Jean-Baptiste Champion, marchand d’art, spécialisé dans le militaria

Par Artetvia

Bonjour Jean-Baptiste, question rituelle comment es-tu devenu marchand d’art ?

Après le baccalauréat, j’ai commencé une fac de droit, sans grand enthousiasme d’ailleurs, que j’ai quittée rapidement. Je me suis alors demandé ce que j’aimais. La réponse était évidente : l’histoire de France et l’art en général. J’ai donc suivi des études d’histoire de l’art à Aix-en-Provence et écrit un mémoire de maîtrise sur l’église du Saint-Esprit de cette même ville. De retour à Paris, j’ai décidé de faire un troisième cycle à l’Institut d’Etudes Supérieures d’Art (I.E.S.A.), école qui ouvre sur l’ensemble des métiers du marché de l’art (commissaire-priseur, expert, marchand…). A la sortie de cette école, j’ai trouvé très rapidement un poste au Louvre des antiquaires, chez un marchand spécialisé dans le militaria et les souvenirs historiques ; ces deux termes regroupent l’ensemble des objets liés à l’histoire militaire (uniformes, armes, médailles, équipement, documents, etc.), ainsi que ceux qui sont liés de près ou de loin à un personnage historique. Au bout de cinq ans, j’ai décidé de créer ma propre entreprise. Me voilà donc à mon compte depuis une bonne année ; on peut dire que je suis « marchand et expert en objets d’art et souvenirs historiques ».

Concrètement, quelle est ton activité ?

L’île de France (île Maurice) – Gravure 1763

Pour dire les choses simplement, je suis marchand et courtier : je peux acheter des pièces pour les valoriser par la recherche, puis les revendre ensuite, ou encore n’être que l’intermédiaire entre un vendeur et un acheteur. Tout marchand est aussi un peu courtier dès lors qu’il répond à une demande bien précise. Je me fournis en salle de ventes, auprès de confrères ou chez des particuliers qui souhaitent se séparer de tel ou tel bien. Le relationnel est essentiel ! Et la confiance aussi. J’ai pu tisser un réseau de contacts en qui j’ai confiance (ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas dans la profession) et chez qui j’achète des pièces pour répondre à la demande de mes clients. L’objectif est bien d’avoir la bonne pièce pour le bon client. La partie du travail la plus difficile étant, comme dans n’importe quelle entreprise, d’atteindre de nouveaux clients.

Quels types de pièces vends-tu ?

Principalement des objets, militaires ou non, liés de près ou de loin à l’histoire de France. Je n’ai pas de limites historiques : bien entendu, il reste peu d’objets antérieurs à la Renaissance. Quant au XXème siècle, il faut faire attention à ne pas devenir un surplus militaire ! J’avoue que les XVIIème et XVIIIème siècles me passionnent le plus. Je fais un peu de XIXème aussi. En quittant le Louvre des Antiquaires, j’étais vraiment spécialisé dans les ordres de chevalerie et les médailles militaires. Je n’ai jamais été un fanatique d’armes en général, surtout les armes à feu qui me parlent peu : il n’y a pas de raison esthétique ou autre, c’est juste une question de goût. Même si elle est magnifiquement travaillée, l’arme à feu me laisse froid en général.

-Médaille de la Fidélité (1815), décernée par Louis XVIII à ceux qui se sont battus pour le retour de la Monarchie.
-Médaille de Sainte-Hélène (1857), décernée par Napoléon III à tous les vétérans ayant participé aux campagnes de la Révolution et du Ier Empire.
-Etoile d’officier de la Légion d’Honneur de la IIIème république (1870).

Outre le militaria, tu as aussi lancé un site internet de ventes d’images ?

Oui, c’est un projet qui me tient à cœur et qui n’est pas vraiment lié à ma spécialité Militaria. J’ai appelé ce projet « Belle France » et ai créé un site http://www.bellefrance.fr où je propose des images de la France d’autrefois, couvrant la période du XVIIème au XIXème siècle, sous des formes variées : gravures, peintures, aquarelles, sanguines, etc. En revanche, tu n’y trouveras pas de cartes postales « pittoresques » en noir & blanc ou en sépia que l’on trouve dans tous les vide-greniers, même si je n’ai aucun mépris pour la carte postale ! Chaque pièce est répertoriée, décrite précisément, datée… L’autre intérêt de ce site est que les pièces proposées sont financièrement abordables pour la plupart d’entre elles et peuvent constituer un cadeau de qualité pour une occasion particulière.

