Prévisions de l'ONCFS : probablement 300 loups en 2013 (avant prélèvements)

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Dans le "Bulletin loup du réseau // N°29 - Juillet 2013" , une étude publiée par l'ONCFS explique pourquoi le nombre des "prélèvements dérogatoire au statut d’espèce protégée du loup" a augmenté et explique également le changement de démarche associant prévisions et estimation des risques d’une décision politique de gestion de la population de loups.

Commentaire de la Buvette

Au vu des prélèvements actuels de 2013, très "limités"..., on peut visiblement s'attendre en 2014 à "une gestion plus musclée" répondant plus aux demandes actuelles des éleveurs. Je dis "actuelles", parce que leurs demandes ne feront qu'augmenter. Les armes à visée nocture ne rentreront plus dans les placards...

A noter: un graphique qui présente les valeurs d'effectifs (avant prélèvement) - il n'y en a eu qu'un seul en 2013, donc ce graphique correspond assez bien à la situation actuelle d'août 2013 - les plus probables prédites pour 2013 et 2014, assorties de la gamme des variations possibles autour de ces valeurs moyennes.

  • 2013 : prévision "probable" de l'effectif loup : 300 individus (variable de +-200 à +-450)
  • 2014 : prévision "probable" de l'effectif loup : 350 individus (variable de +-180 à +-600)

Etudes et recherches

par E.M. et C.D. 

Pourquoi le nombre des prélèvements dérogatoire au statut d’espèce protégée a-t-il ainsi augmenté ? ...

Le principal changement de la méthode de calcul du nombre de dérogations maximales de prélèvement de loups consiste à ne plus se focaliser sur le fait que la population puisse (ou pas) disparaître à moyen terme, mais plutôt à s’intéresser au risque statistique que ses effectifs diminuent (ou augmentent) d’une année à l’autre après prélèvement d’un nombre donné d’animaux.

Depuis plusieurs années, l’Etat a défini une stratégie de gestion de la prédation du loup sur les troupeaux qui consiste à la fois à:

  • indemniser les attaques,
  • à accompagner les éleveurs pour la mise en oeuvre de mesures de protection,
  • et à faire usage de l’article 16 de la Directive Habitat Faune Flore (HFF).
Cet article explicite les conditions dans lesquelles il est possible de déroger au statut de protection de l’espèce pour en faire prélever des spécimens. Parmi celles-ci figure la nécessité de ne pas nuire au statut de conservation favorable de l’espèce. Toute utilisation d’une dérogation doit donc ensuite être justifiée par une évaluation démontrant qu’elle n’a pas porté atteinte au statut de conservation de l’espèce.

D’une vision « fixiste » à une vision « dynamique » qui mesure les risques associés à la prise de décision

Cette notion de statut favorable est explicitée dans la Directive et son guide d’interprétation : elle comprend des références directes à l’évolution de l’aire de présence géographique (qui ne doit pas diminuer) et indirectement au concept de viabilité de population. Ce dernier peut se traduire sur le plan opérationnel par une estimation du risque de disparition de la population de loup. C’est ce qui a été fait depuis 2004, ainsi qu’une application à la gestion de la population française de loup.
Cette démarche définissait, selon la croissance de la population de loups observée l’année précédente, le nombre maximum de dérogations possibles (= le nombre de loups qu’il est possible de prélever) tout en « garantissant » un risque minimum fixe de disparition. C’est donc une approche dont la prudence était nécessaire compte tenu des effectifs de la population à l’époque où elle a été mise en place (moins de 100 animaux en 2004).
Depuis, l’aire de répartition du loup a augmenté, le nombre d’attaques sur les troupeaux aussi, et les effectifs de loups sont plus conséquents. L’Etat a donc choisi de réviser sa stratégie en matière de calcul du nombre maximum de dérogations auxquelles il serait possible d’avoir recours ; la nouvelle approche retenue est plus adaptable à des situations changeantes d’une année à l’autre. Lors de l’évaluation du précédent plan national d’action, il a été proposé d’utiliser une version améliorée de la stratégie utilisée en Suède, ce pays hébergeant une population de loups aux effectifs comparables à celle présente en France et se développant à peu prés au même rythme.
Cette nouvelle approche consiste à calculer, compte tenu de la croissance observée de la population de loups et de différents niveaux de prélèvements, les risques statistiques d’observer un niveau donné de croissance résiduelle de la population après prélèvements. Une fois ces chiffres calculés (risque statistique que la population diminue d’une année à l’autre, ou qu’elle se développe plus ou moins, suite à un nombre donné de prélèvements), la décision de retenir tel ou tel nombre maximum de dérogations possibles est prise par l’Etat compte tenu du contexte loup-pastoralisme dans son ensemble et des risques statistiques qu’il est prêt à assumer.

