Jacques Généreux : La dissociété

Par Sergeuleski

"Ce livre est motivé par la conviction qu’à l’époque des risques globaux la plus imminente et la plus déterminante des catastrophes qui nous menacent est cette mutation anthropologique déjà bien avancée qui peut, en une ou deux générations à peine, transformer l’être humain en être dissocié, faire basculer les sociétés développées dans l’inhumanité de « dissociétés » peuplées d’individus dressés (dans tous les sens du terme) les uns contre les autres. Éradiquer ce risque commande notre capacité à faire face à tous les autres… C’est pourquoi, ici, j’entends moins faire œuvre de science politique que de conscience politique. Car la dissociété qui nous menace n’est pas un dysfonctionnement technique dont la correction appellerait l’invention de politiques inédites. Il s’agit d’une maladie sociale dégénérative qui altère les consciences en leur inculquant une culture fausse mais auto-réalisatrice." Jacques Généreux (1).

Morceaux choisis :


"... les détenteurs du capital veulent exploiter leur nouveau pouvoir en exigeant une hausse spectaculaire de la rentabilité à une époque où il est bien plus difficile de gagner de l’argent. Comment peut-on tripler ou quadrupler le taux de rémunération du capital quand la croissance du revenu national est divisée par deux et la compétition de plus en plus féroce ? Une seule chose est certaine : si tous veulent plus de progrès pour eux-mêmes quand il y en a moins pour tout le monde, tous ne pourront pas gagner. Si l’on renonce au jeu à somme positive dont tout le monde peut sortir gagnant (le partage coopératif), il ne reste que le jeu à somme nulle où rien n’est obtenu qui ne soit retiré à autrui ; autrement dit, il ne reste pour gagner que la prédation et la guerre."


"... On aurait tort de croire que, malgré tout, la guerre économique fera moins de victimes que la guerre tout court. En effet, poussée à son terme et sans limite, la libre compétition pour le profit maximal constitue pour l’humanité une menace plus redoutable que toutes les armes de destruction massive. Elle suscite l’extension mondiale de modes de production et de consommation qui sont physiquement insoutenables pour notre planète. Tout le monde connaît désormais la liste des fléaux en cours ou à venir qui sont la conséquence directe de la course mondiale à la production et à la consommation : déforestation, épuisement des nappes phréatiques, érosion accélérée des sols, recul de la biodiversité, trous dans la couche d’ozone, effet de serre et dérèglement du climat..."



"... Dans une société où il a sa place, un individu peut au minimum espérer une vie décente sans combat ; sur un marché, il se sent marchandise qui devra sa survie au fait d’être plus fort que les autres ou l’esclave des plus forts. Dans une société, on vit ; sur un marché, on se bat. Dans une société, la personne se définit par ses liens ; sur un marché, l’individu se définit par ses talents, ses pouvoirs, son capital- bref, tout ce qui détermine sa compétitivité. Dans une société, on apprécie quelqu’un ; sur un marché, on le mesure. Dans une société, l’important, c’est d’aimer ; sur un marché, l’important, c’est d’être fort. La culture du marché est une culture de combattants engagés dans une drôle de guerre, sans armées constituées et solidaires, où notre ennemi se cache souvent dans la même tranchée que nous, où nous avons tous au fond le même ennemi intime : la peur de l’autre ; une peur qui paradoxalement nous pousse à nous affronter au lieu de nous unir pour avoir moins peur. Le règne du marché, c’est avant tout la victoire de la peur."


  

   Ouvrage décapent et ambitieux. Un bémol néanmoins : à aucun moment Jacques Généreux explique comment son parti (le Front de gauche) compte nous faire sortir de l'ornière ? Car ce Front de gauche semble ignorer ceci : jamais la classe moyenne prendra le risque de la rupture et celui d'une crise d'où émergerait une nouvelle société à la l'heure d'une intégration européenne étouffoir et d'une mondialisation "étrangloir"  qui n'est dans les faits qu'une dictature qui a pour armes : les menaces de la faillite et du chaos.

Mais qu'est-ce à dire ? Ce Front de gauche ne serait que l'anti-chambre ou le hall d'attente d'une seule alternative : PS-Verts contre l'UMP et ce, ad vitam aeternam ?

   Pas si sûr ! Il existe une autre voie en dehors du cadre d'un système électoral qui favorisera toujours une majorité frileuse, attentiste et peu soucieuse de l'intérêt général à long terme : celle d'un bulletin de vote qui pourrait bel et bien un jour servir une stratégie qui consistera à ouvrir une crise sans précédent au coeur d'un dispositif électoral corrompu car... sans honneur ; une crise telle que tout retour à un ordre antérieur serait alors impossible.

   A ce sujet, merci de vous reporter au billet suivant : Porter la crise au coeur du PS et des Verts

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1 - Economiste, secrétaire national du parti du Front de gauche pour l'économie.