"Cellulairement" suivi de "Mes prisons" de Paul Verlaine

Publié le 19 juin 2013 par Francisrichard @francisrichard

Au Musée des lettres et manuscrits, à Paris, du 8 février au 5 mai de cette année, une exposition a été consacrée à Verlaine emprisonné, plus précisément au recueil de poèmes Cellulairement, de Paul Verlaine.

Si, comme moi, vous n'avez pas eu l'opportunité de visiter cette exposition, une autre chance vous est donnée de prendre connaissance du manuscrit de ce recueil. En effet, ce printemps, dans sa célèbre collection de Poésie, Gallimard en a reproduit le fac-similé.

Ce manuscrit, par nécessité, a vraisemblablement été vendu en 1890 par le poète lui-même, qui avait renoncé à publier sous ce titre les 20 poèmes qui le composent.

Après avoir passé dans plusieurs mains, il est réapparu à Paris le 15 décembre 2004, lors d'une vente aux enchères de Sothebys, au cours de laquelle l'Etat français s'en est porté acquéreur.

L'écriture de ce manuscrit, qui comporte 70 feuillets, est belle, calligraphiée, penchée à droite. Quelques mots seulement sont biffés ou surchargés. La numérotation passe de 31 à 35, sans explication, et de 42 à 45, avec l'annotation que le feuillet 45 est la suite du feuillet 42. Les dates indiquées ne sont pas obligatoirement celles de la composition.

Gallimard a fait le choix de reproduire Cellulairement tel quel. Il faut reconnaître qu'il y a une certaine cohérence à ce choix, qui a correspondu, à un moment donné, à celui de l'auteur. On ne sait pas vraiment pourquoi il y a renoncé.

Toujours est-il que les poèmes de ce recueil démembré se retrouvent dans d'autres recueils de Paul Verlaine: Sagesse (1881), Jadis et naguère (1884), Parallèlement (1889), Invectives (1896).

Si le recueil porte le titre Cellulairement, c'est que les poèmes ont vraisemblablement été tous écrits en prison, aux Petits-Carmes de Bruxelles, puis à La Maison de Sûreté de Mons. L'ordre, dans lequel Verlaine, les a rangés, n'est pas chronologique avec certitude. Il serait plutôt thématique.

Dans Mes prisons, il explique pourquoi il s'est retrouvé derrière les barreaux:

"En juillet 1873, à Bruxelles, par suite d'une dispute dans la rue, consécutive à deux coups de revolver dont le premier avait blessé sans gravité l'un des interlocuteurs et sur lesquels ceux-ci, deux amis, avaient passé outre, en vertu d'un pardon demandé et accordé dès la chose faite, - celui qui avait eu le si regrettable geste, d'ailleurs dans l'absinthe auparavant et depuis, eut un mot tellement énergique et fouilla dans la poche droite de son veston où l'arme encore chargée de quatre balles et dégagée du cran d'arrêt, se trouvait, par malchance, - ce d'une tellement significative façon - que l'autre, pris de peur, s'enfuit à toutes jambes par la vaste chaussée [...], poursuivi par le furieux."

Cela n'aurait pas eu de conséquences si un sergent de ville ne s'était trouvé là... Le furieux était Paul Verlaine et le blessé Arthur Rimbaud... Le premier fut condamné, "pour blessures graves ayant entraîné une incapacité de travail personnel", à deux ans de prison, confirmés en appel, bien que le second ait retiré sa plainte. Leurs amitiés particulières et le passé communard du premier n'inclinèrent pas les juges à l'indulgence...

Les premiers poèmes du recueil évoquent donc la vie en prison comme ces vers d'Autre:

La cour se fleurit de souci

Comme le front

De tous ceux-ci

Qui vont en rond

D'autres poèmes évoquent la vie d'avant la prison, tel l'Almanach pour l'année passée.

Les dix Vieux coppées, dizains à la manière de François Coppée, en alexandrins, suivent.

L'Art poëtique , constitué de vers de neuf syllabes, en nombre impair donc, fait apparaître la direction arythmique que l'art de Paul Verlaine prend désormais:

De la musique avant toute chose !

Et pour cela préfère l'Impair

Plus vague et plus soluble dans l'air,

Sans rien en lui qui pèse et qui pose.

Le premier des cinq poèmes sataniques, Crimen Amoris, est ainsi composé de vers de onze syllabes, des hendécasyllabes:

Et c'est la nuit. la nuit bleue aux mille étoiles.

Une campagne évangélique s'étend,

Sévère et douce, et vagues comme des voiles

Les branches d'arbre ont l'air d'ailes s'agitant.

Trois autres d'entre eux comportent également des vers en nombre impair de syllabes.

Avec le Final, qui termine le recueil et qui est constitué de huit sonnets mystiques, Verlaine revient toutefois aux vers de douze syllabes. Il commence par ces deux fameux quatrains, par lequel il proclame sa "conversion" et retourne en fait à la religion catholique de son enfance:

Jésus m'a dit: Mon fils, il faut M'aimer. Tu vois

Mon flanc percé, Mon coeur qui rayonne et qui saigne

Et Mes pieds offensés que Madeleine baigne

De larmes, et Mes bras, douloureux sous le poids

De tes péchés, et Mes mains! Et tu vois la croix,

Tu vois les clous, le fiel, l'éponge, et tout t'enseigne

A n'aimer, en ce monde amer où la Chair règne,

Que Ma chair et Mon sang, Ma parole et Ma voix.

Dans Sagesse "Jésus m'a dit" sera remplacé par "Mon Dieu m'a dit", ajoutant une consonance...

Dans Mes prisons, il se pose la question sans réponse de l'appel de la Grâce:

"Jésus, comme vous vous y prîtes-vous pour me prendre?"

Pour ceux qui aiment Verlaine, ce recueil, tel qu'il est constitué, est un vrai bijou de poésie. Qui montre, sans qu'il n'y ait de corrélation entre elles, l'évolution de son art et celle de son âme.

Pour ceux qui veulent en apprendre davantage, l'ouvrage, qui est une savante édition de Pierre Brunel comprend une introduction, le fac-similé du recueil, le recueil lui-même, des notices sur chacun des 20 poèmes, le texte intitulé Mes prisons (précédé d'une introduction) et tout un dossier (éléments biographiques, histoire du recueil, établissement du texte et principes de l'édition, les recueils dans lesquels réapparaissent les poèmes dispersés et, enfin, des éléments de bibliographie).

Pour ceux qui possèdent les Oeuvres poétiques complètes de Verlaine dans La Pléiade, il s'agit d'un complément très intéressant, qui doit figurer dans leur bibliothèque.

Francis Richard

Cellulairement suivi de Mes prisons, Paul Verlaine, 392 pages, Poésie/Gallimard