Du nil à alexandrie. histoires d'eaux - 11. hommages a hâpy : prologue

Publié le 20 août 2013 par Rl1948

     Le Musée royal de Mariemont. Vous souvenez-vous, amis visiteurs ?

     Dans un écrin ciselé à sa mesure, il m'apparut un jour sous un ciel inespérément céruléen en ce printemps pluvieux telle une Vénus anadyomène émergeant des ondes sublimement bleues de la mer Égée quand elles viennent délicatement s'épuiser parmi les galets de Pythagorion, sur l'île de Samos.  

     Prenant le parti d'un temps délaisser le Département des Antiquités égyptiennes du Louvre où, de conserve depuis janvier 2013, nous rencontrions Tepemânkh, - vous souvenez-vous, amis visiteurs ? -,

nous avons dès le 23 avril dernier, déambulé en ses murs aux fins d'y découvrir une remarquable exposition.

    La superbe sélection de pièces présentées ici a été effectuée par Arnaud Quertinmont, docteur en égyptologie. (...)

     Puisse le divin Hâpy, personnification de l'eau de la crue, se joindre à moi pour [le] remercier de cet hommage qui lui est rendu !

Marie-Cécile BRUWIER

Avant-Propos

dans Du Nil à Alexandrie. Histoires d'eaux

Guide de l'exposition

Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 2013

p. 11

     C'est en ces termes laudatifs que Madame Bruwier, Directrice scientifique de l'établissement, clôt l'avant-propos qu'elle a rédigé pour le catalogue réalisé par l'égyptologue Arnaud Quertinmont, un des Commissaires généraux de cette manifestation itinérante intitulée "Du Nil à Alexandrie. Histoire d'eaux", - vous souvenez-vous, amis visiteurs ? -, 

 

présentée à Morlanwelz, en province de Hainaut, depuis quatre mois, après être passée par Neuchâtel, en 2009-2010 et Le Mans, en 2011-2012.

     Les pièces auxquelles M.-C. Bruwier fait ici allusion - j'ai déjà eu l'opportunité d'attirer votre attention à ce sujet -, apportent un incontestable enrichissement égyptologique permettant ainsi à l'exposition belge de bénéficier d'une autre aura, certes, mais surtout de grandement se distinguer de ses consoeurs suisse et française.

     En effet, une centaine d'antiquités d'époques pharaonique et gréco-romaine souhaitées par A. Quertinmont ont été prêtées soit par des collectionneurs privés, soit par de prestigieuses institutions muséales européennes telles que le Rijksmuseum van Oudheden, de Leyde et l'Allard Pierson Museum d'Amsterdam, tous deux aux Pays-Bas ; le Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre à Paris ; sans oublier, pour la Belgique, les Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles et le Museum aan de Stroom  d'Anvers (MAS), pour ne citer que les phares.

     Et puisqu'est révolue la période de vacances qu'ÉgyptoMusée vous a octroyée cet été, vient à présent l'instant, avant que, le 29 septembre prochain, se termine la présentation des objets cédés pour l'occasion, de consacrer nos visites futures à quelques-unes des facettes de cet hommage à Hâpy rendu ici à Mariemont.

     Toutefois, en guise de prémices que d'aucuns jugeront peut-être un peu didactiques, - chassez le naturel ... -,  j'aimerais pour vous aujourd'hui évoquer la personnalité de ce Hâpy.

   Et d'emblée, de relever un singulier paradoxe : alors que prolixes pour déifier nombre d'animaux ou d'éléments de la nature, les Égyptiens dans leur panthéon n'ont, pour une raison qui m'échappe, manifestement pas cru bon d'attribuer une réelle valeur divine à leur fleuve pourtant nourricier, pas plus d'ailleurs qu'aux différentes étendues d'eau du pays. Car même si, par facilité ou habitude, certains égyptologues usent encore très souvent de l'expression "dieu du Nil", il est absolument avéré qu'il n'y eut jamais semblable divinité dans le Double Pays.


