La porte
La porte est close. C’est la bonne, celle que j’ai moi-même fermée, alors que les hasards me courtisaient. Huit mois déjà. Des mois d’aventures, de satisfactions, d’espoir, de doutes. Les grains de sable se sont échoués dans les dossiers et les rencontres. Les défis se sont succédé, ont été relevés. Mais au plus profond de moi, le vide était là. Ce lieu me manquait, avec ses textures, ses arômes, ses saveurs, ses bruissements, ses couleurs. Au début, j’ai cru pouvoir oublier. Or, comme le dit un proverbe bouddhiste : « Le moine en fuite n’échappe pas à son monastère. » Ce qui est en soi demeure en soi. La fuite n’y change rien. Chaque jour, j’y pensais donc. Et si je revenais…
Les circonstances ont changé. Le questionnement s’est accru. Un jour, j’ai tranché. Toujours ces choix à faire. J’ai quitté le chemin qui m’avait charmé. Non sans mettre la table pour la relève qui viendrait. Enfin, l’heure du retour sonna.
Aujourd’hui, je m’approche donc de cette porte. Je brûle de la frôler, de sentir ses rugosités, d’y produire ce « toc-toc-toc » feutré et familier, de la franchir, d’entrer, de déployer mes pensées au service de la fratrie. J’ai hâte de signifier mon retour, là, après ma fuite. Oserai-je vraiment ? Pudeur de celui qui craint. Le « que dira-t-on » fait peur. « Tiens, le revoilà, celui-là ! » qu’on s’exclamera peut-être. Quel doit être l’accueil pour celui qui est parti, a prospecté dans la vie, réintègre le bercail, fort de nouveaux acquis ? Son bagage s’est alourdi. Maintenant qu’il renaît, il veut le semer à qui écoutera. Si la porte s’ouvre…
J’approche. Est-ce le bon jour ? Suis-je encore inspiré ? Me reniera-t-on pour mon absence ? Que dirai-je pour qu’on me pardonne ? Les questions tourbillonnent.
Voilà, j’y touche presque. Qu’elle est sublime, cette porte ! Qu’elle est faste ! Là, juste devant moi, close, mais accueillante. De la voir, de la humer, me réconforte. Bien sûr, le temps a fait son œuvre. Elle n’a pas si changé pourtant, mais n’est plus tout à fait la même. Elle s’est épanouie, est devenue une grande dame. Depuis mon départ, elle a continué son chemin, là, à la même adresse. Elle a bravé le destin, y a déniché des perles.
J’arrive ! J’inspire une pleine bouffée de courage. Je frappe enfin, j’attends. La vie est une éternelle espérance. J’espère donc, le temps s’éternise, la minute imite les heures. Alors, pour tuer l’attente, je contemple la porte. L’inscription est toujours là, belle, fière. « Le Chat Qui Louche ».
La porte s’ouvre. J’exulte. Les questions s’évanouissent. Qu’il fait bon revenir chez soi !
© Jean-Marc Ouellet 2013