Le piège Valls dans lequel nous sommes tombés, y compris lui.

Publié le 05 août 2013 par Juan
Le ministre de l'intérieur suscite toujours autant de critiques. Et pourtant, c'est le ministre le plus populaire de la Hollandie. Ses critiques de droite y voient un dangereux rival qu'il faut abattre. Ses critiques de gauche le considèrent comme un héritier assumé de Sarkozy.
Vous n'avez rien compris. 
"La politique de la peur"
Si la défense de l'ordre était un thème historiquement porteur à droite, la lutte contre l'insécurité était l'ADN politique de Nicolas Sarkozy. Il s'est politiquement construit sur ce thème dès son retour aux affaires en 2002. Il surfait sur un climat et un contexte. Un climat savamment entretenu par des médias, instrumentalisé par la droite et l'extrême droite; un contexte – la défaite de la gauche accusée de laxisme. La politique de la peur, faire peur de cette résurgence prétendu d'une insécurité redoutable, monter en épingle le moindre crime ultra-violent, aussi violent que marginal, telle était la recette d'un sarkozysme que certains voudraient aujourd'hui, à gauche comme à droite, oublier pour mieux écrire l'histoire à leur compte.
Les critiques que nous portions contre Nicolas Sarkozy concernaient sa parole et ses actes. Nul besoin de chercher loin, elles sont toutes encore consignées sur ce blog.
  1. Sarkozy avait le verbe haut et clivant. Il désignait en permanence des boucs-émissaires de toutes natures dans des discours publics et répétés, filmés et relayés. Il était capable d'user de tous les artifices pour faire peur dans les chaumières: le délinquant savait être bronzé, jeune, moyennement français, pas franchement gaulois, père absentéiste, « barbare » sans rémission possible. En juillet 2010, Sarkozy osa le lien immigration=délinquance si chère à l'extrême droite. Dans un moment d'égarement, Chirac avait osé évoquer le « bruit et l'odeur ». Sarkozy le surpassait dans le verbe et la ténacité. Si on le pensait encore républicain, on pouvait, on devait le qualifier de « Voyou de la République », c'est-à-dire prêt pour une réélection qu'il rata fort heureusement. In fine, le discours sarkozyste reposait sur un triptyque désastreux: (1) une approche binaire de la délinquance (le Bien contre le Mal), appuyée sur des boucs-émissaires; (2) un discours uniquement répressif; (3) une instrumentalisation politique de la sécurité et de la délinquance.
  2. Sarkozy multipliait les lois (une quinzaine pendant cette décennie perdue; rétention de sûreté et peines planchers en août 2007, filtrage des sites internet Loppsi II, décret anti-cagoule depuis juin 2009, loi anti-bandes, videoprotection prétendument facilitée, légalisation des milices privées, dépistage obligatoire de maladies sexuellement transmissibles, autorisation des contrôles d'identité et fouille sans motif par les polices municipales, etc.) mais réduisait les moyens des forces de l'ordre. On n'oubliera pas que la critique récurrente que nous portions contre le sarkozysme sécuritaire fut d'avoir détruit la proximité de la police (avec au passage, la police de proximité), réduit le nombre de policiers et gendarmes, préférer la video-surveillance et les opérations-spectacles de type commando à l'action longue et proche.
"L’unique réponse à ces outrances est très simple : attaquer Sarkozy sur son propre bilan en matière de lutte contre la délinquance. L’homme a échoué, depuis 2002. Lui renvoyer ses résultats comme un boomerang en pleine figure est la meilleure stratégie de réponse." Juan, 4 août 2010.
Ses résultats furent médiocres: malgré des trucages statistiques en tous genres ("près d'un quart des cambriolages ont été escamotés l'an dernier dans certains arrondissements parisiens" relatait Marianne !), le nombre d'atteintes physiques contre les personnes n'a cessé de progresser –  381.000 en 2002, 411.000 en 2005, 434.000 en 2006, 433.000 en 2007 (année électorale), 443.000 en 2008, 456.000 en 2009, 467.000 en 2010, puis 468.000 en 2011 ! Pour masquer cet échec , l'ancien ministre de l'intérieur noyait ses résultats dans l'immense quantité de délits mineurs et une politique du chiffre fondé sur l'arbitraire.
Désinstrumentaliser la lutte contre la délinquance A gauche, l'un des objectifs centraux de l'opposition fut de de récuser l'idée que la lutte contre la délinquance puisse être un enjeu de clivage politique. Il fallait sortir le sujet de nos débats, la société est en crise sur des sujets d'emploi, d'inégalités, d'avenir. L'insécurité agitée comme un épouvantail agissait comme un nouvel « opium du peuple ». Chez François Hollande ou Bayrou, chez Martine Aubryou Billard, chez Arnaud Montebourg, Manuel Valls, ou Jean-LucMélenchon, même au sein d'EELV (cf. Jean-Vincent Placé), la lutte contre l'insécurité ne pouvait plus être l'alpha et l'omega de la vie politique française. On sait sinon à qui profite cette instrumentalisation des peurs.
On ne reprochera donc pas ici à François Hollande de tenter d'extirper l'insécurité du débat politique. Il faut rompre avec la « politique de la peur » si chère à Nicolas Sarkozy comme à ses prédécesseurs, si chère aussi à certains qui se voudraient ses successeurs. Ces Racailles de la vie politique méritent l'oubli ou le mépris.
