Jeux Dangereux

Par Unionstreet

« Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir » disait déjà Guy Debord dont la citation semble coller parfaitement avec l’envie de mise en scène et le besoin de violence purificatrice de la société américaine et par extension, toutes les sociétés occidentales basées sur le même modèle.

Avec American Nightmare – pendant 12 heures, tous les meurtres sont permis afin de purger la société des indésirables et des faibles – c’est l’occasion de revenir sur cette thématique du jeu dangereux – cette violence d’abord codifiée et dramatisée mais qui échappe d’un coup à tout le monde – à travers quelques films:

Le plus glauque: Funny Games et Funny Games US (Michael Haneke, 1997 et 2008)

En 1997, le cinéaste autrichien faisait scandale au Festival de Cannes avec Funny Games, un film relatant le calvaire d’une famille bourgeoise en vacances, humiliée et torturée sans raison apparente par deux jeunes garçons. Rebelote en 2007 avec Funny Games US, adaptation du film pour le public américain avec en prime la dé-glamourisation d’une icône hollywoodienne: Naomi Watts.

Haneke entend placer le spectateur face à la responsabilité de son regard sur la violence, devenue un objet de consommation parmi d’autres, notamment par le biais de sa banalisation à la télévision placée ici sur le banc des accusées. Lorsque Ann parvient à se saisir du fusil et à tuer l’un des ravisseurs, le second saisit une télécommande et rembobine le film pour annuler le happy-end.

Gantés et raffinés, d’une blancheur immaculée, les tortionnairessemblent sortis d’un dessin animé de Tex Avery. Ils se renvoient la balle, leur numéro est bien rodé. Face à eux, cloués sur le canapé comme devant leur télé, le mari et la femme sont des spectateurs piteux. Le spectacle dont il est le témoin a ses règles absurdes, Paul (Michael Pitt) ne cesse de les rappeler. C’est lui aussi qui rythme le suspense, les rémissions, les coups fatidiques et qui force le couple à participer au jeu.

Le plus terrifiant du jeu, c’est qu’il n’a pas de raison d’être: les 2 barbares ne sont pas des voleurs assoiffés par les richesses du couple, ils proviennent tous du même monde, ils en sont une reproduction mutante, dégénérée. Les intrus symbolisent un retour méchant du refoulé et leur violence est implosive. Le plan le plus aberrant est bien celui où la mère, ligotée, bâillonnée, parvient à se redresser et à sauter à pieds joints. Les assassins sont partis, une victime gît. Et que fait Ann en premier ? Elle couvre le cadavre, elle porte secours au survivant ? Non, elle va éteindre la télévision.

Le plus sanglant (et bizarrement sexy): Battle Royale (Kinji Fukasaku, 2001)

Ultraviolence + phénomène de société : un couple qui a déjà fait pas mal de dégâts au cinéma.

Est-ce encore la peine de présenter Battle Royale? Chef-d’oeuvre d’anticipation fait par un maitre du film de yakuzas, des écolières en jupettes qui défouraillent et Kitano encore plus sadique que d’habitude! Dans un futur proche, au début de ce siècle, le Japon connaît une crise sociale, économique et morale sans précédent. Pour enrayer le déclin du pays, une organisation nationale a inventé la Battle Royale, jeu de massacre dont le nom officiel est « loi de réforme de l’éducation pour le nouveau siècle ». Choisie par hasard, une classe de troisième est emmenée sur une île déserte. Sur place, on explique aux jeunes gens qu’ils ont trois jours pour se massacrer entre eux en respectant certaines règles, sous le contrôle de leur ancien enseignant. Seul le dernier et unique survivant pourra rentrer chez lui.

Ce qui fait que BR est encore un sommet de coolitude de dégénérescence nippone c’est l’absence de « message » dans le film. Battle Royale ne cherche ni a faire chialer ni même à faire réflechir et encore moins dénoncer. Tout au plus une incitation un brin démago à la révolte étudiante envers l’oppression du monde des adultes. Davantage qu’un film de dénonciation, BR est un film de connivence avec le public jeune auquel il est destiné. A chaque plan, il semble dire « Regardez, je vous ai compris ». Il saisit leurs angoisses et leur sexualité avec la justesse brute des meilleures sitcoms. Les jeunes filles ne massacrent plus leurs camarades de classe pour obéir à la loi des adultes, mais parce que celle-ci a plus de succès avec les garçons, celle-là a piqué le fiancé de l’autre, etc. Un sommet de coolitude on vous dit, parfois bizarrement sexy mais toujours jouissif qui n’a pas pris une ride.

