Le web est-il soixanthuitard ?

Publié le 24 avril 2008 par Yulgrejes

Episode 3 

« Contestation. Mais con d'abord »

Contester. Oui, mais quoi ?
Prendre position pour une cause, se révolter contre l’ordre établi, dénoncer, se rebeller, autant d’attitudes prônées en mai 68 et qui s’affichent aujourd’hui allègrement sur le web. Si les idéaux politiques de mai (anarchisme, communisme) se sont faits rares, les internautes continuent de contester et de se battre pour des causes qui grâce au web prennent subitement une ampleur mondiale. Protester chacun dans son coin, distribuer des tracts, des actes qui s’apparentent à la préhistoire pour les militants du web.
Blogs spécialisés, signature de pétition « online » vite oubliée, chaîne d’e-mails engagés, des moyens de communication à grande échelle qui permettent de toucher de plus en plus d’internautes. Si les jeunes sont moins intéressés par les partis politiques, ils sont de plus en plus prompts à s’engager sur le web et à afficher leurs « combats.

Preuve de cette « mode » de l’engagement, Facebook a récemment mis en place une application « Causes » permettant à chaque membre de rejoindre un groupe (Barack Obama for President, Save Darfur...). Utilisée par 1782 000 personnes, cette application permet d'afficher publiquement les causes que vous soutenez, le nombre de personne que vous avez recrutées, ainsi que les dons que vous avez faits.

Et les internautes ne sont pas les seuls à s’engager, le géant Google s’est lui aussi mis à la page. Le moteur de recherche s’est ainsi associé au le musée du Mémorial de l'Holocauste des Etats-Unis pour lancer avec Google Earth un système de cartographie en ligne consacré au Darfour. Le but : apporter la preuve des atrocités commises dans cette région du Soudan. Dans le cadre de cette campagne baptisé "Crise au Darfour", les utilisateurs du logiciel peuvent zoomer sur la région et observer plus de 1.600 villages endommagés ou détruits, qui constituent pour le musée de l'Holocauste les preuves du génocide. Les ruines de plus de 100.000 maisons, écoles, mosquées et autres structures détruites par les milices arabes "djandjaouids", soupçonnées d'être envoyées par le gouvernement de Khartoum, sont également visibles sur le site. Pour certains sites détruits ou endommagés, symbolisés par des flammes, les internautes peuvent consulter des photos ou lire, écouter voire visualiser des témoignages de victimes du conflit ou membres d'ONG. Un projet qui démontre qu'Internet peut mobiliser les internautes mais également les informer de manière originale.

Internet, c’est aussi un peu « David contre Goliath ». Les « mensonges » et scandales politiques sont enfin éclaircis par les petits blogueurs. Souvent récupéré par les machines de guerre des partis politiques, on peut notamment observer ce phénomène de l’autre côté de l’Atlantique (vidéo du Pasteur Wright sur You Tube). Mise en avant d’un culte de la transparence. Plus d’erreurs possibles pour les hommes politiques ou même les journalistes sans cesse mis face à leur responsabilité. Guy Birenbaum sur son blog a ainsi dénoncé le sondage bidouillé en Une du Figaro qui annonçait que 58% des Français trouvaient que Nicolas Sarkozy avait changé en bien. Un zorro de la toile notamment salué par Ségolène Royal qui a pour l’occasion d’effectuer une piqûre de rappel à ses troupes «  Aujourd’hui le web a démontré grâce à sa réactivité, son rôle de vigie citoyenne »… Si c’est elle qui le dit !

Une contestation souvent cantonnée au petit monde de la blogosphère

Mais attention à ne pas surestimer l’impact des « mouvements de contestation » qui naissent sur la Toile et qui bien souvent ne parviennent pas, voire n’ont pas l’ambition d’en sortir. Cette « utopie » de pouvoir changer le monde en restant bien au chaud chez soi en énerve plus d’un. Emery Doligé critique ainsi un « effet de mode ». Allant jusqu’à qualifier de « coup de bol » le fait que les Jeux Olympiques se déroulent dans « un pays qui est pas beau l’avion », le blogueur estime que le petit monde du web tente de se prouver que ses idées « puissent foutre le bordel en Chine ». Une illusion, un fantasme, pour le blogueur sceptique qui rappelle que la censure sévit sur le web aussi et que les Chinois l’action de Reporters Sans Frontières en Grève. « Pour eux tt va bien, le monde entier regarde la Chine ». De la mobilisation, oui, mais pas d’une grande efficacité. «  Quand l’ensemble des blogueurs se mobilisent pour défendre une cause, Internet peut montrer du doigt certains trucs, mais vous avez déjà vue une cause issu d’Internet aller plus loin qu’Internet? Avec Internet, on ne défend un BIG IDEAL , un grand idéal un truc qui va nous transporter tous avec la fleur au fusil ».

boomp3.com

En bref, Internet moyen d’EXPRESSION de la contestation mais pas TERREAU de révolution. D’ailleurs comme le pourrait-il compte tenu de l’absence d’unicité ou quand trop de causes tue la CAUSE.

