Tour de France 1989, LeMond pour 8 secondes

Publié le 02 juillet 2013 par Histoiredusport @Histoire_sport

Alors que cette 100 ème édition du Tour de France a été lancée ce samedi 29 juin 2013, revenons sur l’un des Tours les plus fous de toute l’histoire du cyclisme. Tour de France 1989, un duel d’anthologie entre le Français Laurent Fignon et l’Américain Greg LeMond. Après un mano à mano de plus de 3 semaines où l’écart entre les deux hommes n’excède jamais plus d’une minute, LeMond l ‘emporte lors de la dernière étape du Tour de France sur les Champs Elysées pour 8 petites secondes.
C’est encore à ce jour le plus petit écart entre un vainqueur et son dauphin sur le Tour. Jamais une édition du Tour n’aura été si indécise et jamais le dénouement ne se sera joué si près de la ligne d’arrivée. Que représentent 8 secondes sur le Tour de France ? 8 secondes c’est un écart de 80 mètres sur une course de plus de 3000 km.

Retour sur ce Tour aux multiples rebondissements et sur son dénouement incroyable.

4 vainqueurs du Tour sur la ligne de départ


1989. Année marquée à l’internationale par la fin de la guerre froide. Depuis fin 1988, les pays du bloc de l’est sont le théâtre de gréves, de manifestations mais également de la contestation venant d’une population qui aspire à un avenir plus radieux. En novembre la frontière de la RDA est ouverte et la population se met à détruire le symbole de cette guerre, le mur de Berlin. Une chute qui comme un symbole annonce la fin de la guerre froide et la fin du soviétisme dans les pays de l’est. La France quant à elle fête le bicentenaire de la révolution, et cet été 1989 sera marqué sur le plan sportif par la 75 ème édition du Tour de France.
Pour cette année, un duel entre l’Espagnol Delgado et le Français Laurent Fignon est attendu. L’Espagnol Delgado, candidat à sa propre succession après sa victoire en 1988 est un bon rouleur et excellent grimpeur. Il a autour de lui une équipe solide et des fidèles lieutenants sur lesquels il pourra compter dans la montagne, dont un certain Miguel Indurain, futur vainqueur de 5 Tours de France.

Laurent Fignon, a quant à lui retrouvé le goût de la victoire: il vient de remporter son premier Tour d’Italie en 1989 et a réalisé le doublé Milan San Rémo en 1988 et 1989. Le Francilien est revenu au très haut niveau après sa blessure au genou et son opération en 1985 qui l’a empêché de courir à son meilleur niveau depuis près de 3 ans sur les Grands Tours. Il a déjà remporté la Grande Boucle en 1983 et 1984 et rêve à présent d’une troisième couronne.

D’autres coureurs peuvent rêver des places d’honneur ou pourquoi pas de créer la surprise. Stephan Roche en premier lieu. Déjà vainqueur sur le Tour deux ans plus tôt, l’Irlandais connait une année noire en 1988 et peine depuis à revenir sur le devant de la scène. Il a terminé à une décevante 8ème place sur le Tour d’Italie cette saison, mais remporte tout de même le Tour du Pays Basque et finit 2 ème du Paris-Nice.

Le dauphin de Delgado l’an dernier, le néerlandais Steven Rooks peut également venir jouer les troubles-fête, lui qui est un bon rouleur, grimpeur mais également sprinteur.

Ce tour 1989 marque également le retour d’un ancien vainqueur de l’épreuve, l’Américain Greg LeMond. Celui que l’on voyait déjà comme le digne successeur de Bernard Hinault après son tour gagné en 1986 n’a jamais pu jusqu’à présent convertir tous les espoirs qui ont été placés en lui. La cause à un malheureux accident de chasse avec son beau-frère. Le Californien a été criblé de balles par ce dernier, un accident qui a éloigné LeMond du vélo durant près de 2 ans, et qui l’a marqué dans sa chair (7 plombs dans l’abdomen).

