Chagall entre guerre et paix, au Musée du Luxembourg (Paris 6)

Publié le 26 juillet 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

Chagall nait en 1887 en Russie et meurt presque centenaire. Son œuvre est indéfectible de l’histoire, qu’elle reflète bien, autant que son histoire personnelle. Imprégné de sa terre natale, sa peinture s’inspire de la tradition juive, en dépeignant la vie du village (le shtetl, qui désigne un village dans les pays de l’Est), ses habitants, ses coutumes, et son folklore. Il mêle à ces éléments, son vocabulaire pictural propre, peuplé de symboles issus de son vécu. Se disant « rêveur conscient » ses toiles oscillent entre les compositions épurées et la profusion des éléments, entre des couleurs lumineuses ou apaisées, contrastant avec la noirceur ou la violence de certaines autres, entre les sujets de guerre et de paix.

Chagall a traversé les deux guerres mondiales, la première en Russie suivie de la Révolution Russe de 1917 et ses diktats esthétiques, la seconde durant son exil aux Etats-Unis, il a vécu l’entre-deux-guerres en France pendant laquelle il s’adonne à un très long travail d’illustration de la Bible et durant ces années il suit ses intuitions oniriques, avant de vivre la période d’après guerre, et un nouvel apaisement dans le Sud de la France.

Difficile à classer, refusant l’étiquette surréaliste, il apporte sa vision personnelle aux événements, livrant par son œuvre un message autant historique, unique, et universel.

La Russie en temps de guerre

L’exposition commence en 1914, lorsqu’il est âgé de 27 ans. Il a effectué un séjour de 3 ans à Paris qui le marque beaucoup et qui influence son œuvre. Lorsqu’il revient en Russie en 1914, il s’y retrouve coincé en raison de la première guerre mondiale. Il rejoint néanmoins sa future femme, Bella, qu’il épouse en 1915. Elle est sa source de bonheur et d’inspiration.

La période qui suit leur mariage est heureuse, sa production picturale représente des couples heureux, comme Les amoureux en vert. Dans cette composition dynamique en diagonale, le temps semble suspendu, le cadre est rapproché de manière à ne conserver des personnages, que l’essentiel : leurs visages et leur expression sereine. Hors du temps, ce tableau utilise une gamme restreinte de couleurs qui accentue l’impression de simplicité. C’est Bella qui est représentée et ce tableau sera conservé par le peintre jusqu’à la fin de sa vie.

« La peinture m’était aussi indispensable que la nourriture elle me paraissait comme une fenêtre a travers laquelle je m envolerais vers un autre monde. »

Pendant cette période, en Russie, Chagall peint avec un plus grand réalisme, beaucoup de scènes du quotidien, comme dans les toiles Bella et Ida à la fenêtre ou Vue de la fenêtre à Zaolchie.

On note ici aussi la composition, l’impression de simplicité et de paix, et on note l’importance du motif de la fenêtre, symbole de l’ouverture sur le monde. Dans le dernier tableau, il s’agit de l’illustration d’un épisode précis, qui dépeint un séjour effectué après leur mariage. Ici le sujet devient la fenêtre elle-même, reléguant au second plan le couple et le paysage. Etant close, elle figure une barrière protectrice pour le couple, dans un contexte de guerre qui menace en ce temps, aussi obscurément que la forêt représentée en arrière-plan.

Chagall vit et illustre la mobilisation des troupes en 1914-1915, à Vitebsk, sa ville presque natale, et de cœur, qu’il représente régulièrement. Il évite lui-même la mobilisation en 1915 grâce à son beau-frère et passe son temps dans un bureau à Saint-Pétersbourg. Il témoigne alors de la guerre et de ses conséquences sur la population. La série de dessins, portraits ou scènes, présentée dans cette section est très forte. On y voit des blessés, des réfugiés, des familles entière (le chat compris), les soldats, la déportation juive. Rapidement Chagall dénonce par son œuvre l’inutilité de la guerre, il assume ainsi son engagement politique.

Il représente beaucoup de juifs errants, de rabbins, et traduit par ces peintures sont attachement particulier à cette ville dont il parle en ces termes «  Ce n’est que ma ville, la mienne, que j’ai retrouvée. J’y reviens avec émotion ». Ainsi, il installe dans ces années, certains des motifs qu’il replacera par la suite au cours de son œuvre : le musicien des mariages juif, les personnages flottants survolant les villes par exemple. Dans le tableau Au dessus de Vitebsk,  il montre que le personnage du juif errant, n’a sa place nulle part, et qu’il se trouve selon le proverbe yiddish « au dessus des maisons ».

Les couleurs utilisées accentuent la tonalité mélancolique, qui correspond au sentiment qu’il éprouve après son séjour à Paris.
Dans le tableau le vieillard et le chevreau, il introduit l’animal pour représenter la vision familière qu’il pouvait avoir dans le shtetl, mais aussi pour symboliser le peuple juif car c’est un animal souvent sacrifié.

Il quitte la Russie après la révolution et il en sort déçu par l’imposition de diktats esthétiques. Il s’installe à Berlin puis à Paris en 1923. Il est reconnu et exposé. Il collabore à cette époque avec Ambroise Vollard, et il illustre des livres comme Les Ames mortes de Gogol, les Fables de La Fontaine, et surtout la Bible. Cette expérience marquante l’inscrit dans la série des illustrateurs historiques. Il effectue à ce moment un voyage en Palestine en 1931 qui le bouleverse. Il dira « En Orient, j’ai trouvé la Bible et une part de moi-même. » Ce travail l’obsèdera toute sa vie, il choisit d’ailleurs de représenter des scènes de vie des patriarches et des prophètes.

