Le secret bancaire suisse

Publié le 17 juillet 2013 par Raphael57

La révision de l'accord UE/Suisse sur la fiscalité de l'épargne donne lieu à d'interminables négociations. Aux termes de cet accord signé en 2005, la Suisse prélève un impôt sur les revenus de l'épargne des contribuables européens ayant un compte non déclaré en Suisse.

Plus précisément, il est prévu selon cette source que "les agents payeurs suisses opèrent une retenue d’impôt sur le paiement d’intérêts provenant de placements réalisés par des citoyens de l’UE en Suisse; cette retenue atteindra progressivement 35 % d’ici à 2011 (initialement : 15 %; depuis le 1er juillet 2008: 20 %; dès le 1er juillet 2011: 35 %). La Suisse transfère une partie des recettes provenant de cette retenue d’impôt aux pays de résidence des investisseurs, tandis qu’elle en conserve une partie pour couvrir ses frais administratifs". En moyenne, le produit de cet impôt revient à hauteur de 75 % aux États membres concernés de l’UE, le reste étant pour la Suisse. 

Recettes de la fiscalité de l'épargne versées par la Suisse aux pays de l'UE


[ Source : Département fédéral des finances ]

Le point important est que les personnes étrangères qui touchent des intérêts peuvent dès lors choisir entre cet impôt et une déclaration aux autorités fiscales de leur pays. Devinez ce qu'elles choisissent le plus souvent ? L'Union européenne souhaiterait désormais que les autres revenus financiers, à l'instar des dividendes ou des plus-values, soient également concernés... Mais surtout qu'il y ait un échange automatique d'informations en matière fiscale !

Le poids de la finance en Suisse

Commençons par rappeler que la Suisse ne fait pas partie de l'Union européenne, ce qui a contraint le pays a choisir la voie des accords bilatéraux pour sortir de son isolement. Refusant ainsi l'échange généralisé d'informations en matière fiscale pour préserver son secret bancaire, la Suisse a signé, en 2005 avec l'Union européenne, l'accord décrit ci-dessus. Il est vrai que la Suisse est l'une des principales places financières mondiales, avec une forte spécialisation dans la gestion de patrimoines privés et institutionnels :

[ Source : Genève Place Financière ]

Le secteur financier pèse ainsi près de 11 % du PIB du pays. En janvier 2013, selon le bulletin mensuel de statistiques économiques de la banque nationale suisse, les établissements bancaires géraient 4 640 milliards de francs suisses pour le compte de leurs clients, 47 % provenant de clients suisses et 53 % de clients étrangers.

Le secret bancaire en Suisse

Pour le dire simplement, le secret bancaire en Suisse désigne l'interdiction qu'ont les banques de ce pays de livrer des informations sur leurs clients à des tiers. Elle résulte de la loi fédérale sur les banques et les caisse d'épargne de 1934 qui, contrairement à une croyance populaire, n'a pas été instaurée pour éviter que les fonds juifs déposés en Suisse ne tombent aux mains des nazis, mais bien pour des raisons bassement commerciales.


Le secret bancaire suisse reposait jusqu'en 2009 (voir ci-dessous) sur la distinction entre soustraction et fraude fiscale, la non déclaration à l'autorité fiscale (donc la soustraction) n’étant pas suffisante pour lever le secret bancaire. On comprend dès lors pourquoi même si le secret bancaire peut être levé, cela reste tout de même exceptionnel. D'ailleurs, toute violation du secret bancaire tombe sous le coup du droit pénal, qui prévoit des peines d'emprisonnement jusqu'à 3 ans et des amendes pouvant atteindre 250 000 francs suisses.

Evidemment, un tel régime de secret bancaire quasi absolu permet l'évasion fiscale autant que le blanchiment d'argent sale. C'est pourquoi, afin de faire bonne figure, la Suisse a décidé de se conformer, depuis 2009, à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE. Mais il ne s'agit-là que d'un faible engagement à l'échange de données fiscales, puisque les États requérants doivent démontrer la pertinence prévisible des renseignements demandés...

La loi Fatca scelle le secret bancaire suisse


La loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) est l'équivalent d'une bombe atomique envoyée par les États-Unis sur la Suisse. Adoptée en 2010 par le Congrès américain, elle vise à lutter contre l’évasion fiscale des citoyens américains en cette période de finances publiques dégradées.

Elle impose aux institutions financières du monde entier, même celles qui n'opèrent pas aux États-Unis, de donner à l'administration fiscale américaine (IRS, Internal Revenue Service) toutes les informations dont elles disposent sur leurs clients assujettis au fisc américain. En cas de refus, les États-Unis se laissent le droit de taxer à 30 % toutes les activités de cette banque dans le pays - ce qui signifie la mort financière de l'établissement - et menacent même d'aller jusqu'au retrait de la licence bancaire !

Ainsi, la Suisse, mais aussi le Luxembourg et l'Autriche, ont accepté le principe de cette loi sous peine de se priver de l'accès au marché américain. Or, la directive européenne sur la coopération administrative fiscale contient une disposition comparable à celle de la « nation la plus favorisée », ce qui signifie que lorsqu'un État membre établit avec un autre État une coopération plus étendue que celle prévue par la directive, il ne peut refuser cette coopération étendue aux autres États membres.

Par conséquent, la Suisse devra concéder l'échange automatique de données fiscales aux pays membres de l'UE ! Quel que soit le temps qu'il faudra, le secret bancaire suisse est donc condamné à terme... d'où les mouvements importants vers les paradis fiscaux et bancaires asiatiques (Hong-Kong, Singapour,...).

Pour finir, je vous propose de regarder cette vidéo très instructive. Il s'agit de l'audition de Pierre Condamin-Gerbier, ancien banquier chez Reyl & Cie, par le Sénat. Il y a multiplié les révélations sur le système bancaire suisse et sur les techniques d'évasion fiscale, au point de déranger pas mal de monde depuis l'affaire Cahuzac (voir mon billet sur la transparence chez les élus). D'où peut-être son arrestation et son placement en détention préventive en Suisse il y a quelques jours ?

N.B : l'image de ce billet provient de cet article de 20min.ch