Les Damnés- La lignée des Petrova- Chapitre 4

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Quelques heures auparavant 

Milan semblait écouter patiemment les récriminations du propriétaire de la taverne à l’encontre d’Ivan. L’homme qui, excédé, montrait par des gestes amples et désordonnés les dégâts provoqués par ce dernier, ne remarquait même pas que son interlocuteur était plus préoccupé par les deux hommes  installés au fond de la salle que par ses jérémiades.

- Combien ? finit-il par demander à l’encontre du tavernier pour mettre fin à la discussion.

L’autre stoppa aussitôt son flot de paroles et considéra un moment la question en se grattant la tête. Après avoir estimé à vu de nez le préjudice – qu’il multiplia  aisément par deux-, l’homme sans scrupule annonça d’un trait une somme complètement exorbitante que Milan, à sa grande surprise, ne chercha même pas à contester. Il ne put réprimer un sourire de satisfaction en le voyant tirer de sa bourse quelques pièces qu’il lui colla dans les mains avant de rejoindre sans un mot les deux hommes qui regardaient la scène en silence.

Il prit place à leur table, le visage renfrogné et la mâchoire crispée, en maudissant ce coup du sort qui avait amené les deux vampires dans le village au pire moment.

- On aurait pu arranger cela autrement. Nous  aurions pu l’hypnotiser : il ne se serait souvenu de rien, proposa Elijah à voix basse quand la serveuse se fut éloignée en désignant d’un discret mouvement de tête le tavernier qui fanfaronnait devant les autres clients.

- Ce n’est pas votre problème, lâcha Milan en jetant un coup d’œil furtif en direction de Klaus qui s’était relevé pour se planter devant la fenêtre.

Cette situation, qu’il n’avait jamais cru ou plutôt espéré possible, l’exaspérait décidément au plus haut point. Se trouver face à l’homme qui, en quelque sorte, lui avait pris la vie qui lui était destinée et tomber sur ce fils qu’il ne pensait plus jamais revoir, ne faisaient pas du tout partie de ses plans. Le vampire expira bruyamment, furieux contre lui-même d’être à ce point affecté par tout cela.  S’il avait consenti à partir loin de Bulgarie, c’était précisément pour échapper à ce passé qui avait la fâcheuse manie de réveiller en lui cette humanité qu’il parvenait si bien à maîtriser en temps normal. Et fils ou pas fils, il était hors de question de renouveler cette déplorable expérience.

-  Qu’est ce qui vous amène ici ? Rien de bon je présume…, demanda Milan.

- Effectivement, rien de bon…, prévint Elijah avant d’entrer dans le vif du sujet.

Le visage  impassible de Milan blêmit et se contracta au fur et à mesure du récit du vampire qui retraçait les circonstances et les raisons de leur présence. A aucun moment il n’interrompit les explications du vampire mais ses doigts qu’il serrait compulsivement autour de la coupe de vin posée devant lui trahissaient la colère et l’angoisse qui l’envahissaient peu à peu face la menace qui pesait à nouveau sur sa famille.  Lorsqu’Elijah eut fini,  Milan recula bruyamment sa chaise pour se relever.

- Maïa est avec Noura. Nous habitons une ferme à une lieue d’ici environ en direction de l’est. Elijah, vous voulez bien aller les prévenir ? Dites leur que je me rends au vieux moulin : c’est probablement là Ivan s’est réfugié comme à son habitude, reprit-il en tâchant garder son sang froid et une certaine contenance.

- Bien sûr, répondit simplement Elijah touché par la détresse qu’il devinait chez cet homme qu’il avait toujours apprécié et à la place de qui il n’aurait vraiment pas aimé être à cette minute.

Apprendre que celui qui avait tué sa femme était revenu pour s’en prendre au reste de sa famille et se retrouver par la même occasion devant le vrai père de celui qu’il avait toujours considéré comme son fils : il y avait tout de même plus enviable comme situation.

Milan, qui avait fait quelques pas en direction de la sortie, s’arrêta soudain et se retourna à nouveau vers les deux vampires :

- S’ils sont ici depuis plusieurs semaines, pourquoi n’ont-ils encore rien tenté ? demanda-t-il intrigué.

Les deux frères s’échangèrent un bref regard. Tous deux se posaient précisément la même question depuis qu’ils avaient compris  la véritable raison de la présence de Viktor dans ce village.

- Nous n’en savons rien, admit Elijah. Mais ce n’est pas un hasard, il y a forcément une raison et connaissant notre père il trame  certainement quelque chose. D’ailleurs je me dis qu’il n’est peut-être pas prudent pour vous de partir seul  à la recherche d’Ivan.

Elijah, qui s’était tourné à nouveau vers son frère, s’amusa presque du regard horrifié qu’il lui lança à l’idée de servir de chaperon à Milan.

- J’espère que tu ne penses pas à ce que je pense que tu penses ! s’exclama Klaus.

- Il est hors de question qu’il s’approche d’Ivan, renchérit Milan plus calmement néanmoins que le vampire qui fusillait toujours son frère du regard.

- Nous sommes là pour vous aider Milan et en aucun cas ici pour semer le trouble dans votre famille. Ivan n’apprendra pas la vérité sur Klaus, je vous en donne ma parole, insista Elijah en ignorant les gesticulations d’exaspération de son frère qui s’était mis à faire les cent pas  près de la table.

- Il est déjà au courant, avoua Milan à mi voix.

Les deux frères lui jetèrent dans un même mouvement un regard aussi éberlué que perplexe.

