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Publié le 09 septembre 2013 par Nathpass
 UTLS C'est sur la violence, ne pensez-vous pas qu'il y a un réel besoin d'aller derrière les cartes, de retrouver le fil de nos pensées.

La violence, à travers l'histoire, le droit, la philo, la psy,
et aussi l'armée et aussi le droit des animaux.... les élevages industriels de porcs , par exemple un roman de la rentrée littéraire.

180 jours Isabelle Sorente
roman
 180 JOURS, c’est le temps qui
sépare la naissance d’un porc
de sa mort à l’abattoir. Ce sont
aussi les six mois qui font basculer la vie d’un homme.
Quand Martin Enders accepte de se rendre dans un
élevage industriel pour les
besoins de son travail universitaire, il n’imagine pas que le
cours de sa vie va s’en trouver
bouleversé. Par les secrets que
lui révèle Camélia, le porcher.
Et par les quinze mille bêtes
enfermées dans les différents
bâtiments.
Fondé sur la propre enquête
de l’auteur, dévoilant le quotidien surnaturel des animaux
dans les systèmes de production industriels, 180 jours est
l’histoire d’une amitié entre
deux hommes que tout semblait séparer, mais aussi celle
de leur rapport aux bêtes.
Avec ce roman, Isabelle Sorente nous entraîne au bout
des départementales, dans les
couloirs inavouables de notre
modernité, où montent les
voix de ceux qui sont privés
de parole.
Après des études scientifiques,
Isabelle Sorente
a publié plusieurs romans
et essais remarqués dont,
aux éditions JC Lattès, L,
Le Cœur de l’ogre, ou l’essai
Addiction Générale,
consacré à notre dépendance
aux chiffres.
Isabelle Sorente a fondé
la revue Ravages
et anime les soirées de lectures
Il faut qu’on parle !
avec l’écrivaine Wendy Delorme.
L’EXTRAIT :
"Il est six heures, le silo gronde. Les
femelles reconnaissent le bruit de la
nourriture qui passe au-dessus de leur tête
par les tuyaux des faux-plafonds avant de se déverser dans les auges.
Les plus jeunes se mettent à crier, le grondement
les épouvante, elles n’ont pas l’habitude de ce
tumulte mécanique. Les folles, car dans chaque
case, il y a toujours une folle qui mord ses
congénères, les laboure de ses griffes, tente de se
hisser par- dessus les autres, les folles se tiennent
un instant en équilibre sur leurs pattes arrière,
avant de se laisser retomber, lourdes, déçues,
prostrées, sans avoir rien vu d’autre qu’un portillon de fer. 

La même scène se répète dans la
loge suivante. Certaines fixent le néon comme si
elles y cherchaient la lumière du jour. D’autres
plongent leurs yeux immenses dans ceux de leur
voisine. Toutes les truies tentent de voir autre
chose au- delà des murs du bâtiment B (Gestation), 

comme si la vie qui gonfle leur ventre
avec la régularité d’un programme qu’elles ignorent

 faisait renaître dans leurs entrailles cette
idée affolante : cette vie- ci n’est pas réelle. Elles
sont enfermées ici par erreur, la vraie vie existe
ailleurs mais où ? Les plus malignes mourront les
premières, leur instinct de survie se retournera 

contre elles, ici tout se retourne, dès la seconde
portée, les plus malignes deviendront folles. À
la troisième portée, les plus gentilles connaîtront
le même sort. D’abord la folie. Puis l’incapacité
de produire. Puis la mort. Restent les autres, ni
trop malignes ni trop gentilles, hébétées, prostrées, 

elles peuvent espérer tenir jusqu’à deux ans
et demi.
Camélia n’entre pas encore, il a collé son
visage au hublot pour les observer. Il attend que
commence la distribution de nourriture, 

programmée à six heures trente sur l’ordinateur du
PC. Alors elles gueuleront moins. Il ne peut plus
supporter leurs cris, il a l’impression qu’il les comprend. 

Sa tête tourne comme s’il voyait derrière
lui, la même porte se trouve de l’autre côté du
couloir. La même salle où deux cent cinquante
 deux truies attendent de mettre bas, regroupées
en loges de quatorze places de part et d’autre
d’un couloir central, soit cinq cent quatre
femelles au total dans le bâtiment B (Gestation),
soit en comptant les lardons dans leur ventre,
quinze en moyenne par portée, sept mille cinq
 cent soixante condamnés à vivre qui attendent
d’être engraissés. Les plus entêtées s’écorchent le
groin à force de fouailler le sol, elles devraient
comprendre qu’il n’y a pas de terre sous leurs
pieds, juste du béton et la préfosse pleine de
leurs déjections. Elles creusent quand même.
Bien la peine d’avoir un odorat capable de flairer
une truffe à un kilomètre. Elles creusent quand
même, jusqu’à se faire saigner. Quelles bêtes,
pense Camélia. Il aimerait penser autre chose,

mais c’est tout ce qu’il parvient à se dire avec
des mots. La chair de leur groin a quelque chose
d’écœurant comme un sexe sur le visage. Quelles
bêtes, pense Camélia. Mais ça n’est que la partie
visible d’une pensée plus profonde, qui plonge
ses racines dans sa poitrine et le fait tousser.
Malgré les systèmes de purification d’air, censés
atténuer l’effet de la poussière pulsée par les systèmes 

de ventilation, il semble que ses bronches
soient de nouveau sensibilisées. Les tuyaux grondent 

le long des faux- plafonds, la soupe enrichie
en vitamines se déverse dans les auges, les voilà
qui se pressent accaparées par le repas comme
les passagers d’un avion qu’on recommande de
nourrir une heure après le décollage, histoire de
leur faire oublier que l’appareil, une fois conçu,
quels que soient sa destination, la puissance de
ses moteurs et le nom des passagers, l’appareil
une fois conçu finira en pièces détachées. Toutes
les bêtes bâfrent pour ne pas y penser. Dès que
c’est conçu, c’est mort. Voilà la pensée qui obsède
Camélia depuis la fin de l’été, comme s’il lisait
l’avenir cinq cent quatre fois par jour dans les
entrailles des truies du bâtiment B (Gestation)."