A l'inverse, Hollande arrache, progressivement, un à un, les arguments sécuritaires de la colonne vertébrale idéologique du sarkozysme.
Valls n'est qu'un bras. Est-ce le bon ?
Certains à gauche ne supportent pas la chose. Ainsi nos confrères de Barbordages défendent-ils l'idée que proclamer que la sécurité n'est ni de droite ni de gauche serait un grossier mensonge, une maxime de droite voire frontiste. 
C'est leur erreur, une erreur politique majeure que de ne pas comprendre cet enjeu. Ignorer qu'il faille expliquer et prouver que la sécurité du « vivre-ensemble » est correctement gérée est une aberration politique. Certains ne comprennent pas physiquement l'enjeu. Peut-être n'ont-ils pas vécu cette incompréhension qui naît quand le débat politique s'égare dans la sécurité pour négliger l'égalité. 
Mais toute aussi majeure est l'erreur qui consisterait à reprendre la parole et les actes du sarkozysme sécuritaire sans y changer grand chose.
L'échec de Valls De ce point de vue-là, Valls a pour l'instant échoué. La véritable critique est d'évaluer comment Valls s'y prend. Faire l'autruche sur les politiques de sécurité et de prévention est une aberration que nous laisserons à d'autres.
Avec Valls, le discours a changé, mais insuffisamment. Il n'y a plus ces grands discours – ni dans la bouche du Président de la République, ni même dans celle de son ministre de l'intérieur, qui clivent le pays, exhibent des boucs-émissaires, surfent sur le moindre fait divers. Valls n'explique pas que l'Islam pose un problème à la France comme lors de ce funeste débat sur l'Identité Nationale conduit par un Eric Besson trop soucieux de donner quelques gages à ses nouveaux patrons.  
"S’attaquer aux musulmans de France (…) c’est s’attaquer à la République" Manuel Valls.
Mais il y a encore ces formules malheureuses et détestables qui nous restent en travers de la gorgeet de l'esprit: « les occupants des campements ne souhaitent pas s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution». 
Manuel Valls se montre trop. Hollande l'a vu. L'équilibre est fragile. Pour montrer que le sujet est « traité », il faut se montrer. C'est la triste loi du genre médiatique, à gauche comme à droite. Hollande s'en est ému début juillet, quand son ministre a surjoué le Sarkozy de gauche en Camargue devant quelques taurillons. Dé-instrumentalisersuppose de ne point trop en faire. Que le ministre fanfaronne ici ou là et l'on s'inquiète: finalement, il n'a rien compris. Oui, à Trappes, il n'a laissé aucune prise aux accusations de laxisme. Mais non, là-bas, il ne devait pas ignorer toutes les versions des « évènements » avant de (sur-réagir). 
Autre erreur, dès le 16 mai 2012, la gestion des flux migratoires est malheureusement toujours rattachée au ministère de l'intérieur. C'est une erreur politique. Inclure l'immigration dans le maintien de l'ordre est une aberration. La rétention de 20 enfants sans-papiers, c'est peu mais c'est trop. C'est inutile, moralement insupportable, politiquement désastreux. Il y a aussi ces interpellations, et, osons le mot, ces « rafles » comme dans le XVIIème arrondissement de Paris, en juin dernier.  On devait aussi critiquer la décision de rétention de 12 heures plutôt que la garde à vue normale pour vérifier les papiers d’un clandestin.   Sous Manuel Valls, on a expulsé davantage que sous Brice Hortefeux ou Nicolas Sarkozy ministre, 36.822 expulsés en 2012. Soit. Il y a des règles. Si elles ont sont mauvaises, changeons-les ! Mais une frange de l'opposition de gauche n'a pas compris que le respect des règles supposait des sanctions quand ces dernières n'étaient pas respectées.
Contre les bavures policières, on n'entend pas de changement de discours. On peut, on doit savoir être ferme sans avoir besoin d'applaudir d'abord le moindre écart d'un policier surchauffé par une décennie sarkozyste.
Le « feuilleton Rom » est emblématique de cet échec collectif: au gouvernement, Valls a raté la gestion d'une question épineuse. A gauche, son opposition s'est engouffrée dans le fait divers en couinant qu'il était « horriiiiiible » comme Sarkozy. Ramener les déclarations du ministre à l’immonde discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy était et demeure une caricature grossière et contreproductive.  A droite, les anciens suppôts sarkozystes ont braillé que Valls faisait comme leur ancien mentor. Sur le terrain, les associations déplorent et se plaignent de ces coups de mentons ministériels parisiens. 
Bref, le fiasco est … total.
 
Manuel Valls a aussi trop longtemps tardé sur l'affaire des récipissés: il s'agissait de promettre qu'un fonctionnaire de police délivre un récipissé à chaque contrôle d'identité. Finalement, le ministre a cédé en mai dernier, en annonçant que les policiers seraient immatriculés de façon visible.
Au final, Manuel Valls a échoué car s'il convainc largement l'électorat sondé à gauche et même à droite, il n'a donné aucun corps à une politique désinstrumentalisée de lutte contre la délinquance. 
C'est là la pire des nouvelles, le pire des échecs.
Pour la gauche. 
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