Le plus décevant : The Game (David Fincher, 1997)

C’est un film unique en son genre car c’est le seul film raté de David Fincher. Un milliardaire reçoit le jour de son anniversaire un cadeau un peu particulier de la part de son frère: une invitation à un jeu. Un coup de fil et la vie de cet homme bascule dans le chaos, entre conspirations, coup bas et twists à n’en plus finir. Pas un grand Fincher donc mais intéressant à replacer dans sa filmographie (presque) sans tâche.

A l’image d’un Guy Debord qui parlait du « vrai comme d’un moment du faux », Fincher cherche toujours à questionner notre rapport aux images devenues depuis bien longtemps un flux à consommer sans distance ni recul. Le jeu est à l’écran mais aussi dans l’esprit du spectateur qui doit sans cesse se poser la question du vrai et du faux, discerner ce qui relève du jeu que joue le milliardaire contre son gré et ce qui serait de l’ordre du « réel »

Fincher donne à voir un monde où tout est possible, rien n’est grave, à la manière d’un Ctrl+Z sur votre ordi, du moins en apparence. Car les évènements laissent des traces chez le personnage qui passe en un film du pourri gâté à la victime, de la victime à un être lucide. Ou peut-être l’inverse, on ne sait jamais avec Fincher…  est ce un jeu ou le monde qu’il refusait de voir? La réponse n’a pas d’importance, seul compte de participer.  A la fin, Nicholas accepte l’invitation de la jeune femme blonde lynchienne et l’aventure continue au delà du générique. Peut-être le film aurait-il du commencer par là…

Le plus frenchy: Le Prix du Danger (Yves Boisset, 1983)

Oubliez Live! (avec Eva Mendes, facile personne s’en souvient), oubliez le Truman Show, Running Man avec Schwarzie (pour les plus cinéphiles) et même The Game et allez vite louer ou télécharger le Prix du Danger, l’un des films les plus visionnaires qui soit. Un peu oublié malheureusement, malgré un casting d’enfer (Gérard Lanvin et Michel Piccoli pour ne citer qu’eux)

Dans un futur pas très lointain,  »le prix du danger » est le nouveau jeu d’une chaine de télévision. Un homme doit rejoindre un endroit secret en évitant cinq hommes venus pour le tuer. S’il réussit, il empoche beaucoup d’argent, mais François Jacquemard, nouveau participant, réalise très vite que le jeu est truqué…

En 1983, un film français dénonce déjà ce qui va être 20 ans plus tard la télé-réalité avec ses lots de dérives et de dérapages, parfois contrôles, d’autres pas. Dans le film de Boisset, le jeu télévisé ressemble aux arènes de l’Antiquité: un spectacle violent et parfaitement dramatisé pour flatter les plus bas instincts de la population. Il en va de même de la sécurité nationale comme le dit l’un des personnages du film « Pendant qu’ils se passionnent pour le prix du danger nos 5 millions de chômeurs oublient de descendre dans la rue ».

Devant la popularité de Jacquemard pendant l’émission, la CTV décide de truquer le jeu en faveur du candidat afin de monopoliser l’indice d’écoute et en informe directement François Jacquemard. Mais Jacquemard, orgueilleux et furieux d’être pris pour un appât à audimat, décide de retourner la situation contre l’émission et abat ses poursuivants un par un, ce qui est contraire au règlement du jeu.

S’il est d’un cynisme certain, le film fait également peur. Il confirme par exemple l’idée selon laquelle l’opinion publique peut être facilement manipulable. Le présentateur du prix du danger, interprété par un Michel Piccoli complètement amoral et baratineur, prouve cette idée.

Détonnant dans un cinéma français habituellement peu enclin à s’aventurer sur les terres de l’anticipation, Le prix du danger est un habile hommage aux séries B américaines : la réalisation carrée de Boisset met en évidence des décors à la fois futuristes et crédibles, tout en ménageant d’excellentes séquences d’action. Son cinéma couillu a toutefois le mérite de foncer dans le tas sans la moindre arrière-pensée. Accusé à juste titre d’en faire des tonnes, descendu à la fois par les critiques de gauche et de droite, Yves Boisset a pourtant réussi un sacré tour de force en ce début des années 80 : signer un des meilleurs films fantastique français de l’époque – et ils sont peu nombreux – se bonifiant même avec le temps.

http://www.dailymotion.com/video/x2vp5u

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