Le rugby sud-africain, un sport pas tout à fait arc-en-ciel

Publié le 30 juin 2013 par Misterrugby

À Pretoria, dans le club des Harlequins, les joueurs amateurs réfutent l’idée selon laquelle le rugby est encore un sport réservé aux Blancs. Pourtant la mixité peine à s’imposer dans la nation arc-en-ciel de Nelson Mandela.

Lu sur France24.com, Journaliste Charlotte Boitiaux @chaboite

C’était l’un des grands rêves de Nelson Mandela à l’occasion de la Coupe du monde de 1995, la première organisée sur le sol sud-africain : faire du rugby un symbole fort de la réconciliation entre Noirs et Blancs. Mais plus de 20 ans après la fin de l’apartheid, la nation arc-en ciel peine pourtant à accoucher d’une équipe nationale multiraciale. En 2013, sur les 37 joueurs sélectionnés dans l’équipe nationale des Springboks, seuls neuf sont Noirs ou métisses. Une sous-représentation qui créé sporadiquement la polémique dans un pays où les blessures raciales ont encore du mal à cicatriser.

En 2002, la star internationale de la Coupe du monde 1995, Chester Williams, le premier Noir à avoir intégré l’équipe des Springboks, avait, dans un livre intitulé "Une biographie du courage", brisé le grand rêve d’une nation arc-en-ciel de Mandela. Il y révélait notamment que l’euphorie de la compétition de 1995 avait rapidement laissé place, en quelques semaines, à une ambiance délétère où les insultes racistes à son encontre étaient devenues légion.

Philip Van Den Hooven, ancien joueur semi-professionnel : "Depuis 1994, nous faisons tout pour que la mixité fonctionne".Charlotte Boitiaux/FRANCE 24

À Pretoria, pourtant, dans un petit club amateur de rugby local, les Harlequins, on assure haut et fort que le rugby n’est plus le sport identitaire des Afrikaners, les premiers colons blancs d’origine hollandaise. "Depuis 1994, nous faisons tout pour que cette mixité dans le pays fonctionne", explique Philip Van Den Hooven, un ancien joueur semi-professionnel qui vient régulièrement faire des visites dans ce club. "Les choses ont changé. J’ai vu de mes yeux cette évolution. J’ai commencé à jouer à 8 ans, en 1994.

Déjà à l’école (le rugby est une activité pratiquée dès le primaire, NDLR), je jouais avec des Noirs, et plus je grandissais, plus les équipes sont devenues mixtes", raconte-t-il. "Ne croyez pas qu’il y ait de la discrimination positive là-dedans. Les Noirs intègrent les équipes parce qu’ils sont bons, et c’est tout, ajoute ce grand joueur blond à la retraite. Leur qualité de jeu est aussi bonne que celle des Blancs."

"Écart significatif"

Johan Scheepers, le président de la section rugby des Harlequins.Charlotte Boitiaux/FRANCE 24

Pourtant la parité raciale ne saute pas aux yeux chez les Harlequins. Johan Scheepers, le président du club de rugby, le reconnaît. "Oui, nous avons encore un écart significatif entre joueurs blancs et noirs", admet-il. Dans son club, en 2013, environ 200 enfants de 6 à 18 ans ont pratiqué occasionnellement ce sport. Un quart seulement d’entre eux sont des Noirs. Chez les seniors de plus de 19 ans, 90 joueurs jouent régulièrement et un tiers d’entre eux sont des Noirs. "C’est mieux qu’avant quand même", ajoute Johan Scheepers en riant.

Stix est le seul joueur amateur noir rencontré lors d’un entraînement, un soir de semaine, au club des Harlequins. Au milieu de ses coéquipiers blancs, ce grand joueur baraqué, âgé de 27 ans, ironise sur la venue de journalistes. "Vous, vous voulez me parler parce que je suis le seul mec de couleur sur ce terrain", lance-t-il en riant.

"Que puis-je vous dire ? Ce sport est un langage universel. Je n’ai aucun problème d’intégration. Nous venons tous de la même culture", confie-t-il tandis que le capitaine de l’équipe lui donne une tape amicale sur l’épaule avant de l’exhorter à retourner s’échauffer.

Les entraînements de rugby ont lieu trois fois par semaine, à 18 heures.Charlotte Boitiaux/FRANCE 24

Johan Scheepers comme Stix justifient tous deux cette disparité par une question de préférence culturelle. Les Noirs jouent au football, les anglophones au cricket. "Il faut reconnaître qu’ils ne sont pas nombreux à s’intéresser au rugby, mais il n’y a rien de raciste là-dedans", explique Johan Scheepers. "Ils préfèrent le ballon rond, c’est comme ça", renchérit Stix. Il est vrai qu’à titre de comparaison avec les Springboks, l’équipe nationale de football sud-africaine, les Bafana Bafana, est très majoritairement noire.

Avant de retourner sur le terrain, le capitaine de l’équipe amateur, Johnny, tient à faire partager son point de vue. "Je ne peux pas croire que le rugby soit encore associé à l’identité des Blancs, ou qu’il symbolise toujours un problème politique. Je pense vraiment que cette question raciale a été enterrée en même temps que l’apartheid. Et c’est très bien ainsi", crie-t-il de loin, en montrant Stix du doigt : "Ce mec-là sera une star un jour, ouvrez les yeux !".