Salle comble pour une expérience Stockhausen que permet l'excellente programmation de musica viva de la radio bavaroise (BR) qui offre au public munichois la première allemande de l'opéra Samstag aus Licht, une des journées du grand opéra Licht de Stockhausen qui en comporte sept.
(Voir aussi un premier post d'introduction en cliquant ici)
La première partie de l'opéra a été jouée ce mercredi à la Muffathalle. Le public avait l'occasion d'assister au préalable à la conférence, passionnante au demeurant, du pasteur Thomas Ulrich, dans la salle de conférences du Gasteig. Ce brillant orateur est un théologien protestant mais aussi un spécialiste de la musique de Stockhausen,. En une bonne heure, il a fourni les clés d'accès au paradis stockhausien en partageant sa conviction et son enthousiasme.
Le public s'est ensuite dirigé vers les bâtiments voisins de la Muffathalle, pour y entendre les deux premières parties de l'Opéra.
Qu'un pasteur protestant soit devenu un spécialiste de l'opéra de Stockhausen n'est pas dû au hasard, car Licht est un opéra théologique qui évoque la Création et met en présence des énergies primordiales. Eve, l'Archange Michaël et l'ange déchu Lucifer, le porteur de lumière, sont les trois protagonistes des 7 journées de l'opéra, chacune des journées ayant sa spécificité, le samedi étant le jour de Lucifer. Que l'église Saint Michaël de Munich ait bien voulu se prêter au jeu et ouvrir ses portes pour accueillir le dernier acte de Samstag aus Licht n'est évidemment pas un hasard: l'Archange Michaël est le saint patron de l'église et le tableau du maître-autel représente la victoire de l'archange sur l'ange déchu.
Stockhausen nous a livré un opéra théologique à la symbolique puissante et par moments méditative. Le personnage de Lucifer est un personnage complexe, on le sait, il incarne le mal, mais même après sa séparation d'avec Dieu, il n'est pas réduit à ce seul aspect de cette dualité, il reste encore le prince de la connaissance, la représentation de la pensée idéale, de la rationalité, il a des qualités prométhéennes, il apporte la lumière, la connaissance et la révolte.
Le Samstag-Gruss, Lucifer-Gruss (le salut du samedi, la salutation de Lucifer) a été reproduit mercredi par un enregistrement de 1984 au Palais des Sports de Milan. Pour les représentations suivantes, il sera joué par l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise. Il semble vouloir nous introduire dans le temple du Mal, l'audience est captive d'une musique qui a les résonances d'une cathédrale sonore aux vibrations majestueuses et terrifiantes, aux couleurs sombres et puissantes.
La première scène, Luzifer's traum (le rêve de Lucifer ), est écrite pour piano et basse. Le pianiste doit également être acteur et chanteur. Lucifer a besoin d'un musicien, car il refuse de s'incarner dans un corps humain. Lucifer, prince de la connaissance et de la raison, apprécie les aspects complexes et mathématiques de la musique, lui que l'on peut aussi associer à Saturne, le dieu-planète du temps et de l'impermanence, le dieu dévoreur. Lucifer a une obsession maladive des chiffres et du temps, les chiffres 7, 12 et 24 reviennent sous la plume de Stockhausen et sont chantés avec une fascination maléfique par le chanteur à voix de basse qui joue le Prince des Ténèbres, ou psalmodiés et chuintés par le pianiste. Sur la scène, un piano à queue et un fauteuil noirs. Lucifer chante dans un pidgin d'allemand, d'anglais et de français. Spluei moair yain trievme sptyesk! enjoint-il au pianiste. Joue moi un air enchanteur! Suivent cinq cycles d'interprétation, où les intervalles ont valeur symbolique, ils sont la substance du néant qu'apprécie le Prince des Ténèbres, chaque cycle a ses couleurs et ses modalités spécifiques. Vers la fin de la première partie, on passe d'une atmosphère de magie démentielle et démoniaque à un comique plus dérisoire, des fusées miniatures semblent jaillir du clavier, nouvelle rampe de lancement, et le pianiste y va de ses tapotements, de ses pizzicati, de ses glissandi auxquels il ajoute ses sifflements, ses chuintements et autres bruitages. Il faut un spécialiste de la nouvelle musique contemporaine comme Ulrich Löffler pour réussir de manière aussi magistrale ce morceau de bravoure pour piano, et des dons d'acteur. On découvre que le piano est un instrument pour deux mains et une fesse gauche, puisqu'un glissando s'effectue au moyen de cette partie du corps somme pour le moins inhabituelle. Lucifer joue les endormis, mais une paupière se lève et l'on se rend compte qu'il feint un sommeil profond. La basse Michael Leibundgut joue avec prestance un Lucifer habillé d'un costume et d'une chemise noir à cravate rouge et donne une interprétation puissante et ténébreuse de l'ange déchu.
La seconde scène, Kathinkas Gesang als Luzifer's Requiem, (le chant de Kathinka), est en opposition quasi méditative avec la thématique destructrice et au cheminement vers le chaos de la première partie. Sur la scène, le personnage principal en est un chat noir interprété par la flûtiste virtuose Kathinka Pasveer, pour qui cette partie a été spécialement composée, et qui en fut déjà l'interprète lors de sa création.
Faut-il le souligner, c'est une chance extraordinaire de pouvoir assister à l'interprétation de cet opéra de Stockhausen. L'engagement des organisateurs et du personnel du musica viva et la qualité tout à fait exceptionnelle des interprètes en font un moment phare de la saison musicale munichoise.
Infos et billeterie: BRticket Service, Tel.: +49 (0)89 5900 10880, Fax: +49 (0)89 5900 42 66 ou sous www.br-klassikticket.de.
Signalons que l'opéra sera intégralement retransmis à la radio le 20 juillet 2013 à partir de 18H05 sur BR-Klassik, aussi en webradio sur http://www.br.de/radio/br-klassik/index.html
Crédit photographique: Bayerische Rundfunk (voir la série de 33 photos en cliquant ici)