Difficile pour une cause noyée parmi les autres d’émerger par le web. Une abondance qui peut parfois pousser à la passivité voir au ras-le-bol médiatique. Pour le blogueur Guy Birenbaum, « Internet c’est comme partout, il y a à boire et à manger comme en 68, des fascistes, des arrivistes et des trucs géniaux mais cette abondance m’ennuie ».

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D’ailleurs tout le monde a accès à Internet et peut s’en servir pour diffuser un message. Certes, le web donne la parole aux Tibétains qui dénoncent la répression chinoise mais il offre également une fenêtre à cette même propagande qui se diffuse au cœur de la diaspora.

Un nouveau site Internet en chinois, baptisé anti-CNN.com a ainsi vu le jour pour dénoncer « les mensonges » des médias occidentaux sur ce qui se passe réellement au Tibet. Pour le China Daily, le site serait le fruit de la "colère" d'étudiants chinois établis à l'étranger.

Si le site qualifie la chaîne américaine CNN de "leader mondial des menteurs", il veut aussi mettre au jour les erreurs d'autres médias, allemands, britanniques ou français. Exemple des limites de la contestation par le web avec la mobilisation de la blogosphère égyptienne ces dernières semaine. Après un appel à la grève générale le 6 avril finalement été peu suivie, les blogueurs organisent un nouveau jour de contestation, le 4 mai, pour le 80e anniversaire du président Hosni Moubarak. La grève a été peu suivie mais les cyberactivistes affirment que "Si Dieu a créé le monde en six jours, on ne changera pas l'Egypte en un seul". Plusieurs limites néanmoins : les arrestations tout d’abord des figures de la blogosphère clairement identifiées comme  Mohammed Charkaoui ou Malek Moustapha, ou encore Esraa Adel Fattah, créatrice du groupe "6 avril" sur Facebook. Si l’appel s’est répandu comme « une traînée de poudre via internet ou des SMS », , il ne pouvait avoir d'écho que parmi les jeunes, les intellectuels et les milieux favorisés d'un pays où 40% des 80 millions d'habitants sont illettrés ». Attention donc à ne pas oublier que l’impact d’Internet dans des pays où une grande partie de la population ne sait ni lire ni écrire reste encore forcément CIRCONSCRIT à un groupe social minoritaire.

L'ambition de jeunes blogueurs, qui n'hésitent pas à signer de leur nom sur "3arabawy" ou "egyptianchronicles" et qui se veulent des interfaces entre la société civile et un mouvement ouvrier en plein réveil dans l'industrie textile est également mise à mal par leurs incapacités à toujours donné une lecture correcte de l’événement. Confrontés aux violents incidents qui ont éclaté dimanche entre forces de sécurité et manifestants dans la cité industrielle de Mahalla (delta), siège d'un grand complexe d'Etat de filature et de tissage, les sites et réseaux comme Twitter, ont livré avec actualisations rapides, sinon vérifications, des "nouvelles" sur le seul point chaud de cette journée de "colère populaire". Des images ont été diffusées sur YouTube.Parmi des témoignages vraisemblables, l'annonce --inexacte-- de deux morts a aussi été reprise dimanche soir de blog en blog.A l'heure du bilan, les commentaires étaient contrastés, le ministère de l'Intérieur évoquant "l'échec des professionnels de la provocation et des courants illégaux". Rumeurs, fausses informations, amplification, autant de dérives rendant peu crédibles les blogueurs. D’ailleurs pour Mohamed Kamel al-Sayyed, politologue égyptien réputé, l'appel à la grève a eu peu d'échos car « les jeunes qui l'ont lancé n'ont ni expérience, ni relais, ni assise populaire". Face à cet échec relatif, un retour aux techniques plus traditionnelles de contestation se laisse entrevoir.

Sur Facebook, Osama Mohamed Refaat écrit ainsi qu’"Il faut informer ceux qui n'ont ni internet ni portable de la grève", tandis qu’"Ana Masri" (pseudonyme qui veut dire en arabe "Je suis un Egyptien") demande aux internautes de ne pas oublier de "prendre des fleurs à tendre aux policiers!".

Contestation de l’ordre familial

Comme 68 a marqué une révolution de la relation entre enfants et parents, Internet fomente une révolution des rapports familiaux

« Comme 68 a permis aux jeunes de dire merde à leurs parents, le rapport des adolescents à la famille éclate avec la génération des web-natives collés à MSN et Skyblogs. L'ado prolonge ses pratiques sociales en bloguant, avec sa webcam, par msn. Il est là à la maison. Pas besoin de faire le mur. Il n'y a plus de murs" affirme ainsi Versac. Les "potes" jusque là relégués à l'extérieur du domicile familial font irruption dans la chambre de l'adolescent qui peut chatter et rester en lien avec sa bande même lorsque ses parents refusent de le laisser sortir traîner...  « Out », la génération des non-natifs de l’ère digitale n’y comprend plus rien. Le « gap » générationnel est profond. D’ailleurs, ce conflit des générations entre « non-natifs » et accros du web est perceptible à tous les niveaux. Dans le monde des médias par exemple avec des rédactions web des grands quotidiens en conflit parfois ouvert avec la rédaction papier. Le nouveau « choc » des générations passera-t-il par le web ?

                                                                               

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