[note de lecture] Pierre Drogi, "Animales", par Paul de Brancion

Par Florence Trocmé

On est dessaisi de soi-même, on se croyait roseau pensant, il n’en est rien. 

L’animal est tapi dans cela même qui n’est pas descriptible. 
   « et retroussée 
   comme babines 
(et crocs) » 
 
   « et chaque reflet poussé 
   par l’eau 
   me bouleverse» 
Il y a dialogue mais l’on ne sait pas très bien qui est le tu. 

« elle se hâte 
   de te dépêcher 
en hâte » 
 
Qui appelle ? écrit Pierre Drogi avec animale douceur et l’on sait bien que nous sommes tous, en poésie et ailleurs, nous-même et un autre que nous appelons… On rentre  très vite « dedans » le livre,  parole à dire à haute voix. 
 
Un chant animal au corps sacré jamais saisi, toujours en fuite. 
« rapporte   mon chien   rapporte » 
 
  « animales 
avec éloge pentu du temps » 
 
Quelque chose de sublime (soudain) survient dans la faune de repli de ce monde en campagne profonde. Déjà on dépiaute (halali) les reliefs d’étranges animaux presque mutants à la limite d’homme. On ne sait plus, au mitant des halliers ils s’affairent sans objet s’effacent des vivants. Quelque chose de très angoissant circule dans ce texte indistinct ? 
Qui sont-ils ? 
« Hi hi hi c’est moi 
Qui toi ? 
C’est justement ce que je m’demande » 
Alors ces sauvages-là, poésie à l’épreuve, ressassement dégingandé et hautain. Poésie fracassante, nostalgie effarée de silence. 
Ce sont des vers d’impossible blancheur pris dans une neige absente où il gèle à pierre fendre au risque du sang caché. 
« poésie fracassante » 
« ai-je manqué à la joie ? » 
    
« j’ai dit   dix fois 
le sentiment  
j’en dois d’être   entièrement 
libre  
j’ai dit   patience  
et gratuité » 
Qui est je ? 
Celui-là habité jusqu’à l’habitude de la puissance des verbes de recours à tout jamais pourra-t-il advenir à la terre autrement que caché, sauvage ? 
   « j’ai perdu   l’esprit des mots 
         les vêtements 
      les regards » 
Dylan Thomas n’avait pas tort… 
Il y a ici poésie de vérité en ce qu’elle déroute. 
   « le balai  fait  œuvre de chiendent sur le parquet qui grogne et mord » 
 
On est nulle part assis à ne rien faire ou courir pour s’échapper dans une fuite éperdue le corps giflé, griffé par les ronces et les branches qui accélèrent la course puis, soudain, cet écrivain lutteur et immobile, silencieux,  
« grelottant 
à la sortie des baleines » 
Drogi arpente le monde en animal illuminé 
« ce mal dont on fait corps de lune 
   règle ses comptes 
…. 
mais il y a trop de vent ce soir 
pour rire » 
 
On a l’impression d’être là, animales nous aussi, que c’est écrit pour nous sans nous effaroucher car ce n’est rien qu’un souffle d’interstices. On est accueilli. 
Le poète à la limite nous demande d’avoir écrit avec lui mais 
« amour du sans parole 
qui retourne au silence 
  ils ou elles 
   entreront  quand je ne saurai pas » 
 
Dans la résurgence de la lumière 
Il y a dans ce texte un désespoir et d’une richesse jamais au grand jamais rassasiée. 
Le sens se cherche, tourne un moment 
se perd à nouveau comme l’enfant qui avec son coquillage cherchait à vider la mer à lui tout seul. 
   « le vent bleu 
   joue à l’automne » 
 
Plaques articulées pivotant les unes par rapport aux autres 
On peut lire Animales en tous sens, se le dire dans la tête, le proférer en chuchotant de silence. C’est mieux. Cela donne à respirer l’odeur de vérité qui touche et fait mouche. Car « le crocodile ne rêve pas ». 
[Paul de Brancion] 
 
Pierre Drogi , Animales, Le Clou dans le fer, 2013, 20€