L'aube

Publié le 23 avril 2008 par Véronique Bessard

Colette adorait les parfums. Dans ses ??crits on retrouve tr??s souvent des descriptions olfactives tr??s belles et ??vocatrices. On dit que son parfum pr??f??r??, celui qu???elle a longtemps port??, ??tait le Jasmin de Corse de Coty. Balmain lui a d??di?? Vent Vert, un parfum cr???? par la belle Germaine Cellier. Colette d??crivait Vent Vert comme un parfum ??  au caract??re vireux de v??g??tal ??. La nature, source d???inspiration et de r??g??n??ration joue un r??le primordial dans l'??uvre de l'??crivain. Ce tr??s beau texte issu de "Sido", ne parle pas directement d???odeurs mais montre d??j?? une enfant extr??mement sensible ?? la beaut?? de la nature.
Cela pourrait ??tre un beau brief??? non ?
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?? Car j???aimais tant l???aube, d??j??, que ma m??re me l???accordait en r??compense. J???obtenais qu???elle m?????veill??t ?? trois heures et demie, et je m???en allais, un panier vide ?? chaque bras, vers des terres mara??ch??res qui se r??fugiaient dans le pli ??troit de la rivi??re, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d???abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes l??vres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps ??? J???allais seule, ce pays mal pensant ??tait sans dangers. C???est sur ce chemin, c???est ?? cette heure que je prenais conscience de mon prix, d???un ??tat de gr??ce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, d??form?? par son ??closion ???

Ma m??re me laissait partir, apr??s m???avoir nomm??e ?? Beaut??, Joyau-tout-en-or ?? ; elle regardait courir et d??cro??tre sur la pente son ??uvre, ?? chef d?????uvre ??, disait-elle. J?????tais peut-??tre jolie ; ma m??re et mes portraits de ce temps-l?? ne sont pas toujours d???accord ??? Je l?????tais ?? cause de mon ??ge et du lever du jour, ?? cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient liss??s qu????? mon retour, et de ma sup??riorit?? d???enfant ??veill??e sur les autres enfants endormis.
Je revenais ?? la cloche de la premi??re messe. Mais pas avant d???avoir mang?? mon saoul, pas avant d???avoir, dans les bois, d??crit un grand circuit de chien qui chasse seul, et go??t?? l???eau de deux sources perdues, que je r??v??rais. L???une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, qui tra??ait elle-m??me son lit sableux. Elle se d??courageait aussit??t n??e et replongeait sous la terre. L???autre source, presque invisible, froissait l???herbe comme un serpent, s?????talait secr??te au centre d???un pr?? o?? des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa pr??sence. La premi??re avait go??t de feuille de ch??ne, la seconde de fer et de tige de jacinthe ??? Rien qu????? parler d???elles je souhaite que leur saveur m???emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j???emporte avec moi, cette gorg??e imaginaire ??? ??
COLETTE Extrait de Sido