Petite Poucette – Michel Serres

Publié le 21 juillet 2013 par Léa Jourjon @leafaitsapub

Aujourd’hui, je vous propose encore une fois un post sur un sujet qui change un peu, puisque je vais vous parler d’un livre. Et il ne s’agit même pas d’un livre qui parle de pub ! Non, ce dont je veux vous parler c’est de « Petite Poucette » de Michel Serres, philosophe des temps modernes. Mais alors quel lien avec le monde de la communication ?

Il se trouve que Petite Poucette, traite de ce qu’on appelle plus couramment la Génération Y. Michel Serres explique pourquoi, comment et quelles conséquences ont les changements majeurs de nos dernières décennies. Or la communication se doit d’être toujours ancrée dans notre époque pour être efficace. Comment peut-on communiquer pour des personnes que l’on ne comprend pas ? Qui plus est, c’est un texte qui concerne ma génération. Je suis une Petite Poucette, même si parfois les changements peuvent aussi me dépasser, ou du moins m’effrayer. Et en lisant ce livre, j’ai eu l’impression étonnante que ce Monsieur, qui pourrait pourtant être mon grand-père, m’avait mieux comprise que moi-même. Que je vous explique un peu pourquoi.

 

Avant tout autre chose, Michel Serres nous explique quels sont les facteurs clés de tous les changements que nous connaissons aujourd’hui. Parmi ceux-ci le labeur qui a changé puisque nous ne sommes plus que 1% à travailler la terre tandis que la grande majorité de nos ancêtres étaient paysans ; une terre qui a également vu le nombre d’humains passer de 2 à 7 milliards le temps d’une vie ; l’espérance de vie qui s’est élevée grâce à l’absence de guerre dans nos régions et aux progrès de la médecine ; l’absence de douleur de manière plus globale qui a changé jusqu’à nos aspects physiques ; le fait que nos naissances aient été désirées, nous sommes donc généralement des êtres attendus, choyés ; la disparition de l’homogénéité des groupes, voire leur effritement, qui a favorisé un nouveau type de socialisation (notamment via internet et ses réseaux sociaux) ; une faculté d’attention qui a été détruite par les médias qui ont réduit la durée des images à 7 secondes (en preuve, peut-être vous lecteurs, qui n’atteindrez pas la fin de ce texte, trop long, et qui zapperez pour autre chose. Défi ?) ; enfin la notion d’accès universel : aux personnes par nos téléphones portables, aux lieux par nos GPS et aux savoirs par internet.

Selon Michel Serres, tous ces changements ont conduit à la naissance d’un nouvel humain : « Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né. » Il pense, parle et vit totalement différemment par rapport à ses ancêtres. C’est leur (notre !) grande dextérité pour taper des textos avec nos deux pouces, qui nous a valu notre nom : « Je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet ».

Une des caractéristiques principales que Michel Serres souligne à propos de notre génération, est tout aussi gore que parlante. A l’image de Saint Denis qui avait marché avec sa tête décapitée dans les bras, nous serions aussi étêtés. En effet, toutes les connaissances sont accessibles grâce aux ordinateurs et à internet, de sorte que nous n’avons plus besoin de faire fonctionner notre mémoire. L’intérieur de notre tête est donc extériorisé de notre corps et rendu objet à travers nos ordinateurs. C’est quelque chose que je ressens vraiment : je suis perdue sans mon ordinateur (ça ressemble quand même à une réplique de geek). S’en suit de ma part une question qui semble logique : « Privés de notre tête, sommes-nous donc tous cons ? ». Michel Serres, son meilleur phrasé et son optimisme, l’aborde sur un autre angle : « Passé la décollation [de notre tête donc], que reste-t-il sur nos épaules ? L’intuition novatrice et vivace. […] Sommes-nous condamnés à devenir intelligents ? ». En gros, le savoir s’est donc distingué de la pensée pour laisser plus de place à cette dernière. Pas si mal que ça, n’est-ce pas ?

Ensuite, Michel Serres souligne que les grands changements de nos sociétés, sont dus à l’évolution du couple support-message :

Avec l’apparition de l’écriture tout d’abord, les Grecs ont donné naissance à la paideia, autrement dit la pédagogie. A la Renaissance, avec l’imprimerie, ce sont de nombreux traités de pédagogie qui se sont répandus, rendant le savoir plus accessible. Aujourd’hui, avec l’apparition d’internet et de tous les outils numériques, c’est la transmission de savoir qui est remise en cause. Pourquoi transposer à l’oral ce que tout le monde peut trouver en écrit ? C’est d’ailleurs ce qui explique la baisse d’attention de nos générations pour les figures qui nous transmettent des connaissances. Et c’est ce qui nous différencie de nos ancêtres, surnommés par le philosophe « Petits Transis », qui étaient soumis aux maîtres, et surtout aux savoirs. Ils pouvaient même être terrorisés par la notion de Savoir Absolu, qui semblait inaccessible et qui pouvait les empêcher d’apprendre. « Jamais n’exista la démocratie du savoir. ». Aujourd’hui, l’accès facile et massif au savoir permet de se libérer de cette soumission : « Les Petits Poucets se libèrent des chaînes de la Caverne multimillénaire qui les attachait, immobiles et silencieux, à leur place, bouche cousue, cul posé. ».

Mais alors, que transmettre ? La réponse de Michel Serres à cette question est qu’il faut inventer. Tout réinventer. L’école, la politique et la société. Tout est devenu désuet. Une phrase m’a d’ailleurs fait réagir : « Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout reste à refaire, puisque tout reste à inventer. ». Ce serait donc une chance que d’avoir nos âges. Voici une nouvelle qui change de ce que l’on a l’habitude d’entendre sur notre génération, qui grandit en temps de crise, qui ne connaîtra que la précarité et qui devra essuyer les excès des générations passées et leurs conséquences. Au lieu de ça, le grand-père des Petits Poucets, nous montre un champ de possibilités infinies. Les temps doivent changer, et nous devons les faire changer. Ça met la pression quand même, non ?

« Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? Je crains d’en accuser les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour vocation d’anticiper le savoir et les pratiques à venir et qui ont, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils n’entendirent pas venir le contemporain. »

Nous serions donc en route vers une société qui ne serait plus structurée autour du travail mais qui rechercherait l’épanouissement. Une société individualisée dans laquelle Petite Poucette ne serait pas une généralité mais une personne unique. Aussi égoïste puisse-t-elle paraître, notre génération est la seule à avoir réussi à réunir un réseau qui soit presque équivalent à l’humanité et qui permet de faire entendre la voix de tous. Un vrai brouhaha, « anonyme, certes, mais individué », synonyme de liberté et d’égalité : « la voix vote en permanence ». Une société où règne le désordre mais où celui-ci est plus propice à l’invention que les cases hermétiques dans lesquelles nous vivions.

Bref, c’est un petit livre philosophique, que je vous conseille grandement, même si ce n’est pas mon domaine de prédilection. Il se lit en une soirée à peine et nous aide à comprendre cette nouvelle société, à positiver sur tous ces changements affolants et nous donne envie d’agir !

Signé d’une Petite Poucette.

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