Les Damnés- La lignée des Petrova- Chapitre 5

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Il ne fallut pas longtemps à Klaus pour intercepter le groupe de garçons qui avait quitté en trombe la taverne et pour les « convaincre » de rentrer tranquillement chez eux. En réalité, légèrement pressé par le temps, il s’était contenté d’en hypnotiser deux d’entre eux qui avaient eu la tâche ingrate de ralentir les autres ce qui provoqua à l’entrée de la ville une joyeuse mêlée à la laquelle certains pères étaient venus allègrement se joindre pour défendre leurs rejetons. Pas mécontent de son œuvre, Klaus ne s’attarda  néanmoins pas devant ce spectacle et reprit à sa route pour rejoindre Milan.

Ce dernier, qui chevauchait aussi vite que le permettaient les chemins boueux, lâcha un formidable juron lorsque que son cheval se cabra dangereusement en voyant apparaître subitement devant lui la silhouette du vampire.

- Qu’est-ce que vous faites là ? Je vous avais dit de ne pas intervenir ! s’exclama Milan

- Comme vous voulez… si vous préférez vous occuper seul de la bande qui est en route pour régler définitivement le compte d’Ivan, consentit faussement Klaus en faisant mine de rebrousser chemin.

- C’est pas vrai ! s’exclama Milan.

 Sur le moment, il ne savait pas ce qui l’exaspérait le plus : son fils qui attirait les ennuis comme un aimant ou l’arrogance de vrai son père à qui il répugnait à demander de l’aide. Malgré tout, il ne fut pas long à trancher parmi les options restreintes qui se présentaient.

- Le moulin n’est qu’à quelques centaines de mètres en contrebas, près de la rivière. Allez-y, dépêchez-vous, reprit-il en tirant sur les rênes de son cheval pour le maîtriser avant de l’éperonner violemment.

Près du moulin, la situation s’aggravait  de minute en minute pour Ivan. Il vit sortir des bois un à un ces hommes qu’il connaissait parfaitement pour les avoir fréquentés depuis son arrivée dans le village. Aujourd’hui, leur belle entente basée essentiellement sur des mauvais coups et des jeux d’argent plus qu’hasardeux était bel et bien finie. Les quatre hommes l’encerclèrent affichant un sourire de satisfaction à l’idée de venger leur ami qu’Ivan avait allégrement dépouillé, d’une manière on ne peut plus malhonnête, quelques jours auparavant.

Lorsque l’un d’eux sorti un poignard du fourreau attaché à sa ceinture, ses complices laissèrent s’échapper des rires goguenards qui blessèrent Ivan plus surement que n’aurait pu le faire l’arme brandie et qui s’approchait dangereusement de lui. Cette fierté mal placée s’était manifestement installée là où aurait dû se trouver son bon sens. Et au lieu de trouver un moyen de se sortir de ce mauvais pas  sans risquer d’être blessé ou tué, l’impétueux jeune homme ne trouva rien de plus stupide que de s’élancer sans arme sur son adversaire. Les autres regardèrent la scène avec effarement tant ils étaient persuadés qu’il prendrait la fuite et qu’ils pourraient très vite rentrer au village pour fanfaronner en racontant comment ce couard s’était carapaté devant eux.

Au lieu de cela, ils le virent fondre sans hésitation sur leur ami et l’empoigner violemment en maintenant son bras armé. Les deux combattants, déséquilibrés par le terrain meuble, s’effondrèrent dans un même mouvement sur le sol boueux. Ivan profita que l’autre soit acculé au sol pour le bloquer de tout son poids et tenter ainsi de le désarmer en le frappant  au visage. Sonné, son adversaire finit par lâcher l’arme dont Ivan se saisit rapidement.

Aveuglé par la colère qui l’animait, il n’entendit même pas la voix de Milan qui raisonna au loin et ne remarqua pas non plus cet homme qui les avait subitement rejoints et qui venait d’expédier les complices dans la rivière après un magnifique vol plané.  Lorsque Klaus en eut terminé avec le dernier d’entre eux. Il se retourna vers les deux jeunes gens et resta un moment interloqué devant la scène qui jouait devant lui : Ivan, qui maintenait toujours son adversaire au sol, brandissait maintenant l’arme au dessus de lui et d’un geste vif la lui planta violemment dans l’abdomen. Le cri de douleur que sa victime poussa raisonna dans la vallée en même temps que celui de Milan qui dévalait la bute qui séparait le moulin de la route.

