Les paysans du Mali dans l'insécurité

Publié le 30 mars 2012 par Bernard Taillefer
Le Mali fait parler de lui, ou plutôt ses militaires. Pendant que ces hommes jouent à la guerre et remettent l'instabilité et l'insécurité à l'ordre du jour, qu'en est-il de la situation des paysans, population  majoritaire ?
Afrique Verte (http://www.afriqueverte.org/), une ONG active sur le plan de la commercialisation des céréales dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, décrivait la situation alimentaire du Mali à début mars 2012 : "La situation alimentaire est perturbée suite aux conséquences du conflit armé au nord Mali (exode des populations à l’intérieur du Mali et dans certains pays voisins). Les niveaux de prix sont assez élevés et les disponibilités céréalières sont moyennes à mauvaises sur les marchés en raison de des résultats moyens de la campagne agricole et de la dégradation continue de la situation sécuritaire, peu propice à la fructification des échanges et de ses impacts sur les conditions humanitaires. La situation des populations civiles au Nord-Mali devient très préoccupante. Selon des chiffres provisoires (OCHA, mars 2012), plus de 170.000 personnes seraient déplacées : 82.000 vers le Mali sud, 35.000 personnes se seraient réfugiées côté mauritanien dans la région de Léré, 29.000 au Niger, 22.000 au Burkina et 5.000 auraient rejoint l'Algérie à partir de Kidal fuyant les combats entre le MNLA (groupe rebelle) et l'armée Malienne. Une partie des déplacés se réfugie dans des campements improvisés. Les populations sont confrontées à une double crise : l’insécurité alimentaire qui frappe l’ensemble de la région et les combats fragilisant encore davantage ces régions sahéliennes déjà durement frappées par l’insuffisance des pluies et par des crises alimentaires récurrentes. Ainsi, les humanitaires prévoient déjà de distribuer des vivres à plus de 240.000 personnes, d’acheter du bétail à un prix avantageux pour préserver les moyens d’existence de 120.000 nomades, et d’augmenter la capacité de production de 90.000 agriculteurs en leur distribuant des semences au Mali et au Niger".

Il faut dire que la politique locale n'encourageait pas la sécurité alimentaire comme le montre cette vidéo tournée par l'ONG SOS-FAIM :



SOS Faim vidéo - La sécurité alimentaire au Mali par SosFaim
Comme ailleurs, les autorités ont favorisé l'accaparement des terres par des pays tiers. Au Mali, c'est la Libye qui s'est vue attribuer des milliers d'hectares dans la zone rizicole la plus fertile. Combien de paysans sans terre seront rejetés dans les quartiers insalubres des grandes villes ?
SOS Faim vidéo - L'accaparement des terres au Mali par SosFaim
Heureusement les paysans se sont organisés et sont très actifs pour défendre leurs intérêts au sein de la Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP) . En novembre 2011, ils organisaient, en partenariat avec Via Campesina, le grand réseau paysan international, une conférence internationale sur l'accaparement des terres, phénomène de plus en plus inquiétant à l'échelle de tous les pays du Sud.  Nous publions ci-dessous la déclaration de la conférence.

DÉLARATION DE LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE "STOP A L’ACCAPAREMENT DES TERRES

STOP A L’ACCAPAREMENT DE TERRES, MAINTENANT ! Nous, paysannes et paysans, pastoralistes, peuples autochtones ainsi que nos alliés, réunis pour la première fois à Nyéléni du 17 au 19 Novembre 2011, sommes venus des quatre coins du monde pour partager nos expériences et nos luttes contre l’accaparement des terres. Il y a un an, nous avons soutenu l’appel de Kolongo lancé par des organisations paysannes au Mali, qui sont aux avant-postes de la résistance locale contre l’accaparement des terres agricoles et les aliénations de la terre des paysans en Afrique. Nous nous sommes rassemblés à Nyéléni en réponse à l’Appel de Dakar, qui invite les peuples à former une alliance mondiale contre l’accaparement des terres. Car nous sommes déterminés à défendre la souveraineté alimentaire, les biens communs et les droits d’accès des petits producteurs d’aliments aux ressources naturelles. Au Mali, le gouvernement, dans sa politique de promouvoir les investissements privés dans l’Agriculture, à céder près de 800 000 hectares de terres à des investisseurs privés. Ces terres appartiennent à des communautés qui y vivent depuis des générations, voire depuis des siècles, alors que l’Etat malien n’a été créé que dans les années 1960. Cette situation se retrouve dans de nombreux autres pays dans lesquels les droits coutumiers ne sont pas reconnus. Déposséder les communautés de leurs terres est une violation tant de leurs droits coutumiers que de leurs droits historiques. Le fait de pouvoir bénéficier d’un accès sécurisé