compris sous l’angle de la légende ou de la caricature : Louis XI, à l’air sinistre, visitant le cardinal de La Balue dans sa fillette – qu’il ne rejoignait en fait que la nuit – dans un noir cachot, mais en robe rouge de soie moirée immaculée, le même Louis XI se promenant dans son jardin du Plessis où abondent les pendus…

Le dessin est souple, précis. Observez le détail des uniformes et leur réalisme : les soldats sont pieds-nus, portent les cheveux longs et la boucle d’oreille, les uniformes sont rigoureusement exacts. Les visages sont parfois caricaturaux : les héros sont beaux ou terribles, les méchants sont laids.

Charge de Murat à Eylau

Job est un dessinateur de l’action et de la virtù, beaucoup moins de la contemplation. Les paysages, les bâtiments, la courbe des rivières ou l’harmonie du chatoiement des couleurs du ciel l’intéressent moins que la rudesse du grognard, la souffrance de la cantinière dans les plaines russes ou la satisfaction de la Grande Mademoiselle donnant l’ordre de faire tirer les canons de la Bastille sur les troupes royales. Le sommet étant atteint avec le personnage de Napoléon, stoïque dans les efforts, généreux avec les affligés, sans pitié pour les traîtres et les lâches et enfin nostalgique de sa gloire passée, sur son rocher de Sainte-Hélène.

Bonaparte

On tombe parfois même dans le rocambolesque ou le loufoque : dans l’album consacré à Henri IV, l’écartèlement de Ravaillac est rendu de manière assez sanguinolente ; petit, j’ai également été marqué par cette image du siège de Paris où l’on voit une élégante dame, les yeux rougis de larmes qui vient de manger son enfant, la table portant encore… le pot de moutarde ! Job était connu pour son humour malicieux…

Henri IV (et sa poule)

Tout cela donne des albums où règnent à la fois la fraîcheur, la gravité légère et les sentiments « élevés », le rêve et l’humour ; et surtout l’impression de vivre l’Histoire.

Nos grands-parents avaient bien de la chance, car c’est tout simplement somptueux !

Où trouver des albums illustrés par Job ? Je dirais qu’il faut commencer par fouiller les greniers familiaux. Ces histoires ont été largement diffusées, il doit bien en rester quelques-unes dans les malles aux souvenirs des maisons de famille. Ensuite, chez les bouquinistes et en salle de ventes, à des prix très très variés. Sinon, rabattez-vous sur les rares monographies qui lui ont été consacrées, en particulier le magnifique ouvrage de François Robichon, Job ou l’histoire illustrée.

Je tiens enfin à remercier Monsieur mon Père qui, dès l’enfance, m’a permis de découvrir cet artiste