Cela faisait beaucoup de surprises en peu de temps et Klaus dut bien admettre que, celle –là, il ne l’avait pas vue venir. Il se précipita sur eux, agrippa fermement les épaules d’Ivan et l’écarta sans ménagement de sa victime. Retombé quelques mètres plus loin, il mit un instant avant de reprendre ses esprits et à se relever. Il dévisagea, complètement éberlué, cet homme qu’il reconnut aussitôt et qui retirait le poignard de la blessure de son rival. La respiration de celui-ci se faisait de plus en plus haletante et il n’allait pas tarder à sombrer définitivement. En voyant le visage du vampire se transformer soudainement, Ivan eut un mouvement de recul instinctif et se heurta à la haute stature de son père qui le saisit par les épaules pour le retourner sans ménagement pour qu’il lui fasse face. Mais le jeune homme ne pouvait détacher son regard du vampire qui avait plaqué in extremis son poignet ensanglanté sur les lèvres déjà blêmes du blessé qui reprit aussitôt connaissance. Très vite, il se redressa en jetant des regards incrédules sur les trois hommes qui l’entouraient avant de porter son attention sur sa blessure dont il ne restait  aucune trace hormis ses vêtements ensanglantés et troués.

- Oublie tout cela et fiche le camp, lui intima Klaus en plantant son regard hypnotique dans celui interloqué du jeune homme qui ne demanda pas son reste et s’éloigna rapidement en trébuchant.

- Tu te rends compte de ce que tu as fait ? fulmina Milan en saisissant le visage d’Ivan pour l’obliger à concentrer son attention sur ses paroles et non plus sur Klaus qui se serait bien passé de cette attention beaucoup trop soutenue à son goût.

- Qu’est-ce qu’il fait là ? articula Ivan d’une voix étranglée qui trahissait le flot d’émotions plus que confuses qu’il tentait vainement de contenir.

- Il vient de t’éviter de commettre le pire. Petit imbécile ! Tu sais ce qui se serait produit si tu l’avais tué !

- Bien sûr que je le sais ! s’exclama Ivan que  l’insulte paternelle avait subitement tiré de cet état second dans lequel il se trouvait depuis qu’il avait poignardé son adversaire. Et qui te dit que ce n’est pas ce que je cherchais à faire ?

Abasourdi par ces paroles qu’il reçut comme un coup de massue, Milan se recula pour jauger ce fils  comme s’il était devenu un étranger.

- Tu n’es pas sérieux ? Tu ne veux pas déclencher la malédiction… Dis-moi que j’ai mal compris!

Klaus, sur le coup,  resta lui aussi médusé, partagé entre une certaine satisfaction purement narcissique à l’idée que sa progéniture veuille déclencher une malédiction qu’il avait hérité de lui, et une inquiétude dont il préféra éluder la véritable cause.  Il tenta hypocritement de l’attribuer au fait que la nouvelle lubie d’Ivan allait s’ajouter au « problème Viktor » au lieu d’admettre purement et simplement qu’il s’inquiétait du sort de son fils. Quoi qu’il en soit, devant le manque de réaction de Milan, le vampire décida d’intervenir pour mettre fin à ce psychodrame familial qui lui avait perdre suffisamment de temps. Pour la première fois de sa vie, il allait tester ses qualités de pédagogue et en l’occurrence la technique du « Je fais semblant d’être d’accord avec toi pour mieux de prouver que tu as tort » revue et adaptée par ses soins.

- Ah ! Tu voulais déclencher la malédiction ! s’exclama-t-il exagérément. Tu aurais dû prévenir, je ne serais pas intervenu !

Ivan et Milan se tournèrent dans un même mouvement de surprise. Les regards stupéfait du fils et horrifié du père lui firent presque perdre son sérieux.

- Vous plaisantez, j’espère ! s’indigna Milan.

- Non du tout ! Et je crois sincèrement que tout cela vous dépasse et surtout ne vous concerne plus, décréta Klaus en se plantant Milan et en lui lançant discrètement un regard de connivence pour lui signifier de ne pas intervenir dans ce qui allait suivre.

Sceptique, Milan répondit à la demande silencieuse par un froncement de sourcil. S’il avait su à ce moment-là ce que Klaus avait en tête, il n’aurait certainement pas consenti à le laisser prendre le relais aussi facilement.

- Donc…tu veux réveiller ta véritable nature et devenir un loup-garou? Nous sommes décidément fait pour nous entendre. Mais il y a une ou deux choses que tu dois savoir avant…, reprit Klaus en se tournant vers Ivan surpris par l’attitude étrangement bienveillante de son géniteur.

Sachant que les qualificatifs  «  compréhensif »  et « conciliant » n’avait jamais été accolés à son prénom lorsque Noura évoquait sa personne (ou alors sous une forme considérablement raccourcie), Ivan se méfia et tenta de reculer quand Klaus posa une main sur son épaule. Mais ce dernier accentua soudain la pression de ses doigts, accentuant par la même occasion son inquiétude.

- …et la première d’entre elle est celle-ci… commença-t-il en se saisissant du bras d’Ivan.

Le craquement lugubre qui suivit et le hurlement de douleur de son fils firent frémir d’horreur Milan. Effaré par ce geste, il se précipita aux côtés de son fils tombé à genoux dans la boue et qui se tordait de douleur en pressant contre sa poitrine son bras brisé.