Ce qui me passionne dans mon métier, c’est de pouvoir être en contact avec les objets et leur histoire. Et sur ce sujet, il n’y a pas de « petite » pièce : chaque objet à son histoire propre. En plus, il y a encore quelques années, tous les objets, même les plus utilitaires portaient une dimension esthétique certaine, même les objets qui produisent la mort (armes…). Pour faire une comparaison avec l’architecture, domaine artistique qui me passionne, je suis aussi admiratif de la qualité architecturale des bâtiments  utilitaires de l’ancien temps. Casernes, hôpitaux, écoles, ministères, tout était beau. Promène-toi à Versailles qui conserve encore beaucoup de ces bâtiments, tu pourras constater la beauté des anciens ministères construits par Louis XIV et Louis XV, la qualité de construction des casernes militaires de la Maison du roi ou de l’hôpital Richaud (construit par Louis XVI), la simplicité du jeu de paume (le fameux), qui n’est finalement qu’une salle de sport ! A cette époque, tout le monde rivalise d’imagination pour rendre l’utile beau et agréable.

Siège de Lyon en octobre 1793 – Gravure fin XVIIIème – début XIXème

Quand on est entouré de beaux objets que l’on côtoie tous les jours, il n’y a pas un risque de devenir blasé ?

Je dirais plutôt que le goût s’affine et évolue. En revanche, il faut savoir vendre, même si c’est beau ! C’est toute la différence entre le marchand et le collectionneur.

Et c’est vrai, je peux relativiser la beauté et la rareté : la notion de rareté est importante pour le marchand, beaucoup moins pour l’amateur ou le collectionneur. Le rapport à l’objet est personnel pour le particulier. Il aime par exemple telle commode car elle vient de son grand-père, et a donc quelque chose d’unique à ses yeux. Mais en tant que professionnel, je sais que cette commode est en fait extrêmement courante et n’a qu’une valeur relative. L’autre difficulté est que ma vie privée et ma vie professionnelle sont assez mêlées puisque j’achète des pièces qui me plaisent, mais que je vais devoir revendre, et pas seulement parce que j’ai besoin d’argent. Mon niveau d’exigence est plus élevé : désormais, pour les objets que je souhaite garder, je recherche l’exceptionnel. Mais qu’est-ce que l’exceptionnel ? Question sans fin… C’est vrai, cela relativise beaucoup de choses du domaine de l’art, mais en même temps cela m’oblige à me recentrer sur ce qui est essentiel, dans l’art mais aussi dans la vie en général.

Et pour les années à venir, des projets ?

Mes projets professionnels sont simples mais pas forcément faciles à réaliser. Développer Belle France, donner à ce projet une dimension beaucoup plus importante qu’aujourd’hui. J’aimerais devenir la référence en ce qui concerne la documentation visuelle sur la France d’autrefois. Mais c’est compliqué car si tu vas sur mon site, tu verras que cela recouvre des domaines extrêmement larges : cartes, plans, vues d’optiques, portraits de grands hommes, scènes de l’histoire de France, militaires ou non, d’ailleurs… C’est déjà trop large et il ne s’agit pourtant que d’art graphique. Or, en dehors du site, je propose aussi des objets de toutes sortes liés aussi à l’histoire. Donc c’est assez compliqué. Dans ce métier, un jour ou l’autre, il faut savoir se spécialiser. Certains vivent avec de toutes petites spécialités.

Mon aspiration profonde est de toute façon déjà satisfaite dans ce sens où ce métier me permet de contenter ma curiosité personnelle. Et c’est ici que se rejoignent ma formation universitaire du départ et mon expérience dans le marché de l’art. Mettre en lien la connaissance théorique du passé avec des objets témoins provenant directement de telle ou telle époque. On ne dira jamais assez à quel point il est important d’avoir un lien physique avec l’histoire lorsqu’on se targue d’avoir des connaissances dans ce domaine. D’une part, un pur universitaire peut être amené à transmettre des idées erronées sur une époque, simplement car ses connaissances se limitent à une culture livresque. D’autre part, il n’est pas rare de trouver des marchands d’art qui, faute d’études ou de culture personnelle, peuvent vendre un objet sans même savoir ce qu’il représente. Pour conclure, je dirais que j’ai la chance d’évoluer professionnellement dans un domaine qui me passionne. C’est un métier bien souvent difficile mais qui peut apporter de grandes satisfactions.

Merci Jean-Baptiste !

Pour en savoir plus, n’hésitez-pas à consulter http://www.bellefrance.fr.