Dans le tableau Abraham prêt à immoler son fils Isaac, on voit l’ange qui arrête son geste. Cela correspond à l’époque où les œuvres de Chagall sont brûlées sur les autodafés et le projet de gravures ne verra le jour que dans les années 1950, après la mort de Vollard. Dans la toile, Songe d’une nuit d’été, le sujet est directement emprunté à Shakespeare et représente Bottom et Titania, la reine des fées. Mais les personnages sont étranges, il représente le tisserand avec une tête de bouc (au lieu d’une tête d’âne), animal sacrificiel dans la Bible et s’y identifie. Le couple incarne lui et Bella. Il affirme en 1947, lors d’une conférence de presse, « il n’y a pas de contes de fées dans mes peintures ».

La série de tableaux présentés dans cette section témoignent de l’importance du rêve chez Chagall. C’est un moyen pour lui de brosser avec détails sa subjectivité, de développer un monde, fort de ses symboles, où cohabitent l’Histoire et son vécu.

Avec la montée du nazisme, les temps deviennent menaçants. Ses toiles reflètent des motifs noirs, et il choisit la forme allégorique pour représenter la Shoah. Depuis le début de son œuvre, il a peint le Christ, dans le tableau Exode, il l’associe surtout à la figure de l’humanité. En peignant l’épisode de l’Ancien Testament, au cours duquel Moïse mène le peuple hors d’Egypte vers la terre promise, il relègue Moïse en bas à droite, et se concentre sur la foule apeurée. La raison de sa crainte devient la guerre, l’incendie figure les événements. Dans le coin haut gauche, le naufrage fait référence à celui de l’Exodus en 1947. On note qu’il juxtapose les scènes sans se soucier des proportions.

Dans le triptyque, Résistance, résurrection, libération, en 1937, il installe ses symboles et les faits historiques, en faisant un usage de la couleur intéressant. Dans les deux premiers tableaux, où le propos est fort, l’alliance de rouge et de jaune soutient la violence, dans le dernier qui représente la paix, les couleurs dominantes sont inversées (le jaune prend le pas sur le rouge) et installe la sérénité en s’appuyant sur ses propres symboles : le violoniste, le couple aimant notamment.

En 1944, pourtant Chagall est confronté à une autre épreuve, celle de la mort de Bella. Sa production est puissante.

Dans la Résurrection au bord du fleuve, il utilise la couleur par grandes masses, l’incendie rouge recouvre la ville. Le Christ crucifié flotte au dessus, dans le ciel, arborant la seule autre couleur du tableau. Dans la masse violette, on retrouve les amoureux, la mère en pleurs, le musicien, et une jeune fille plongée dans sa lecture. Le peintre est présent en haut à droite, dans un corps mi-homme mi-âne (en référence à la Bible) . Il regarde les événements de l’autre côté de la rive, il en est le témoin.

Cette période de deuil est douloureuse, Bella hante ses toiles, suivie par bon nombre de symboles. Ses toiles sont comme un journal, il se confie à la peinture. Ainsi dans la Nuit Verte, le Cheval Rouge, ou A ma femme il dépeint son état d’esprit.
On discerne ainsi dans le Cheval Rouge, l’animal qui se découpe sur le noir du ciel. Un traineau s’envole, le rideau rouge de l’Arche Sainte avec le rouleau de la Torah, les lions avec les tables de la Loi, qui figurent un moment où le destin hésite. Chagall apparait sous les traits de Janus, avec un double profil, représentant la vie passée et sa vie à venir.

Dans A ma femme, la structure tripartite est évidente. On reconnait Bella, allongée, posant à droite de la toile, comme le faisaient les modèles classiques. A sa gauche, des mariés, et avant eux encore à gauche, un ange. Dans les symboles, l’horloge ailée représente la fuite du temps. En arrière plan on reconnait Vitebsk, où ils se sont rencontrés et mariés. Ce tableau présage de la mort de sa femme, il le termine juste avant sa disparition.

Dans les années 1950, il retrouve une certaine paix, et il rejoint le Sud de la France, à Vence. Il côtoie Matisse, et il fait la rencontre de sa future compagne. Ses dessins sont apaisés et joyeux. Dans le dessin préparatoire de Sirène et poisson, on reconnait la baie paisible et la nouvelle venue dans son bestiaire, la sirène.

Dans le Paysage Bleu, on mesure la poésie de son art. Le poisson d’argent se métamorphose en croissant de lune, les amoureux sont réduits à l’essentiel, et ne sont plus que des têtes flottantes, avec une expression paisible. Leur félicité est symbolisée par le bouquet, et un oiseau chante leur bonheur.

Dans le Monde rouge et noir, il s’agit d’une gouache préparatoire. C’est le carton pour une tapisserie, car Chagall s’intéressait à ces techniques de vitraux etc… On perçoit les 3 couleurs primaires, et le triangle décrit par les lignes blanches. Il convoque alors tous les motifs de son vocabulaire pictural : la chèvre associée à son enfance, le musicien des mariages juif, le chandelier allumé symbole de la création artistique, le coq, et la femme qui est Virginia McNeil.

C’est le tableau, La danse, qui clôt l’exposition. Il s’agit d’une commande pour le théâtre londonien de Watergate, et le projet fut abandonné par le commanditaire. Il représente le monde du cirque et de la danse. Cette dernière est assimilée à une action de grâce ou à une prière : dans la ronde paysanne qu’elle figure à Vence, on voit s’organiser la ribambelle de ses personnages. Le peintre est présent, la palette à la main. Le mouvement tournoyant est perceptible, l’être hydride l’orchestre. C’est une très belle ode à la liberté et à la vie.

Cette exposition présentée au Musée du Luxembourg, est désormais terminée.

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