Juillet 1956-57

Publié le 06 juillet 2013 par Hunterjones
Un ex-camionneur de Memphis, Tennessee, âgé de 21 ans, aux cheveux teints en noir et à la moue du bébé boudeur change le monde.
Elvis Presley fait plus qu'actionner le mécanisme déclencheur du fantasme collectif féminin; il libére du même coup la tension accumulée à l'intérieur des jeunes hommes ne disposant plus de conflit mondial pour brûler leur testostérone. En Elvis étaient réunis un Valentino doté d'une voix, un Sinatra disposant de plus de pouvoir encore sur les vessies des jeunes filles, un James Dean en gros plan plus sidérant encore que tous ceux que pouvaient inventer Hollywood, bref un héros Rock'n roll à l'allure aussi glorieusement perturbatrice que sa voix.
La drôle de guerre entre les hips et les squares était terminée, Holden Caulfield pouvait cesser d'errer: le bombardement sans merci venait tout juste de commencer.
Une business était née.
Pour la majorité du monde entier le simple nom de l'artiste était aussi incompréhensible que s'il venait de débarquer de Mars. Bill Haley avait au moins un nom qu'on pouvait prêter à d'autres. Tout le monde connaissait un Bill ou un Haley, mais Elvis Presley? Voilà un bien étrange assortiment de syllabes à placer dans une conversation. Plus encore que DiMaggio, Efrem Zimbalist Jr ou Liberace dont certains journaux se croyaient obligés d'épeler phonétiquement (Lee-ber-ach-ee). Les commentateurs étaient tout aussi intrigués par le fait que Presley effectuait ses acrobaties tout en jouant (ou en ayant l'air de jouer) en même temps de la guitare accrochée à son cou. En Amérique, la guitare était un instrument important pour le country ou le blues mais ailleurs dans le monde, la guitare était reléguée loin derrière, comme le plus anonyme des instruments de musique.
Quand les gens ont pour la première fois entendu Heartbreak Hotel, tout l'édifice de rumeurs et de ridicule que les médias avaient érigés autour de Presley s'est effondré. Tout était dans l'intro de la chanson, ce cri angoissé et bourré d'écho énoncant la rupture sentimentale Well since my baby left me... et auquel répondaient les doubles attaques d'une guitare électrique suraiguë. Ce n'était ni une ballade, ni du rock'n roll, c'était en fait du blues dont Robert Johnson et Blind Lemon Jefferson auraient reconnu la structure. Mais alors que le blues traite de sujets adultes, voilà que ce démon du sud des États-Unis s'adresse directement à la première des émotions adolescentes: le mélodramatique apitoiement sur soi. Pour la première fois, n'importe quel adolescent boutonneux plaqué par son amoureuse, pour quelque raison que ce soit, pouvait désormais aspirer à ce refuge métaphorique pour amoureux au coeur brisé, là-bas tout au bout de la rue de la Solitude.

Loin du manque de sens écervelé que les critiques de Presley l'avaient accusé de colporter, les paroles étaient assez claires et habiles pour être disséquées par les jeunes avec leur métaphore de l'Hôtel et de ce groom dont les larmes ne cessent de couler ainsi qu'avec ce concierge vêtu de noir. L'arrangement possèdait la simplicité viscérale d'un blues interprété en public au petit matin, avec sa basse qui fait taper du pied, son agressif piano de bordel et ses rugueux accords minimalistes de guitare évoquant le style bottleneck des bluesmen du delta.
Ces riffs sont toujours efficaces aujourd'hui, après 10 000 écoutes; pour un adolescent de 1956 qui n'avait jamais entendu utiliser une guitare à la manière d'une arme offensive, ils étaient tout bonnement stupéfiants, voire tétanisant. Aucune sonorité n'avait jamais été et ne serait plus jamais aussi parfaitement en accord avec des hormones en folie.

Il y aurait Blue Suede Shoes peu de temps après puis I Want You, I Need You, I Love You, puis Hound Dog et Jailhouse Rock qui viendraient confirmer la légende en devenir. L'année suivante, ce serait Love Me Tender et sa plus merveilleuse à mon humble avis, Blue Moon, pour attendrir l'ensemble et rendre tout ça réèl pour tout le monde, clouant le bec à tout ceux qui parlaient de plaisir éphémère.
L'été suivant, celui de 1957, des milliers de jeunes hommes se montaient des bands comme celui de Gene Vincent et posaient au micro se prenant pour Elvis.

Parmi eux, un grand myope de 17 ans de Liverpool en Angleterre à la chemise à carreaux, leader d'un band plus ou moins affranchi qui débutait sur scène, faisait la rencontre d'un grassouillet joueur de guitare gaucher au festival de St-Peter's à Woolton qui lui jouerait sur une guitare de droitier un difficile morceau d'Eddie Cochran appris quelques jours plus tôt à l'oreille. Il la chanterait en même temps ce qui impresssionerait beaucoup le grand de 17 ans. Le petit en avait 15. Celui-ci présentera au grand myope à son tour et un peu plus tard, un fou de la guitare de 14 ans.

"Je les prends dans mon band, ils sont franchement trop bons, mais il faudra que je les ai à l'oeil, ceux-là" pensera le myope.
Eux aussi réinventeraient l'espace sonore et physique pour toujours.
John & Paul se rencontraient aujourd'hui, pour notre plus grand plaisir, il y a 56 ans.
Merci la vie pour ces 12 mois parsemés de génies.