Les principes fondateurs de la nouvelle démarche

Si l’on souhaite, par exemple, que la population de loup après prélèvements effectués en 2013, ne soit pas en diminution (pour respecter les attendus de la Directive HFF), il faut faire un « pari » sur sa croissance entre 2013 et 2014 : ce « pari » repose sur l’idée que le nombre de loups supplémentaires produits par la population en 2013 sera au moins égal au nombre maximum de loups qui seraient prélevés.

On peut tenter une prédiction de ce que sera la croissance la plus probable entre 2013 et 2014 en utilisant sa valeur moyenne (*) observée les années précédentes. Cependant, cette prédiction peut s’avérer plus ou moins fausse : la population peut, en effet, se développer en réalité plus ou moins que cette valeur moyenne attendue. C’est cette incertitude sur la croissance à venir, qui va servir à calculer le risque de décroissance de la population après prélèvements.

Un changement de démarche associant prévisions et estimation des risques d’une décision de gestion

Une approche en quatre étapes

1. Se servir des années précédentes pour décrire mathématiquement la croissance moyenne et ses variations interannuelles.
La première étape consiste à ajuster un modèle de croissance à la série des valeurs d’effectifs de loups mesurés les années précédentes. Ce modèle fournit une valeur de croissance moyenne, mais aussi une mesure de la gamme de ses variations possible d’une année à l’autre. En effet, comme pour toute espèce sauvage, le bilan des facteurs affectant la mortalité et la reproduction des loups est variable d’une année à l’autre : la croissance résultant de ce bilan, sera alors elle aussi variable au cours des années. Le modèle fournit donc, en plus de la valeur moyenne (*) de croissance, une estimation de toutes les autres valeurs possibles, mais moins probables car moins fréquemment observées les années passées, regroupées dans ce qui est appelé un intervalle de crédibilité (**).
Appliquée aux effectifs de loups « mesurés » de 1995 à 2012, la modélisation donne une croissance annuelle moyenne arrondie à 19%, avec un intervalle de confiance allant de 7% à 33%.  
2. Prédire les effectifs de la population à court terme avant prélèvement et leur gamme de variation possible.
Figure 1 : Effectifs de la population de loups en France modélisée par Capture-Marquage recapture (issus des typages génétiques sur excréments, poils urinesS) et prédiction des effectifs de la population à court terme
La deuxième étape consiste, à partir de ces valeurs possibles de croissance, à prédire pour l’année à venir, la taille de population la plus probable (effectifs moyens de l’année précédente multipliés par croissance moyenne) et son intervalle de confiance en 2013 et 2014.

On notera que, de façon identique aux indices de confiance des prévisions météo, plus la prédiction s’effectue à long terme, plus l’incertitude augmente. Ce constat inhérent à tout système prédictif met en lumière un autre avantage de cette nouvelle approche qui ne s’aventure pas à prédire l’état de la population sur le long terme (figure 1).
3. Simuler l’effet d’un prélèvement d’un certain nombre de loups pour mesurer le risque statistique que la population augmente ou diminue à court terme.
A partir des « effectifs possibles » prédits par le modèle de croissance pour chacune des années, on peut calculer le risque statistique qu’une fois un certain nombre de prélèvements réalisés, la croissance résiduelle finalement observée atteigne telle ou telle valeur.
Figure 2:
L’axe horizontal représente les valeurs du nombre de prélèvements de loups effectués. L’axe vertical est la probabilité d’atteindre tel ou tel niveau de croissance ; une valeur de 0.2 représente un risque de 20%, une valeur de 1.0 un risque de 100%.