à la terre et d’avoir le contrôle du foncier et des ressources naturelles sont des droits liés de manière inextricable à ceux consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’Homme ainsi que par de nombreuses autres conventions régionales et internationales sur les droits humains, comme par exemple le droit à l’autodétermination, le droit à un niveau de vie adéquat ou encore le droit au logement, à l’alimentation, à la nourriture, à la santé, à la culture, à la propriété et à la participation. Nous constatons avec une grande inquiétude que les États ne respectent pas leurs obligations à cet égard et considèrent que les intérêts des milieux d’affaires sont plus importants que les droits des peuples. L’accaparement des terres est un phénomène mondial, initié par les élites locales et transnationales, les gouvernements et les multinationales afin de contrôler les ressources les plus précieuses du monde. La crise mondiale dans les domaines de la finance, de l’alimentation et du climat a déclenché une ruée des investisseurs et des gouvernements des pays riches en vue d’acquérir et de s’emparer de terres agricoles et de ressources naturelles, étant donné que ces ressources sont les seules « valeurs refuges » qui peuvent encore garantir la sécurité des rendements financiers. Des fonds de pensions et autres fonds d’investissement sont devenus de puissants acteurs dans l’accaparement des terres, tandis que les guerres continuent à être menées pour le contrôle des richesses naturelles. La Banque mondiale et les banques régionales de développement favorisent encore l’accaparement des terres et la mainmise sur l’eau en poussant à la mise en œuvre de politiques favorables aux milieux d’affaires, facilitant les capitaux et les garanties pour les investisseurs industriels et, d’une manière générale, en faisant la promotion d’un modèle économique de développement prédateur et néfaste. La Banque mondiale, le FIDA, la FAO et la CNUCED ont proposé sept principes qui légitiment l’accaparement des terres agricoles par des investisseurs privés et étatiques. Menée par certaines des plus grandes multinationales au monde, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) a pour objectif de convertir l’agriculture paysanne en une agriculture industrielle et d’intégrer les petits paysans aux chaînes mondiales de valeur, augmentant considérablement leur vulnérabilité face à la perte de leurs terres. L’accaparement des terres dépasse le traditionnel clivage Nord-Sud qui caractérise les structures impérialistes ; les sociétés transnationales accaparatrices peuvent être basées aux Etats-Unis ou en Europe mais aussi au Chili, au Mexique, au Brésil, en Russie, en Inde, en Chine, en Afrique du Sud, en Thaïlande, en Malaisie ou en Corée du Sud, pour n’en citer que quelques unes. C’est une crise qui affecte tout autant les zones rurales que urbaines. Les accaparements de terres se font en Asie, en Afrique, dans les Amériques et même en Europe dans le cadre de projets d’agriculture industrielle, d’exploitation minière, de construction d’infrastructures, de barrages, pour le tourisme, au nom de la création de parcs naturels, pour les besoins de l’industrie, pour permettre l’expansion urbaine ou encore à des fins militaires. Les peuples autochtones et les minorités ethniques sont chassés de leurs territoires par la force armée, augmentant encore leur précarité voire, dans certains cas, les réduisant en esclavage. Les fausses solutions au changement climatique, s’appuyant sur des mécanismes de marché, ne font que renforcer encore l’aliénation des communautés locales de leurs terres et des ressources naturelles. Malgré le fait que les femmes sont les principales productrices d’aliments à travers le monde et qu’elles sont les premières responsables du bien-être de leurs famille et de leurs communautés, les structures patriarcales existantes continuent à spolier les femmes, en les dépossédant des terres qu’elles cultivent et en les privant de leur droit d’accès aux ressources naturelles. Etant donné que la plupart des femmes paysannes ne disposent pas d’un accès pérenne, légalement reconnu, au foncier, elles sont particulièrement vulnérables face aux expulsions et expropriations. La lutte contre l’accaparement des terres est un combat contre le capitalisme, le néolibéralisme et contre un modèle économique prédateur. A travers les témoignages de nos frères et sœurs du Brésil, du Burkina Faso, de Colombie, de la République démocratique du Congo, de France, du Ghana, du Guatemala, de la Guinée Bissau, du Honduras, d’Inde, d’Indonésie, du Mali, de Mauritanie, du Mozambique, du Népal, du Niger, du Sénégal, d’Afrique du Sud, de Thaïlande, d’Ouganda..., nous avons pu prendre conscience à quel point l’accaparement des terres menace