   En revanche, et parce que précisément ce fleuve leur permettait de subsister en leur apportant la nourriture grâce à ses crues annuelles - pour autant qu'elles fussent suffisantes ! -, ils accordèrent le statut de déité à un concept : celui de prospérité, celui d'abondance et de ses causes dont
la principale fut l'inondation bienfaitriceNul ne l'ignore plus, je pense, depuis l'assertion d'Hérodote, récursive à souhait : L'Égypte est un don du Nil ; formule pour laquelle, selon feue Madame Christiane Desroches Noblecourt, il faudrait non seulement restituer la paternité à Hécatée d'Abdère, son prédécesseur dans la découverte du pays, mais également comprendre dans le terme Nil la seule acception d'Inondation


   A la personnification des débordements tant craints mais aussi tant attendus de ce fleuve fut donc conféré le patronyme de Hâpy,

qui s'écrivait phonétiquement en y ajoutant tout naturellement l'idéogramme de l'eau en guise de déterminatif, constitué comme vous le constatez de trois niveaux de vaguelettes superposées (N 35, dans la liste de Gardiner).
     
   Plus d'une dizaine d'occurrences existaient d'ailleurs dans la langue de l'époque pour nommer Hâpy, à l'instar du français puisque les philologues actuels ne se sont pas encore entendus quant à l'orthographe définitive à lui accorder : ainsi 
dans la documentation le concernant, vous arrivera-t-il de croiser tout aussi bien Hâpy - version me semble-t-il la plus fréquente -, que Hapy, Hâpi ou Hapi ; ces différentes graphies constituant obligatoirement la translittération phonétique des trois hiéroglyphes : h pour la corde tressée, a pour le bras tendu et p pour le socle cubique.

     En vue de refermer cette petite parenthèse sémantique, j'ajouterai que confusion il existe parfois avec un homonyme, écrit Hâpi, qui désigne en réalité un des quatre fils d'Horus, patronyme qui vous permettra d'identifier l'un des vases canopes contenant les viscères d'un défunt.

   Rien n'est donc simple en matière d'onomastique ...  
  
   Dans l'iconographie égyptienne, - comme par exemple sur cette applique en bronze de Basse Époque de 27, 6 cm de hauteur et de 10, 3 cm de largeur provenant des Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles (
E 5880), qu'il vous est loisible d'admirer dans une des vitrines du second étage -, Hâpy fut toujours figuré sous les traits d'un personnage androgyne. 

   Alors que certains savants soutiennent qu'à cause de sa barbe, il ne peut incontestablement qu'être un homme, vous admettrez sans peine que sa poitrine souvent généreuse et son ventre replet, images pour le moins emblématiques d'une certaine prospérité nourricière, prêtent à discussions quant à son sexe.

   Raison pour laquelle la majorité de la profession reconnaît en Hâpy un être ambivalent.
   D'ailleurs ne lit-on pas, dans le Papyrus démotique de Berlin (B 13603), cette assertion péremptoire : 
   L'image de Hâpy, dont une moitié est un homme et dont l'autre moitié est une femme ...



      Et pour apposer un point final à mes considérations préliminaires, j'indiquerai qu'il est maintenant la plupart du temps admis dans la communauté égyptologique de ne plus employer, pour le caractériser, des formulations telles que
Dieu du Nil, Génie du Nil, mais plutôt leur préférer : Génie de la Crue du Nil ou, mieux encore, Figure de Fécondité.  
   Quoi qu'il en soit de l'orthographe de son nom, du genre et de la dénomination exacte à lui attribuer, durant toute l'histoire égyptienne, Hâpy bénéficia d'un culte et de manifestations festives en rapport avec l'espoir que toute la population plaçait en ses crues, à savoir : permettre une agriculture abondante.