- Quelle idée stupide de lui avoir tout dit, décréta finement Klaus en fronçant les sourcils en cessant ses va et vient.

- Quelle idée stupide d’être venu le voir à la mort de sa mère pour lui rendre le médaillon de sa mère ! répliqua Milan.

Elijah dévisagea son frère avec effarement :

- Tu as fait quoi ? demanda-t-il les yeux écarquillés de surprise.

Klaus, agacé d’être obligé de se justifier au sujet d’une autre de ses faiblesses passées, éluda la question d’un geste impatient de la main avant de tirer rageusement une chaise pour s’asseoir et vider d’un trait la coupe de vin qui se trouvait devant lui.

Consterné par ce rival dont l’ombre avait plané au dessus de sa famille toutes ces années et qu’il haïssait encore plus maintenant qu’il l’avait devant lui, Milan secoua la tête, dépité, avant de tourner à nouveau les talons et de disparaître dans la foule des clients qui se pressaient maintenant dans la taverne pour échapper à l’averse qui s’abattait au dehors.

- Ce type m’énerve, trancha Klaus en le regardant fendre la foule jusqu’à la porte.

- C’est un homme bien, droit et honnête, tout ce que tu n’es pas, répliqua Elijah.

- … et respectueux des règles et ennuyeux à mourir… Tout ce qu’elle détestait. J’aimerais bien voir sa tête s’il savait que…., commença Klaus avec un sourire torve sur les lèvres en s’adossant nonchalamment au dossier de sa chaise .

- Je te l’interdis Klaus ! Ne t’avise pas d’aller lui raconter ce qui s’est passé entre Anya et toi la nuit où elle est morte. Je ne te laisserai pas blesser cet homme uniquement pour flatter ton orgueil de mâle ! s’emporta Elijah.

Klaus fit une moue de déception mais très vite un sourire ironique se dessina à nouveau sur son visage en voyant son frère se lever et jeter sa cape sur ses épaules pour s’acquitter de sa tâche.

- Je n’imagine même pas à quel point l’idée de devoir revoir cette chère Noura doit te couter à cet instant, railla-t-il.

- Tu veux peut-être t’en charger ? Vous ne vous êtes pas revus depuis quand, hein ? demanda Elijah en faisant mine de réfléchir sérieusement à la question. Ah oui ! …depuis cette nuit où tu l’as torturée avant de la tuer. Je suis sûr qu’elle sera ravie de te revoir. Et puis en 15 ans, elle a surement appris à maîtriser ses pouvoirs. J’ai hâte d’assister à vos retrouvailles.

Klaus émit un bref grognement et se renfrogna sans répliquer à la grande satisfaction d’Elijah.

Le vampire s’apprêtait à partir lorsqu’un groupe d’hommes, dont la plupart ne devait pas dépasser l’âge d’Ivan, pénétra bruyamment dans la taverne en jouant des coudes pour rejoindre une table à laquelle était installé l’adversaire d’Ivan dont le visage gardait les stigmates de leur violente bagarre. Ce dernier, un linge appliqué sur son arcade sourcilière ouverte remplissait et vidait sa coupe de vin à une vitesse faramineuse et semblait atteint depuis longtemps la limite raisonnable. En voyant le groupe s’approcher, il se redressa et leur jeta un regard interrogateur.

- Vous l’avez trouvé, demanda-t-il d’une voix peu assurée.

Les hommes encerclèrent bientôt la table dans un vacarme assourdissant. Intrigué par le remue-ménage, Elijah tendit l’oreille en passant devant eux et se figea en entendant prononcer le prénom de son neveu. D’un signe de tête discret, il intima à Klaus de s’approcher. Ce dernier se leva de mauvaise grâce et arriva à leur hauteur juste à temps pour surprendre leur dernière phrase :

- Il se dirigeait vers le vieux moulin. Les autres y sont déjà. Il faut qu’on se dépêche si on ne veut pas manquer le spectacle, expliqua l’un d’eux. T’inquiète, on va lui faire payer ce qu’il t’a fait.

Sur ces paroles, le groupe effectua une sortie aussi peu discrète que leur entrée au grand damne des clients bousculés sur leur passage.

Elijah se tourna vers son frère et crut l’espace d’un bref instant voir une expression inquiète contracter le visage de son cadet. Connaissant son caractère buté, il préféra éviter toute remarque qui l’aurait définitivement braqué et le regarda avec insistance.

- Très bien….capitula Klaus au bout d’un moment devant la demande silencieuse de son frère. Je vais rattraper l’autre et lui dire que son sale môme va encore se fourrer dans un sacré guêpier.

- « SON sale môme » ? s’amusa Elijah qui ne put réprimer un sourire en voyant son frère faire des efforts démesurés et peu convaincants pour paraître détacher et insensible au sort de son fils.

- Il est mal élevé : c’est entièrement de sa faute, conclut Klaus de mauvaise humeur en écartant son frère pour se diriger rapidement vers la sortie pour échapper à son énervante perspicacité.

Elijah lui emboîta le pas et le regarda s’éloigner d’un pas rageur en espérant qu’il n’allait pas regretter de l’avoir encouragé dans cette voie.

« Heureusement que tu n’es plus là pour voir ça Anya », marmonna-t-il pour lui-même en voyant la silhouette de Klaus disparaître au coin d’une rue.

Mais malheureusement, j’étais là. J’étais pour voir le vampire rejoindre Milan sur la route du moulin alors que les ombres de la nuit commençaient à envahir la campagne. Et j’étais là aussi pour voir mon fils manquer de commettre l’irréparable….