Intolérable, 40 ans après

Publié le 03 septembre 2013 par Labreche @labrecheblog

Ces dernières semaines, les prisons s'embrasent de nouveau.

La Brèche s'était consacrée il y a maintenant plus de trois ans à la question carcérale, d'une urgence impérieuse, l'état des prisons françaises demeurant une tache indigne de toute démocratie.

À l'heure où la réforme pénale provoque les hésitations d'un gouvernement décidément bien timide quant aux fondamentaux de la gauche, Verticales réédite les précieux textes des cinq brochures Intolérable publiées par le Groupe d'information sur les prisons (GIP) de Foucault, Defert, Domenach, Vidal-Naquet et Deleuze. Dans le même temps, les éditions du Point du jour (Cherbourg) publient un recueil consacré à la révolte de la prison de Nancy en 1972, avec de nombreux documents du GIP à l'appui.

Une enquête modèle

Quarante ans plus tard, les brochures d'Intolérable, devenues des essentielles dans l'imaginaire post-68, mais que l'on n'a plus tellement l'habitude de feuilleter, se révèlent au premier abord comme une somme documentaire incomparable, un travail d'information d'une qualité rare, du moins au regard des standards actuels. Il est vrai que la presse ne parle plsu guère aujourd'hui de prison qu'en reprenant les informations et chiffres officiels et, dans le meilleur des cas, les données communiquées par des ONG comme Amnesty International (et elles-mêmes souvent contestables ou incomplètes).


Il faut saisir le contexte extrêmement tendu dans lequel les enquêtes qui nourrissaient Intolérable furent menées. À partir de l'été 1968, les chahuts, mutineries et grèves de la faim se multiplient dans les prisons françaises, en raison des conditions de vie déplorables, en termes d'hygiène, de soins, de respect de droits tous fondamentaux pour les détenus. Et c'est en catimini que les enquêtes furent pour l'essentiel réalisées, alors même que l'année 1970 voyait de nombreux militants politiques incarcérés suite au vote de la loi anti-casseurs, et à l'interdiction de la Gauche prolétarienne.

La liberté, même en prison

Au fil des témoignages, des récits, des revendications, le sens du combat du GIP, et sa permanence, son impossible désuétude, apparaissent clairement. Comme le dit le récit anonyme de la révolte du 1er mai 1971 à Fleury-Mérogis :

« Ce n'était pas un mouvement revendicatif. Ce n'était pas pour réclamer un régime plus doux ou quoi que ce soit, ça s'attaquait au système. [...] Ils ne revendiquaient rien. C'était pas "Nous voulons la télé et puis des livres de tous les jours." Il n'en a jamais été question, ce n'est venu à l'idée de personne. Non, c'était des desperados ; par ce mouvement, on exerçait notre droit à la liberté même à l'intérieur de la prison. »

Le desperado est un homme « n'ayant plus rien à craindre de la société et prêt à toutes les violences ». De fait, les prisons françaises n'offraient alors aucun espoir, aucune possibilité d'insertion aux prisonniers. Quand on n'attend plus rien d'une société, quand on en est déjà et définitivement exclu, on ne la craint effectivement plus. La situation a-t-elle changé, si l'on excepte la question des prisonniers politiques ?

L'essentiel des brochures concerne directement les conditions de vie, avec l'enquête dans 20 prisons à partir de questionnaires et récits collectés essentiellement de façon clandestine (Intolérable 1), l'enquête sur Fleury-Mérogis après la révolte du 1er mai (Intolérable 2), et les Cahiers de revendications publiés entre les numéros 3 et 4. Le numéro 3 est consacré à la figure de George Jackson, militant noir marxiste devenu une figure des Black Panthers et assassiné dans la prison de Saint Quentin (Californie) le 21 août 1971. Enfin, le numéro 4 est consacré aux suicides de prison : au-delà de l'enquête ce dernier fascicule comprend divers documents, en particulier les lettres de H.M., prisonnier (condamné comme toxicomane), condamné au mitard pour homosexualité et retrouvé pendu.

Une nouvelle explosion est-elle possible ?

Intolérable devait continuer, d'autres thèmes devaient être abordés (l'abolition du casier judiciaire, notamment). Pourtant le numéro 4 (janvier 1973) fut le dernier. La mission que s'était assignée le GIP était en fait remplie : le sujet de la prison n'était plus tu, il était devenu ou redevenu un sujet politique. Au regard de ce combat et de ses réussites, au regard du document exceptionnel que constitue Intolérable et de ceux que comprend également La révolte de la prison de Nancy de Philippe Artières, la situation actuelle, qui voit passer au second plan une réforme essentielle et authentiquement de gauche pour satisfaire les ambitions personnelles d'un ministre gouvernant aux sondages, donne à réfléchir.

En 1971, la France comptait 84 établissements pénitentiaires, détenant 15 000 prisonniers pour 20 557 places. En juillet 2013, le pays comptait 190 établissements pénitentiaires, détenant 68 569 prisonniers pour 57 320 places. Surpopulation, suicides, exploitation, absence de réinsertion : la situation n'a, dans les faits, guère changé depuis 1971. Plus exactement, elle s'est améliorée sur certains points, notamment sous l'impulsion du GIP ; elle s'est inversement dégradée sur bien d'autres.

En 1971, la France comptait un prisonnier pour 3 400 habitants.
En 2013, le ratio est d'un prisonnier pour 960 habitants.

Le 19 août dernier, les détenus de Blois se révoltaient, suivis de ceux de Châteaudun.

40 ans plus tard, les prisons françaises sont de nouveau au bord d'une explosion de protestations et de violence.

La Brèche consacrera un nouvel article à cette question et à son actualité immédiate, prochainement, alors que la réforme pénale annoncée ne peut constituer qu'une étape très partielle au regard de l'enjeu.

Groupe d'information sur les prisons
Intolérable
Verticales/Gallimard, avril 2013, 352 p.
Prix éditeur : 16,50 €

Philippe Artières (éd.)
La révolte de la prison de Nancy, 15 janvier 1972
Le point du jour, avril 2013, 155 p.
Prix éditeur : 29 €

Crédits iconographiques : 1. © Verticales/Mathieu Pernot | 2. La révolte de la prison de Nancy (15 janvier 1972) © Gérard Drolc | 3. © Le point du jour/Gérard Drolc.