   C'est d'ailleurs aussi, vous l'aurez tout de suite remarqué, de cette abondance dont qu'il est question avec la coiffe posée sur la perruque du personnage ici représenté : des ondulations répétées du hiéroglyphe de l'eau qui servait de déterminatif à son nom sourdent quelques plantes des marais symbolisant le renouveau annuel de toute végétation.

     Notez également la présence, sur cette probable pièce de mobilier, d'un plateau d'offrandes dans les mains de Hâpy sur lequel sont posées deux aiguières à libations :

     Je fais couler la crue en hâte en son temps, elle inonde les terres asséchées, lit-on entre autres dans le temple d'Edfou.

     Ces vases sont ici couronnés de deux fleurs de lotus qui se font face. Leurs tiges, dont la longueur correspond pratiquement à toute la hauteur de la partie verticale de l'applique, inscription hiéroglyphique supérieure mise à part, semblent chacune naître du signe ankh, symbole de vie. Séparant cette composition parfaitement symétrique, un sceptre ouas, lui aussi démesurément long, symbolise à son tour la notion de prospérité.

     Quant à l'inscription gravée immédiatement sous le seul clou de fixation originel subsistant encore, elle légende en quelque sorte la scène puisqu'elle indique Toutce que Hâpy apporte


   Il es
t certes évident que les paysans égyptiens de l'Antiquité ignoraient complètement l'origine réelle des débordements salvateurs : ils les supposaient provenir d'une grotte souterraine située sur l'île d'Eléphantine, au sud du pays. C'est la raison pour laquelle, dans toute la vallée, d'Assouan jusqu'au Delta, ils vénérèrent Hâpy en tant que concept d'abondance incarné par la crue venue du Sud afin de lui demander d'apporter suffisamment d'eau et d'alluvions pour permettre une récolte florissante dans le pays tout entier.

   C'est également dans ce sens qu'il faut comprendre qu'au sein de la symbolique égyptienne d'alors se marqua toujours pour le Sud une précellence évidente : ainsi, - et pour ne fournir qu'un seul exemple -, l'évocation de tout souverain commencera immanquablement par la désignation de roi du Sud (entendez : de Haute-Égypte) avant celle de roi du Nord (Basse-Égypte).

   Bien que j'aie encore beaucoup à ajouter concernant Hâpy, je m'en voudrais, en ce premier mardi de rentrée, de ratiociner davantage, estimant qu'en introduction à la découverte à venir d'autres pièces égyptiennes prêtées à Mariemont, mes propos de ce jour suffisent amplement.

     Nonobstant, à ceux d'entre vous qu'un substantiel complément d'informations pourrait intéresser, autorisez-moi à suggérer la lecture - ou la relecture - d'une précédente intervention sur ce sujet le 26 août 2008, alors que nous considérions quelques représentations de Hâpy exposées dans les vitrines 4 et 5 de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.

     Intervention opportunément intitulée Hâpy, Figure de Fécondité.

(Barguet : 1952, 49-64 ; Bonneau : 1971, 49-65 ; Cauville : 2011, 23 ; Delange et alii : 1993, 94-6 et 158-9 ; Desroches Noblecourt : 2000, 11-20 ; Hornung : 1986, 66-7 ; Meeks/Favard-Meeks : 1995 ; Traunecker : 1993, 53-4, 74 et 112)

    Dans l'hebdomadaire belge Moustique reçu pendant mes vacances, je lis, à la page 47 du numéro 31/4566 du 31 juillet, cet entrefilet :

    Le Musée de Mariemont, où se tient actuellement l'expo "Du Nil à Alexandrie" vient de recevoir le certificat d'excellence 2013 délivré par les voyageurs qui postent leurs commentaires sur le site "TripAdvisor."

     Mes vives félicitations à vous, responsables et membres du personnel de Mariemont, pour cette juste reconnaissance du public de votre splendide Musée, ainsi qu'aux Commissaires qui ont permis par leur précieux apport d'offrir à cette manifestation culturelle une spécificité belge des plus brillantes.