LeMond revient à la compétition en 1988 mais n’est que l’ombre du grand champion qu’il fut quelques années plus tôt. Il est cependant monté en puissance en ce début de saison avec des résultats encourageants sur les contres-la-montre du dernier Tour d’Italie. Il revient donc sur le Tour cette saison avec l’équipe ADR Agritubel Bottecchia, équipe assez faible sur le papier qui ne pourra pas lui être d’une grande aide en montagne. Dans cette équipe figure Johan Musseuw, le futur lion des Flandres.
LeMond est donc sur le Tour pour au mieux jouer un top 10, lui qui n’a pas de référence cette saison.

Un écart qui n’excède jamais la minute


Après les spéculations d’avant-tour, place à la vérité du peloton avec le prologue qui a lieu à Luxembourg. Première étape et déjà premier coup de théâtre: le vainqueur de l’édition 1988 et grand favori, Pedro Delgado n’arrive pas à l’heure qui lui est attribuée sur la rampe de lancement. Il part de la ligne de départ avec 2min 40 de retard, qu’il n’a aucune chance de reprendre sur ce tracé de 7.8 km. La situation tourne au ridicule lorsque l’on sait que l’Espagnol a mal interprété l’heure que lui indiquait sa montre dépourvue d’aiguille des minutes et qu’il n’a ensuite pas compris les signes que lui faisait son mécanicien en lui demandant d’être sur la rampe de lancement le plus rapidement possible. Même si 2min 40 reste un retard conséquent, ses qualités de grimpeurs et de rouleurs peuvent faire la différence sur une course de 3 semaines. Cette première étape est remportée par le néelandais Breukink devant Sean Kelly, Laurent Fignon et Greg LeMond tous trois à 6 secondes.

Les coureurs du Tour à l’atttaque dans les Alpes

Après la deuxième étape remportée par Acacio Da Silva, qui prend par la même le maillot jaune, vient le chrono par équipe. Lors de cette étape, le coureur espagnol de la Reynolds « Perico » Delgado qui a connu un début de Tour difficile vit alors un véritable enfer. Lui le très bon rouleur est lâché à plus de 15 km de l’arrivée par ses coéquipiers. Ses équipiers se sacrifient pour leur leader déchu afin de l’amener sur la ligne d’arrivée dans les temps. En grande difficulté et le moral en berne, le grand favori est à la surprise générale lanterne rouge du classement après 3 étapes.

L’étape est remportée par l’équipe Super U du Français Laurent Fignon avec plus de 30 secondes d’avance sur les ADR de LeMond et plus de 4 minutes sur l’équipe Reynolds.

Après deux étapes au Luxembourg et en Belgique, le Tour arrive enfin en France, dans la ville de Wasquehal avec une victoire du néerlandais Nijdam.
Le 6 juillet 1989, 5 ème étape de cette Grande Boucle. Aujourd’hui, premier véritable contre-la-montre où les favoris vont pouvoir se découvrir. Sur un tracé long de 73 km entre Dinard et Rennes, on entrevoit d’abord le retour en forme de Delgado. Alors dans les profondeurs du classement, le vainqueur de l’édition 1988 réalise sans aucune pression un chrono canon en 1h38’36 secondes. Même le spécialiste de l’épreuve, Charly Mottet ne peut rivaliser avec Delgado. Seuls deux coureurs ont les armes pour tenir la dragée haute à l’Espagnol: LeMond et Fignon. Le surprenant Greg LeMond sort alors de sa boite et sera le seul lors de cette étape à faire mieux que le natif de Ségovie. Même si l’Américain n’a pas bénéficié d’une route sèche comme ce fut le cas pour Delgado, il écrase la concurrence pour remporter sa première étape depuis 1986, mais également le maillot de leader du Tour. Delgado est à 24’ et Fignon à 56′.
Le Californien pourra-t-il tenir 3 semaines durant, lui qui n’a aucune référence sur une courses si longue cette saison ?
Cette victoire se fait néanmoins sur un fond de polémique. Pour la première fois dans l’histoire du Tour, le champion américain utilise un guidon de triathlète afin d’effectuer ce contre-la-montre. Ce guidon, non réglementé selon les règles en vigueur énoncées par l’UCI permet au cycliste d’avoir 4 appuies sur le vélo, soit un un de plus que ce qu’autorise l’UCI (Guidon, selle, pédale). Ce guidon permet à LeMond d’irrémédiablement améliorer son temps. Quoiqu’il en soit, ses résultats sont validés et il arrive dans les Pyrénées avec le maillot jaune sur les épaules pour 5 secondes sur Laurent Fignon. On ne le sait pas encore mais l’écart entre les deux hommes ne sera jamais supérieur à la minute. LeMond a révolutionné le cyclisme durant cette épreuve puisque par la suite tous les spécialistes du contre-la-montre puis progressivement tous les cyclistes ont adopté le guidon de triathlète et le casque profilé pour cet exercice.

