Musique et danse avec Haegue Yang !

Publié le 06 août 2013 par Lifeproof @CcilLifeproof


Haegue Yang, Sonicwear – Poncho, Nickel Plated, 2013, sculpture portable, clochettes en nickel et anneaux, 60 x 82 cm, 8,90 kg, Courtesy de la Galerie Chantal Crousel, Paris, France, photo : Studio Haegue Yang

Une affiche mystérieuse : on y voit une femme, à genoux, enfiler un poncho argenté métallique, sorte de cotte de maille qui la protègerait, mais de quoi ? Rien que pour cela, j’ai eu envie d’aller voir cette exposition : comme quoi, une affiche peut faire beaucoup pour l’attraction d’une exposition. Là, il s’agit de l’exposition Haegue Yang, jeune artiste coréenne qui a été invitée à s'exposer cet été au Mamcs et à l'Aubette 1928 avec Équivoques. C’est à une œuvre protéiforme que nous sommes confrontés, l’artiste Yang mêle ambiguïtés et dualités : deux lieux, deux ambiances avec une multiplicité de matériaux et de mises en scène, avec lesquels elle joue.


Haegue Yang, Blind Curtain - Flesh behind Tricolore, 2013, stores vénitiens en aluminium, cadre en aluminium, 460 x 700 x 150 cm, Courtesy de la Galerie Chantal Crousel, Paris, France. Vue de l’exposition, MAMCS, Strasbourg, 2013, photo : Musées de la Ville de Strasbourg, Mathieu Bertola

Un petit tour par le Mamcs dans un premier temps...

Au musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg, c'est un éclairage au néon froid qui nous accueille : glacial. La première installation sert à la fois à ouvrir et fermer l'espace, il s'agit de Blind Curtain - Flesh behind Tricolore. C’est un peu comme un moucharabieh moderne qu’Haegue Yang crée ici à partir de stores vénitiens. Ici, il s’agit d’un ensemble de stores répartis en carrés, ils dessinent et masquent l'espace dans lequel nous allons pénétrer. Dans les pièces consacrées à Haegue Yang au Mamcs, nous sommes face à un éclatement des propositions plastiques de l'artiste : installations, photographies, photo-montages, cadavres-exquis, sons et sculptures qui dénotent de la richesse de son imagination.


Haegue Yang, Gymnastics of the Foldables (détail), 2006, série de 15 photographies en noir et blanc, 35 x 30 cm chacune, Courtesy de l’artiste, photo : Musées de la Ville de Strasbourg, Mathieu Bertola

Dans certaines de ses mises en scène, elle détourne le principe du ready-made des dadaïstes. Ainsi, on peut rire face aux œuvres Non-indépliable, azuré ou Gimnastics of the Foldables qui mettent en scène un séchoir à linge. Dans la première, il est recouvert d'un tissu bleu ciel et est figé dans une forme alors que, pour la seconde, il s'agit de photographies qui le présentent comme s’il faisait sa gymnastique : on lève un bras, puis l’autre, une jambe, etc. comme martèlerait un prof d’aérobic, il ne manque que la musique qui rythmerait l’effort. Haegue Yang joue avec les objets, les détourne de leur usage premier : le séchoir à linge perd son but et devient possibilité d'un combat contre la norme établie pour l'artiste.


Haegue Yang, Imperfections – Wrinkly-Beak Says O and E, 2010, deux photographies en couleur d’origamis endommagés, 35 x 35 cm chacune, 54 x 81 cm encadré, Courtesy de la Galerie Wien Lukatsch, Berlin, Allemagne, photo : Musées de la Ville de Strasbourg, Mathieu Bertola

Pour d'autres œuvres, Haegue Yang utilise comme point de départ des origamis qui ressemblent aux cocottes en papier de notre enfance : il y a ceux qu’elle photographie dans la série des Imperfections (il s'agit d'origamis ratés), dans une autre série, elle projette dessus de la peinture en spray, ce sont les Non-Foldings – Geometric Tipping, (on dirait des photogrammes), ceux qui lui ont servi pour cette dernière série, elle les aplatit ensuite et nous les donne à voir encadrés dans la série Non-Foldings – Scenarios of Non-Geometric Folding. Avec son travail à partir d'origamis, l'artiste s'inscrit dans un travail minutieux et traditionnel lié à son pays d'origine (pour info, elle est coréenne, elle vit et travaille à Berlin) mais elle se réapproprie cette pratique en les montrant loupés, détruits, en négatifs ou en deux dimensions, ils sont bien loin de l'esthétique léchée et maîtrisée associée traditionnellement à cette pratique.

