L'économie expliquée à Fleur Pellerin : il n'est de richesse que d'hommes libres

Publié le 30 juillet 2013 par Copeau @Contrepoints

Il n'est de richesse que d'hommes. En produisant, en créant, en échangeant, les hommes créent la richesse. Et tout cela leur est rendu possible par un pouvoir unique : penser.

Penser permet de choisir le meilleur investissement compte tenu des ressources rares dont chacun d'entre nous dispose : temps, énergie, attention, argent. Des individus aux ressources similaires n'auront pas la même vision du meilleur investissement, car ils ne valorisent pas les choses de la même façon. Ils n'ont pas les mêmes préférences.

Pour vous en rendre compte, offrez 2 euros aux meilleurs élèves d'une classe pour récompenser leur bon travail. Certains choisiront de les dépenser à la boulangerie pour acheter des sucreries, certains chez le primeur pour acheter des fruits, certains dans un magasin de farces et attrapes, certains vont mettre l'argent dans leur tirelire pour acheter quelque chose de plus couteux plus tard, certains vont donner l'argent à quelqu'un d'autre. Leurs propres décisions reflètent leurs préférences : court terme ou long terme, consommation ou épargne, sucreries ou amusement, charité...

Certains choix paraitront plus raisonnables et le sont sans doute. Les sucreries peuvent provoquer des caries et des problèmes de santé ; les farces et attrapes peuvent être dangereuses. Si on aide parfois les enfants à choisir, c'est parce qu'on estime qu'ils ne se montreront pas forcément responsables et ne sont pas en mesure de prendre eux-mêmes les bonnes décisions.

Il en va de même des adultes. Avec leurs revenus, en dehors de leurs premières nécessités – tout le monde n'a pas les mêmes – les adultes peuvent consommer ou épargner, et même investir dans leurs projets ou ceux des autres. Ils font leurs propres choix. Certains préféreront faire l'acquisition d'un écran plasma, d'autres économiser pour un voyage, d'autres encore utiliser leurs revenus pour en générer d'autres plus tard ou éviter d'autres dépenses en devenant propriétaires. C'est leur choix.

Mais revenons aux enfants. Si on considère qu'ils ne sont pas assez responsables, on peut mettre en place un programme de prévention. On leur remettra un petit fascicule en même temps que les 2 euros, devenus 1,9 euros (il faut bien que quelqu'un paie pour le fascicule). S'ils veulent quand même des bonbons, ils en auront moins ; s'ils n'en veulent pas, ils paient pour les irresponsables. Idem pour les farces et attrapes : un adulte sera engagé pour superviser les enfants, qui toucheront dès lors 1,7 euros (il faut bien que quelqu'un paie pour la surveillance). Ceux qui voulaient des farces et attrapes en auront moins ; ceux qui n'en voulaient pas paient pour eux.

On peut cibler la prévention, en faisant payer les consommateurs. Par exemple, une taxe sur les bonbons et les farces et attrapes ne touchera pas les consommateurs de fruits ou ceux qui veulent épargner. Mais ceux qui veulent quand même des bonbons en auront moins ; leur pouvoir d'achat, leur richesse diminue.

On peut aussi estimer qu'il est injuste que certains enfants reçoivent 2 euros et d'autres non, et redistribuer. On peut estimer qu'ils n'ont pas tout à fait mérité ces 2 euros ; les moins bons élèves de la classe leur ont sans doute, d'une certaine façon apporté quelque chose ; et ils n'ont sans doute pas eu les mêmes chances.

On pourrait ajouter de nouvelles dispositions : proposer aux enfants d'élire un chef pour décider quoi faire de cette manne inespérée, embaucher quelqu'un pour gérer la redistribution, je suis sûr que vous saurez compléter cette liste d'un tas d'idées très inventives.

Si je pense qu'il faut vous expliquer des choses aussi simple, madame Pellerin, c'est parce que j'ai vu que vous souhaitiez que se développent en France des start-ups, de l'innovation, l'économie numérique et toute la richesse qu'elle peut apporter. Les possibilités sont très nombreuses, l'innovation va de plus en plus vite, et on ne peut que souhaiter que l'économie se développe et que les gens s'enrichissent via de nouvelles technologies.

Pour faire émerger en France vote "Silicon Valley européenne", vous allez dépenser 200 millions d'euros pour créer des quartiers numériques qui seront développés par les collectivités locales.

Ces zones devront réunir start-up, universités, centres de recherche et grandes entreprises, proposer une offre "immobilière attractive" et des infrastructures de communication à "ultra-haut débit".

En faisant cela, votre objectif est que se développent l'économie numérique et l'innovation. Mais vous mettez l'accent sur l'immobilier et l'infrastructure pour attirer et développer entreprises et centres de recherches.

Vous fondez votre action sur une observation : l'innovation se développe le plus souvent au sein d'environnements propices, dans des zones géographiques localisées. Il est pratique pour les entreprises d'un même secteur de se développer à proximité les unes des autres et de fonctionner en réseau : la City de Londres, les quartiers dynamiques de Berlin, la Silicon Valley et Wall Street vous font sans doute un peu rêver. Je suis désolé d'être le noir messager et de briser vos espoirs, mais ça ne fonctionnera pas.

Ça ne fonctionnera pas, parce que, comme je vous l'expliquais, l'économie repose sur les choix des individus. La création, la production et l'échange ne peuvent pas être rendus dynamiques. Lorsqu'on injecte beaucoup d'argent public ou de billets fraichement imprimés de façon plus ou moins ciblée, on crée au mieux des bulles.

On peut en revanche rendre un peu de son dynamisme à une économie qui l'a perdu, et ce n'est pas compliqué : il suffit de laisser faire les hommes et de laisser passer les marchandises. Il n'y a pas d'autre moyen : laissez les individus décider, laissez les gens faire leurs choix. Rendez leur leur liberté et la responsabilité de leurs décisions.

Au lieu d'injecter 200 millions pour encourager les collectivités à aménager des quartiers en espérant qu'ils attirent des entrepreneurs, des chercheurs et des entreprises, ne dépensez pas ces 200 millions. Vos collègues tenteront sans doute de dépenser cet argent à votre place, et vous ne pourrez pas vraiment le leur reprocher – après tout, vous dépensez l'argent des Français à leur place – mais vous devez tenter de les convaincre.

Vous devez tenter de les convaincre qu'ils ne doivent pas décider de la façon dont les Français doivent dépenser leur argent et, plus généralement, de la façon dont ils doivent vivre leur vie. Ce ne sont pas des enfants ; laissez-les faire leurs propres choix, avoir leurs propres succès, commettre leurs propres erreurs : c'est comme cela qu'on apprend.

J'espère que vous apprendrez avant qu'il ne soit trop tard que décider à la place des autres est contre-productif et dangereux. Vous pourrez alors faire en sorte de protéger ce qu'il y a de plus important pour que les gens puissent se concentrer sur l'essentiel : protégez leur liberté, laissez les jouir des fruits de leur travail et assurez-vous que personne ne s'en prenne à eux sans raison. Libérés de la menace permanente de la violence et des entraves qu'on pourrait leur poser, soyez certains qu'ils créeront de la richesse. Il n'est de richesse que d'hommes libres.