- Mais vous êtes complètement fou ! s’indigna Milan en repoussant le vampire et en s’interposant entre son fils et lui.

- S’il veut réellement devenir loup-garou, il doit savoir à quoi s’en tenir et ce qu’il va devoir endurer à chaque transformation, se justifia calmement Klaus en écartant Milan pour s’agenouiller à la hauteur d’Ivan. D’ailleurs pour que ce soit plus proche de la réalité, il faudrait également que je te brise l’autre bras et les deux jambes…

Devant le visage toujours aussi buté du jeune homme qui le fusillait du regard, celui du vampire s’assombrit soudain de manière inquiétante :

- Et crois-moi, c’est précisément ce que je ferai si tu t’avises de recommencer ce genre d’exploit tant que je serai dans les parages. Est-ce que je me suis fait clairement comprendre ?

- Allez-vous faire….

On appellera cela « témérité » ou « inconscience », toujours est-il qu’Ivan n’eut pas l’occasion d’exprimer le fond de sa pensée car Klaus lui avait déjà empoigné l’autre bras et le serrait dangereusement et surtout douloureusement.

L’expression butée qu’il arborait jusque là disparut soudain. Le jeune homme arrogant laissa alors place à un gamin apeuré qui lançait des regards désespérés en direction de Milan.

- Ça suffit ! Soignez-le ! exigea ce dernier qui était au supplice devant la souffrance de son enfant et surtout devant le fait qu’il ne pouvait rien faire contre cet énergumène prétentieux et passablement dérangé.

Un sourire de satisfaction de dessina sur les lèvres du vampire devant l’attitude résignée du jeune homme. Ce dernier ne put s’empêcher d’avoir un mouvement de recul lorsque Klaus se mordit le poignet pour lui appliquer sans ménagement sur la bouche.

- Maintenant tu vas nous attendre sagement sur la route. J’ai comme l’impression que ton père a deux mots à me dire.

Milan regarda son fils obtempérer sans rechigner avec stupéfaction. Il aurait cru, ou peut-être même secrètement espérer, un quelconque sursaut d’insolence qui aurait fait disparaître cet horripilant sourire de contentement de la face du vampire. Mais au lieu de cela, le jeune homme gravit docilement la bute qui menait à la route en jetant par-dessus son épaule quelques coups d’œil derrière lui.

- Laissez-moi émettre de sérieuses réserves sur vos méthodes d’éducation, commença Milan en inspirant profondément pour garder son calme.

- « Mes méthodes » le font attendre sagement sur la route que vous ayez fini de jouer les pères indignés. « Vos méthodes » lui ont fait planter un couteau dans le ventre d’un type. Fin de la démonstration, décréta Klaus en s’éloignant.

- Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’il va renoncer aussi facilement ? Dès que vous serez parti, il recommencera, lança Milan dans le dos du vampire.

- Tout ce que je lui demande c’est de ne pas créer de problème supplémentaire. Ce qu’il fera quand je partirai, ce n’est pas mon problème mais le vôtre.

- Il a bu votre sang. Et s’il lui arrivait quelque chose dans les prochains jours. Qu’est-ce que vous y avez seulement réfléchi avant de faire votre numéro ?

Klaus s’arrêta net et expira bruyamment. Ce type commençait sérieusement à l’exaspérer. Bien sûr que non, il n’avait pas réfléchi à cela.

« Effectivement, c’est pas très malin » concéda-t-il intérieurement. Mais il était hors de question pour lui de l’admettre.

- Ça serait assez inédit : un loup-garou dans les veines de qui coule le sang qui doit me permettre de lever la malédiction… Je serais curieux de savoir ce que ça donnerait, provoqua Klaus avec un sourire narquois qui eut raison  des dernières lambeaux de patience de Milan.

Ce dernier combla d’un pas ferme et assuré les quelques mètres qui le séparaient du vampire.

- Ne vous avisez plus de le toucher pour quelque raison que ce soit ou je vous jure que …

- Que quoi ? l’interrompit Klaus en soutenant froidement le regard furieux de Milan. Mettons les choses au clair dès maintenant : vous ne m’êtes d’aucune utilité pas plus qu’Ivan. M’assurer que Viktor ne fasse pas subir à votre fille le même sort qu’à sa mère est tout ce qui m’importe. Alors ne vous avisez plus jamais de me menacer car je n’aurai aucun scrupule à me débarrasser de vous.

Les deux hommes s’affrontèrent un moment silencieusement sous le regard désemparé d’Ivan qui ne savait pas laquelle des paroles qui venait de lui parvenir le blessait le plus.

- Allons-y maintenant, nous avons suffisamment perdu de temps comme ça, décréta Klaus en reprenant son ascension de la bute pour rejoindre la route en ruminant contre cette maudite famille qui continuait après toutes ces années à lui pourrir l’existence.

Malheureusement pour lui, ce n’était qu’un avant goût de ce qui l’attendait…