Les Pyrénées sont le théâtre du coup de force de l’équipe Reynolds. Emmenés par leurs deux grimpeurs, ils dynamitent le peloton. Bien meilleur grimpeur que ses adversaires Delgado continue sa remontée au classement avec l’aide de Miguel Indurain.
La première étape entre Pau-Cauterets et Cambasque verra la première victoire sur le Tour de Miguel Indurain. Le Navarrais met son leader à 1’30’’ et Fignon et LeMond à 1’58’’.
L’étape suivante, l’étape reine des Pyrénées voit les coureurs effectuer les ascensions du Tourmalet, d’Aspin, de Peyresourde et un final à Superbagnière. Delgado accompagné par l’Ecossais Robert Millar écrasent la concurrence. Même si Millar remporte l’étape, l’Espagnol a pu profiter au maximum du travail du grimpeur écossais. Le seul à avoir suivi le rythme imposé par les deux hommes est le Français Charly Mottet qui se replace sur le podium. A des années lumières de là, à plus de 3minutes, Fignon termine l’étape 12 secondes devant LeMond. Suffisant pour reprendre le maillot jaune pour 7secondes.

Le Français va garder son bien jusque la 15 ème étape et le contre-la-montre à Orcières-Merlette. Ce contre-la-montre en altitude est remporté par Steven Rooks. Le fait marquant est que pour la première fois dans ce tour, l’écart entre LeMond et Fignon dépasse les 30 secondes. LeMond termine avec près de 50 secondes d’avance et reprend le maillot jaune pour 40 secondes.
Lors de la 16 ème étape, LeMond reprend à nouveau du temps sur le Français après une étape de montagne remportée par Pascal Richard. L’Américain ajoute 13 secondes à Briançon, portant son avance à 53 secondes. Il est en bien meilleure forme que Fignon qui a du mal à retrouver un second souffle dans cette fin de Tour.

Néanmoins, coup de théâtre lors de la 17 ème étape. Le chassé-croisé entre les deux hommes va se poursuivre. Encore une fois, Delgado est à l’attaque et prouve que c’est bien lui le plus fort sur ce tour 89, mais son erreur de jugement sur le prologue de ce tour lui a été fatale. L’étape est remportée par le néerlandais Gert Jan Theunisse. Greg Lemond est lâché très rapidement dans l’étape et Fignon lui reprend plus d’une minute.

LeMond est esseulé en montagne sans aucun coéquipier depuis le début de la Grande Boucle et ne peut pas se battre à armes égales avec ses adversaires. Il se démène comme un beau diable afin de limiter la casse mais il concède lors de cette étape plus d’une minute à Fignon. L’avance du Francilien se porte alors à 26 secondes avant l’avant dernière étape de montagne entre le Bourg d’Oisan et Villard-de-Lans.

A Villard-de-Lans, Fignon remporte sa première victoire d’étape dans ce tour en accroissant son avance à 50 secondes sur l’Américain.
Il ne reste que l’étape d’Aix les Bains à LeMond s’il veut récupérer le maillot jaune, le chrono de la dernière étape sur les Champs Elysées ne pourra jamais lui suffir pour refaire son retard sur Fignon. Il attaque énormément dans cette étape qu’il remporte, mais n’a pas réussi à récupérer la moindre seconde au leader de Super U qui défend bec et ongles sa tunique jaune.
Fignon possède lors de la dernière étape de ce tour 50 secondes au général avant le clm final de 24,5 km. Rien ne peut lui arriver. Même s’il est moins bon rouleur que LeMond, il ne pourra pas perdre son maillot entre Versailles et Paris. Il faudrait pour cela qu’il perde environ deux secondes au km. Pourtant LeMond croit en ses chances. Après 3 semaines de course éprouvante, la fraicheur, la lucidité et la résistance à la douleur pourront faire la diffèrence. L’Américain sort le chrono de sa vie.