la petite paysannerie et l’agriculture familiale ainsi que la nature, l’environnement et la souveraineté alimentaire. L’accaparement des terres déplace et disloque les communautés, détruit les économies locales et les cultures ainsi que le tissu social. Elle met en péril l’identité des communautés, qu’il s’agisse de paysans, de pastoralistes, de pêcheurs, de travailleurs, de peuples autochtones ou de « sans-castes ». Et ceux qui osent se lever pour défendre leurs droits légitimes et la survie de leurs familles et communautés sont frappés, emprisonnés et assassinés. Il n’existe aucun moyen pour atténuer les impacts de ce modèle économique et des structures de pouvoir qui le défendent. Nos terres et nos identités ne sont ni à vendre, ni à louer. Mais nous ne nous déclarons pas vaincus. En nous organisant, en nous mobilisant et en assurant la cohésion de nos communautés, nous avons été en mesure de faire échec à l’accaparement des terres en de nombreux endroits. Par ailleurs, nos sociétés reconnaissent de plus en plus que l’agriculture paysanne et familiale ainsi que la production alimentaire à petite échelle représentent le modèle le plus durable, tant socialement, économiquement et écologiquement, pour l’utilisation des ressources et pour garantir le droit à l’alimentation pour tous. Rappelant les termes de l’Appel de Dakar, nous réitérons notre engagement à résister et lutter contre l’accaparement des terres par tous les moyens possibles, d’apporter notre soutien à tous ceux qui luttent contre ces accaparements et spoliations et de faire pression sur nos gouvernements nationaux ainsi que sur les institutions internationales afin qu’elles s’acquittent de leurs obligations envers les droits des peuples. Nous nous engageons tout particulièrement à : • Organiser les communautés rurales et urbaines afin de lutter contre les accaparements de terres sous toutes leurs formes. • Renforcer les capacités de nos communautés et de nos mouvements à revendiquer, récupérer et défendre nos droits, nos terres et notre accès aux ressources naturelles. • Obtenir et pérenniser, au sein de nos communautés, les droits des femmes pour l’accès à la terre et aux ressources naturelles. • Sensibiliser le public au fait que l’accaparement des terres est une source de crises qui affectent l’ensemble de la société. • Construire des alliances entre les différents secteurs, les groupes de population, et les régions afin de mobiliser nos sociétés en vue de mettre fin à l’accaparement des terres • Renforcer nos mouvements afin de mieux promouvoir et parvenir à la souveraineté alimentaire ainsi qu’à une véritable réforme agraire. Afin d’atteindre les engagements ci-dessus, nous allons développer les actions suivantes : Concernant le renforcement de nos capacités en vue d’organiser la résistance locale • Rendre compte à nos communautés des délibérations et des engagements pris lors de cette conférence. • Mettre en place nos propres bases de données d’informations sur la question de l’accaparement des terres, en documentant des cas, en rassemblant des informations pertinentes et des preuves chiffrées sur les processus, les acteurs et les impacts de l’accaparement des terres, etc. • S’assurer que nos communautés disposent de l’information dont ils ont besoin concernant les lois, leurs droits, les investisseurs, les contrats, etc. afin qu’ils puissent résister de manière efficace aux manœuvres des investisseurs du secteur privé et à celles des gouvernements qui cherchent à s’emparer de nos terres et de nos ressources naturelles. • Mettre en place des systèmes d’alerte précoce afin d’alerter les communautés sur les risques et les menaces. • Renforcer nos communautés à travers des initiatives de formation politique et technique, restaurer notre fierté d’être des paysannes et des paysans, des producteurs et des productrices qui fournissent les aliments qui nourrissent la planète de manière saine et durable, et ceci particulièrement chez les jeunes. • Garantir les droits fonciers et d’accès aux ressources pour les femmes à travers un travail de conscientisation de nos communautés et de nos mouvements relatif à l’importance de respecter et de protéger les droits fonciers des femmes, en particulier dans les systèmes coutumiers. • Développer et utiliser les médias locaux afin d’organiser les membres de nos communautés ainsi que d’autres secteurs de la population et partager avec eux des informations sur l’accaparement des terres. • Veiller à ce que nos dirigeants respectent les règles établies par nos communautés et les obliger à rendre des comptes à nous, à nos communautés et à nos organisations. Concernant l’aide juridique pour notre défense • Développer nos propres systèmes d’aide juridique et travailler en liaison avec des experts