"Un samouraï d'Occident" de Dominique Venner

Publié le 21 juillet 2013 par Francisrichard @francisrichard

Dominique Venner a achevé d'écrire Un samouraï d'Occident lors du solstice d'hiver, Noël 2012.

Ce livre n'a paru que six mois plus tard, après la mort volontaire de l'auteur le 21 mai 2013. Il porte comme sous-titre Le bréviaire des insoumis.

Pour enlever toute portée à son acte, on a dit qu'il s'agissait d'un acte de désespoir, commis par un penseur de la droite radicale. Point barre.

L'honnêteté intellectuelle est de dire que ce n'est pas la vérité, même si l'on ne partage pas les idées de cet historien méditatif. Ce qui est mon cas. Du moins en partie.

Car les choses sont plus complexes qu'elles n'apparaissent.

Dominique Venner, dans son prologue, explique le sens qu'il donne au mot bréviaire:

"Ensemble d'écrits, de réflexions et d'exemples auxquels on peut se reporter chaque jour pour nourrir sa pensée, ses actes et sa vie."

Et il définit ce que signifie pour lui d'être un insoumis:

"Cela signifie être à soi-même sa propre norme par fidélité à une norme supérieure. S'en tenir à soi devant le néant. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre le monde à dos que se mettre à plat ventre."

Toujours dans ce prologue, il donne le ton de ce qui suivra dans ce bréviaire.

S'il éprouve de la compassion, ce n'est pas pour les immigrés mais pour les Européens "de souche" qui deviennent minoritaires chez eux et qui finissent par n'être plus rien.

S'il est une image qui l'a accompagné dans ses révoltes, c'est celle du stoïque chevalier de Dürer, dont la gravure est reproduite sur la couverture de son livre et qui symbolise la virilité, qui se perd aujourd'hui.

S'il convient que la vie privée est l'affaire de chacun et que le Pacs a consacré légalement le désir d'amour ou d'affection, il pense que l'amour est autre chose:

"Le mariage est l'union d'un homme et d'une femme en vue de la procréation. Si l'on enlève la différence de sexe et la procréation, il ne reste rien, sauf l'amour qui peut s'évaporer. A la différence du Pacs, le mariage est une institution créée en vue des enfants à venir, et pas un simple contrat."

Avant d'être historien et essayiste, Domnique Venner a été un combattant:

"J'ai découvert l'ivresse et les traquenards qu'offre l'histoire en y participant tout jeune à un rang modeste, mais avec un engagement total."

Le parallèle avec Ernst Jünger qu'il a connu et admiré est inévitable.

Dominique Venner voit dans ce qu'il appelle la métaphysique de l'illimité, propre au christianisme, "la matrice des catastrophes présentes et à venir":

"Cette notion d'une autonomie supranaturelle de Dieu est à l'origine de l'idée de l'autonomie et de la liberté des hommes qui émergera beaucoup plus tard: "Tout est possible". Une telle idée est étrangère aux anciens grecs pour qui "libre" signifie conforme à l'ordre rationnel et éternel de la nature."

Deux visions du monde s'opposent alors, entre ceux qui pensent que les hommes "doivent découvrir et observer la loi du monde et de la vie plutôt que la créer" et ceux qui pensent que "la libre volonté humaine est au contraire la source même de la légitimité politique et du bien".

Comme le montre Jean-Louis Harouel dans Le vrai génie du christianisme, ces deux visions se retrouvent chez les chrétiens, la première étant la seule conforme à la parole du Christ, Thomas d'Aquin versus Augustin; elles se retrouvent dans cette distinction faite par Isaiah Berlin, et rappelée à Dax par Damien Theillier, entre liberté négative et liberté positive.

Pour Dominique Venner découlent de cette métaphysique de l'illimité les maux que sont la croissance exponentielle du capitalisme extrême, le monde titanesque de la technique et le pillage de la nature qui en résulte.

Ce que fait l'auteur, n'est-ce pas, tout simplement, le procès de l'irresponsabilité, à la faveur de laquelle les hommes tombent dans la démesure?

Les réflexions de l'auteur font alors un détour par le Japon pour éclairer par avance le suicide qu'il commettra quelques mois plus tard dans la cathédrale Notre Dame de Paris:

"Le seppuku [suicide rituel] n'était pas seulement pour les bushi [guerriers] une façon d'échapper à un déshonneur. C'était aussi le moyen extrême d'afficher leur authenticité par un acte héroïque et gratuit."

La tradition telle que l'entend Dominique Venner "n'est pas le passé, mais au contraire ce qui ne passe pas et qui revient toujours sous des formes différentes":

"Elle désigne l'essence d'une civilisation sur la très longue durée, ce qui résiste au temps et survit aux influences perturbatrices de religions, de modes ou d'idéologies importées."

Qu'est ce qui a résisté au temps? Homère:

"Au sein d'une même culture, la nature des hommes se modifie peu, quelle que soit l'ampleur des changements historiques ou sociaux. Les questions de fonds restent les mêmes: qui suis-je? que sommes-nous? où allons-nous? A ces questions, Homère nous a apporté ses réponses toujours valables, et il est le seul à le faire avec une telle profondeur."

L'exégèse de L'Illiade et de L'Odyssée que fait Dominique Venner est remarquable et convaincante, comme cette phrase sur Homère:

"Il ne conceptualise pas comme le feront les philosophes, il donne à voir, léguant à la postérité un idéal de vie et une poétisation qui, du pire ou du malheur, peut faire surgir cette lumière des sens que nous appelons "beauté" et qui suscite ce frisson admiratif."

Chez Homère la vie n'a pas de valeur en soi:

"Elle ne vaut que par son intensité, sa beauté, le souffle de grandeur que chacun - et d'abord à ses propres yeux - peut lui donner."

Quel est legs d'Homère aux Européens de l'avenir? Cette triade:

"La nature comme socle, l'excellence comme but, la beauté comme horizon."

Les vertus chantées par lui ne sont pas morales mais esthétiques:

"Pas d'interdit lié au sexe, au plaisir ou à la force, seulement le sens de la mesure et des engagements réciproques."

Qui ont ce sens de la mesure et des engagements réciproques sinon les stoïciens? Les "vieux" Romains fondaient leur comportement sur gravitas, virtus et dignitas:

"Gravitas, la grandeur d'âme, englobent les deux autres notions: la virtus, courage moral, et la dignitas, proche de ce que sera l'honneur pour la noblesse européenne."

Dominique Venner soutiendra toujours "le droit fondamental de tous les êtres humains à posséder leur propre patrie, leur culture, un enracinement qui permet d'être soi, chez soi, et de ne pas être rien":

"Comme les plantes, les hommes ne peuvent se passer de racines. Mais leurs racines ne sont pas seulement celles de l'hérédité, auxquelles on peut être infidèle, ce sont également celles de l'esprit, c'est-à-dire de la tradition qu'il appartient à chacun de se réapproprier."

Dominique Venner pense que l'Europe est entrée en dormition, mais que les Européens se réveilleront, il ne sait quand, et qu'alors, à partir de leurs racines grecques et latines, ils réinventeront une Antiquité vivante.

En attendant ce réveil, qu'il ne verra pas, il ne faut pas se contenter de paroles et d'écrits:

"L'effort intense de refondation doit être authentifié par des actes ayant une valeur sacrificielle et fondatrice."

C'est le sens de son immolation devant l'autel de Notre Dame de Paris, qui requiert respect sinon approbation.

Francis Richard

Un samouraï d'Occident, Dominique Venner, 320 pages, Pierre Guillaume de Roux