Dans son style particulier, Fignon écrase la course, il fonce tout au moins vers la victoire dans cette dernière étape puisqu’il ne peut pas aller chercher le Français. Ce dernier en revanche n’est pas très bien, ses temps intermédiaires sont inquiétants. A plus de la moitié du parcours il a déjà concédé près de 30 secondes à l’Américain. L’impossible deviendrait-il possible?
L’écart monte trop rapidement. Que se passe-t-il pour Fignon ? Fatigue ? Blessure ? Quoiqu’il en soit, des millions de Français sont devant leur téléviseur scotché aux propos des commentateurs d’Antenne 2. L’avance du maillot jaune se réduit comme peau de chagrin.

Dans les derniers kilomètres, l’Américain est mis au courant des déboires du coureur français, il appuie de plus bel sur ses pédales. Il avale les 24.5 km en 26’57’’ à plus de 54,5 km/h, un record. Il devance Marie de plus de 30 secondes. C’est une performance exceptionnelle.

A bout de force, il attend l’arrivée de Fignon sur les Champs Elysées. Les commentateurs d’Antenne 2 comptent les secondes qu’il reste à Fignon s’il veut gagner le Tour. 26’57 », il n’a toujours pas passé la ligne. Il lui reste 50 secondes… 40…20…10…3…2…1… C’est terminé, Fignon perd le Tour pour… 8 secondes. Jean René Godart présent aux côtés de LeMond sur la ligne d’arrivée déclare « Jamais de ma vie je n’oublierai ce moment ». Il a bien compris que nous venons d’assister à un moment d’anthologie.

Fignon s’écroule, épuisé. 27’55 ». Une troisième place ce dimanche, mais un temps insuffisant pour garder son maillot. Il sait qu’il a perdu le Tour. Des années pour revenir à son niveau, des sacrifices et pour 8 petites secondes il perd le tour. 8 secondes soit 80 mètres sur un tour de 3 semaines et de plus de 3000 km. Il avoue ne pas avoir pu courir à son niveau habituel, du fait d’une blessure à la selle après l’étape d’Aix qui l’empêchait de développer le braquet qu’il souhaitait.
Peut-être que si Fignon avait adopté le guidon de triathlète il aurait pu remporter ce tour. Peut-être que s’il avait imité LeMond en adoptant un casque au profil aérodynamique il aurait pu gagner ces quelques secondes qui auraient changé cette édition 1989.


La fin de Fignon, la renaissance de LeMond

Cette défaite sera difficile à avaler pour le natif de. Il lui faudra du temps pour retourner sur les Champs. Il dispute la Grande Boucle en 1990 mais doit abandonner après 5 étapes. Il terminera le tour 1991 à la 6ème position, sa dernière place dans le top 10 dans cette épreuve. Il remportera néanmoins encore une étape sur le Tour en 1992, mais ne jouera plus jamais les rôles principaux. Il termine sa carrière en 1993 par une victoire sur le Tour du Mexique.

Après sa retraite, il s’est reconverti en tant que commentateur sportif. Il collabore tout d’abord avec Eurosport avant de commenter le Tour sur France Télévision en compagnie de Henri Sannier puis de Thierry Adam. Atteint d’un cancer avancé des voix digestives, il commente son dernier tour en 2010 après avoir révèlé sa maladie. Sa voix malade sur cette dernière édition restera dans toutes les mémoires des fans de cyclisme. Il nous a quitté peu après le tour en août 2010.

Greg LeMond sera quant à lui après ce Tour champion du monde sur route à Chambéry en 1989. Il remporte également son dernier tour en 1990 devant Chiapucci et Breukink avant que ne débute l’hégémonie de son ancien coéquipier chez Reynolds Miguel Indurain. Ce Tour 1990 restera comme sa dernière victoire dans un grand Tour, lui qui terminera 7 ème en 1991, juste dérrière Laurent Fignon.
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Le classement par étape du tour 1989 : le dicodutour