juridiques et des droits humains. • Condamner toutes les formes de violence ainsi que la criminalisation de nos luttes et de nos mobilisations pour la défense de nos droits. • Nous mobiliser pour obtenir la libération immédiate de toutes les personnes emprisonnées à cause de leur engagement dans les luttes pour leurs terres et territoires, et mettre sur pied en urgence des campagnes de solidarité avec tous ceux qui sont confrontés à ces types de conflits. Concernant le plaidoyer et la mobilisation • Institutionnaliser la journée du 17 avril comme étant le jour de mobilisation mondiale contre l’accaparement des terres, mais également identifier d’autres dates appropriées qui pourraient servir de point de ralliement pour des mobilisations en vue de défendre nos terres et nos biens communs. • Développer nos argumentaires politiques afin de dénoncer et discréditer le modèle économique qui est à l’origine de l’accaparement des terres ainsi que les différents acteurs et initiatives visant à promouvoir et légitimer ces pratiques. • Établir un Observatoire des peuples sur l’accaparement des terres afin de faciliter et de centraliser la collecte des données, les communications, les actions de planification, les initiatives de lobbying, de conscientisation, de recherche et d’analyse, etc. • Promouvoir les droits fonciers des femmes à travers des initiatives de redistribution foncière ciblée pour les femmes, ainsi que d’autres actions ; pousser à la promulgation de lois et l’instauration de politiques répondant aux besoins particuliers des femmes. • Porter nos messages et nos exigences devant les parlements, les gouvernements et les institutions internationales. Poursuivre notre engagement vis à vis du Comité pour la sécurité alimentaire mondiale et exiger que les processus tels que les Directives volontaires de la FAO sur la gouvernance responsable de la tenure des terres et des autres ressources naturelles contribuent véritablement à protéger et promouvoir les droits à la terre et l’accès aux ressources naturelles des petits paysans et producteurs alimentaires. • Identifier et cibler les forums locaux et les espaces nationaux et internationaux où nous pouvons entreprendre des actions de mobilisation et de sensibilisation du public en vue de créer un large mouvement dans la société de résistance à l’accaparement des terres. • Planifier des actions qui ciblent les entreprises privées, (y compris les sociétés financières), la Banque mondiale et autres banques multilatérales de développement qui font la promotion, encouragent et tirent profit des projets d’accaparement des terres et des ressources naturelles. • Poursuivre notre opposition aux régimes industriels d’autorégulation comme les principes d’investissements agricoles responsables (IAR). • Développer et renforcer nos actions en vue de parvenir à la souveraineté alimentaire et à la réforme agraire, afin de promouvoir la reconnaissance des systèmes coutumiers, tout en garantissant les droits d’accès à la terre et aux ressources naturelles pour les femmes et les jeunes. • Soutenir le droit des peuples à jouir de leurs ressources à travers des occupations de terres, les occupations des bureaux des investisseurs privés, les manifestations et autres actions en vue récupérer leurs biens communs. • Exiger que nos gouvernements remplissent leurs obligations en matière de droits humains, qu’ils cessent immédiatement les transferts de terres et de ressources naturelles aux investisseurs privés, qu’ils annulent les contrats déjà signés et qu’ils restituent les terres ainsi accaparées et qu’ils protègent les communautés rurales et urbaines des opérations d’accaparement en cours et à venir. Concernant le renforcement des alliances • Construire de solides réseaux d’organisations et d’alliances à différent niveau - local, régional et international - en s’appuyant sur l’Appel de Dakar et placer les petits paysans et producteurs d’aliments artisanaux au cœur de ces alliances. • Forger des alliances avec des membres et actionnaires de fonds de pensions afin d’empêcher les gestionnaires de ces fonds d’investir dans des projets qui ont pour conséquence l’accaparement des terres. • Construire des alliances stratégiques avec la presse et des médias, afin qu’ils rendent compte fidèlement de nos messages et de nos réalités ; lutter contre les préjugés répandus par les médias dominants en ce qui concerne les luttes pour la terre et la réforme agraire au Zimbabwe. Nous appelons toutes les organisations qui partagent ces principes et soutiennent ces actions à rejoindre notre Alliance internationale contre l’accaparement des terres, une alliance que nous créons ce jour, solennellement, ici à Nyéléni. Globalisons la lutte ! Globalisons l’espoir ! Signé à Nyéléni, le 19 novembre 2011