Puis, je me rends à l'Aubette 1928 pour la suite:

Changement de décor, autre ambiance, autres œuvres : je me rends ensuite à L'Aubette 1928, espace dédié aux plaisirs et à la fête à la fin des années 1920. Ce lieu réunissait, au centre de Strasbourg, un ciné-dancing, une salle des fêtes et un foyer-bar, chaque salle étant décorée par Théo Van Doesburg, Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp.


Haegue Yang, Dress Vehicle - Yin Yang, 2012, sculpture performative mobile, stores vénitiens en aluminium, cadre en aluminium, aimants, tricot, clochettes, cordes en caoutchouc et roulettes, 318 cm de haut, 310 cm de diamètre, Courtesy de la Galerie Chantal Crousel, Paris, France. Vue de l’exposition, Aubette 1928, Strasbourg, 2013, photo : Musées de la Ville de Strasbourg, Mathieu Bertola

Chaque œuvre a été choisie en fonction de l’espace : Haegue voulait créer un écho entre eux. Ainsi, dans la salle des fêtes, se trouvent deux Dress Vehicles : Zig-Zag et Yin Yang. Grandes sculptures montées sur roues, ces deux œuvres sont constituées d'éléments métalliques, de stores vénitiens (que l’on retrouve ici comme au Mamcs, il s’agit d'un des matériaux revenant régulièrement dans son œuvre), de macramé et de clochettes. « M'accorderiez-vous cette danse ? », nous invitent-elles. Entrez-y, dans la danse mais surtout dans les œuvres ! Et, avec les poignées, bougez et tournez dans cette salle des fêtes ! Haegue Yang rend hommage au mouvement dada et aux murs qui l'accueillent tout en se les réappropriant : les éléments parallélépipédiques et les couleurs qu'elle y associe répondent aux aplats de couleur carrés de l'espace. En voyant ces "robes", on ne peut s’empêcher de penser aux costumes du Ballet Triadique d'Oskar Schlemmer : à quand un grand ballet où viendraient tournoyer une multitude de Dress Vehicles d'Haegue Yang ?


Haegue Yang, Dress Vehicle - Yin Yang et Zig Zag, 2012. Courtesy de la Galerie Chantal Crousel, Paris, France. Vue de l’exposition, Aubette 1928, Strasbourg, 2013, photo : LJ.

Dans le foyer-bar se trouve une œuvre étonnante : Incarnation of Wind and Condensation. Il s’agit d’un bar sous lequel se trouve un congélateur et sur le plateau duquel on peut voir un ventilateur et, de part et d'autre, deux bouteilles d'eau congelée. Le plateau reprend les couleurs choisies par Sophie Taeuber-Arp pour la décoration de cette salle et l'inscrit ainsi comme pouvant vraiment en faire partie. Les bouteilles sont changées régulièrement par le personnel de l'Aubette afin que le processus de condensation puisse se produire en continu.


Haegue Yang, Sonicwear – Poncho, Nickel Plated, 2013, sculpture portable, clochettes en nickel et anneaux, 60 x 82 cm, 8,90 kg, Vue de l'exposition à l'Aubette 1928. Courtesy de la Galerie Chantal Crousel, Paris, France, photo :L.J.

Puis, pour finir, les Sonicwears, ensemble de costumes dorés et argentés constitués de clochettes, sont disposés sur des tables au centre de la salle du ciné-dancing. Ils sont à enfiler : le poncho argenté fait neuf kilos. Une fois porté, il est possible d'y ajouter des sortes de menottes ou des bracelets et d'alors faire tinter les clochettes qui nous recouvrent. Ces éléments de costumes, c’est étrange, sur l’affiche je n’ai pu m’empêcher d’y voir une sorte d’armure et c’est un peu le cas : elle fait son poids, neuf kilos pour le poncho, c’est métallique et recouvrant mais, à l’encontre de l’armure, là, elle est tressée de clochettes qui pourraient laisser la pointe d’une lame, le poncho ne protège donc pas. Il recouvre, il masque le corps, il ressemble plus à un costume tribal qui permettrait d’entamer une danse rituelle et faire du bruit en faisant tinter les clochettes ! A l’Aubette 1928, Haegue Yang invite le visiteur à faire de la musique qui, grâce à lui, va à nouveau résonner dans cet espace du ciné-dancing, donc : dansez, bougez, riez !

L'exposition des musées de la ville de Strasbourg nous invite à entrer dans une œuvre riche et dense où joue avec les ascendants du passé, se les réapproprie et en donne une nouvelle lecture décalée et pleine d'humour, à voir, à vivre…

Lola.

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"Haegue Yang. Équivoques" jusqu'au 16 septembre.

Mamcs: du mardi au dimanche de 10h à 18h; tarif: 7€.

Aubette 1928: du mercredi au samedi de 14h à 18h; tarif: entrée libre