Pour un prélèvement de 10 loups par exemple, le risque que les effectifs baissent serait de 22%, le risque que la population augmente de moins de 10% seraient de 18%, et le risque que la population augmente de + de 10% serait de 60%.
A l’opposé, un prélèvement de 40 loups donnerait 45% de risque que la population diminue.
La modélisation réalisée consiste donc, pour toute une gamme de nombres de prélèvements théoriques, à calculer ces risques statistiques selon trois modalités :

  •  le risque d’avoir des effectifs en baisse l’année suivant les prélèvements (courbe rouge)
  •  le risque d’avoir une population à croissance comprise entre 0 et + 10% (courbe grise)
  •  le risque d’avoir une population à croissance supérieure à 10%. (courbe bleue)


Les résultats obtenus sont présentés sous la forme d’un graphique (cf. figure 2) qui fournit pour chaque valeur du nombre de prélèvements réalisés, la valeur de chacun de ces trois risques.
5% de l’effectif pouvait faire l’objet de dérogation sans mettre en danger la viabilité de la population. Dans les cas où la croissance réalisée était supérieure à 15%, les prélèvements dérogatoires maximums pouvaient atteindre 10% de l’effectif, le choix du décideur s’effectuant alors sur la base des effectifs minimum résidants en meutes ou sur l’estimation de la population totale.
Pour conclure, on voit que la principale raison expliquant l’écart entre nombres maximum de dérogations retenus en 2012 et 2013 est liée à un changement d’approche : auparavant, la décision prise par l’Etat tenait compte d’un risque théorique de disparition de la population sur le moyen terme (50 ans). Désormais on tient compte d’un risque de diminution des effectifs d’une année à l’autre. Le niveau de risque associé à une décision.


Tableau 1: Principaux éléments comparatif des approches de viabilité utilisés jusqu’ici pour définir la gamme des prélèvements dérogatoires maximums, avec la nouvelle approche développée sur les choix d’objectifs de croissance de la population de loup.
4. Le choix de l’Etat d’assumer un niveau de risque donné associé à sa décision
C’est ensuite bien au décideur public garant des engagements internationaux pris (Directive HFF) de décider si tel niveau de risque est plus ou moins acceptable que tel autre. L’Etat, après consultation en Groupe National loup, a donc fait le choix de placer le curseur au chiffre plafond de 24 prélèvements. Ce nombre maximum de dérogations (trait noir vertical sur la figure 2) correspond à un risque de 30% que la population diminue, un risque de 20% que la croissance soit entre 0 et +10%, et un risque de 50% qu’elle augmente de plus de 10%.

Une nouvelle approche, ni plus ni moins conservative, mais plus adaptative

Ce changement de technique n’est ni plus ni moins conservateur que la méthode de viabilité précédemment utilisée. En effet, l’ancien modèle prédisait également que dans les cas d’une croissance réalisée modérée (5 à 10%), donnée est alors jugé acceptable – ou pas – par le décideur public, selon le contexte annuel qu’il a à gérer.

Cette nouvelle approche, outre le fait d’être plus explicitement orientée que la précédente vers des objectifs de gestion de la croissance de la population, associe surtout un niveau de risque explicite et modulable (et non plus fixe comme auparavant) à la prise de décision. Le principe de possibilité de révision adaptative a posteriori reste d’actualité : la mesure chaque année d’une nouvelle valeur des effectifs permet de mettre à jour le modèle de croissance, de recalculer un taux moyen de croissance ainsi que son intervalle de confiance, puis de réajuster les courbes de risques en tant qu’aide à la décision, de façon à tenir compte au plus prés de la réalité du terrain.
EM et CD
(*) : les calculs sont effectués dans un cadre statistique spécifique (dit « bayésien »), ce n’est pas exactement la valeur moyenne qui est utilisée mais la « médiane ». Par soucis de simplification de langage, le terme de « moyenne » est néanmoins employé tout au long de ce document.
(**) : Pour les mêmes raisons méthodologiques que ci-dessus (cadre « bayésien » d’analyse), on doit parler d’intervalle de « crédibilité » plutôt que d’intervalle de « confiance ».  
Bulletin loup du réseau // N°29 - Juillet 2013
Edité et publié par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage
Direction des Etudes et de la Recherche - C.N.E.R.A. Prédateurs et Animaux Déprédateurs - Equipe Loup-Lynx