Dans le jardin de la bête - Erik LARSON

Par Liliba

Des centaines de romans, essais et documentaires ont été écrits sur la dernière guerre mondiale, mais le roman-documentaire de Erik Larson jette un œil nouveau sur cette période. Il retrace la vie de William E. Dodd, un américain qui fut envoyé comme ambassadeur à Berlin en juillet 1933 et y resta jusqu’en décembre 1937. Historien et professeur d’université, cet homme n’était pas du tout formé pour le poste d’ambassadeur et n’avait aucune connaissance des arcanes diplomatiques. Personne ne voulant de ce poste difficile, et il fut directement choisi par le président Roosevelt, qu’il connaissait personnellement (un peu), et il est donc tombé comme un cheveu sur la soupe au milieu des nazis.

Bref, voilà la famille Dodd au complet à Berlin débarquant pleine d’illusions et de clichés dans une Allemagne en pleine reconstruction, 6 mois après l’accession au pouvoir d’Hitler. L’arrivée du nouvel ambassadeur n’est pas très bien vue du personnel de l’ambassade qui ne le juge pas capable d’occuper ce poste de haute diplomatie, surtout en ces périodes où tout bouge vite et où les Allemands semblent vouloir changer les règles du jeu, si tant est qu’on puisse appeler ça un jeu. D’autant plus que les Dodd sont affolants de naïveté, on pourrait même dire de bêtise…

Et c’est là que ce récit devient absolument passionnant : il est incroyable de voir à quel point les gens de l’époque, diplomates, politiciens, chefs d’industries ou de presse avaient des œillères devant les yeux. Martha, la fille de 24 ans de l’ambassadeur est comme une petite fille, s’emballant à chaque coin de rue pour les beaux Allemands blonds et musclés et si bien tournés dans leur bel uniforme (il faut dire qu’elle est à moitié nymphomane et se fera un plaisir de collectionner les amants, dont plusieurs dignitaires du parti nazi, et notamment Rudolf Diels, chef de la Gestapo, ainsi qu’un espion russe…), leur fils William de 28 ans n’a l’esprit guère plus éclairé et l’ambassadeur lui-même semble ne rien voir, ne rien comprendre de ce que trame Hitler. 

« Martha gardait la conviction inébranlable que la révolution qui se déroulait autour d’elle était un épisode héroïque qui produirait une Allemagne nouvelle et saine ».

Lorsqu’il rencontre Hitler, Dodd le croit sincère et affirme à qui veut l’entendre que le régime allemand ne veut aucun mal à personne et qu’il est en droit de régner comme il l’entend dans son propre pays. Il n’est pas spécialement choqué par le sort fait aux juifs, même s’il désapprouve certaines exactions, tout comme ce sort indiffère totalement les États-Unis où règne un très fort antisémitisme (de même qu’en Europe, il faut le souligner). Et puis Dodd se veut diplomate au sens premier et ne veut pas froisser les Allemands en leur mettant des vérités sous le nez. Rares sont ceux qui osent lever le voile, tel le consul général Messersmith qui avertit dès le début de l’année 1934 qu’« une intervention en force de l’extérieur pourrait être une solution », mais qu’elle doit être rapide sous peine de voir l’Allemagne trop forte, et surtout belliqueuse.

Ce n’est qu’après la tristement célèbre Nuit des longs couteaux, du 29 au 30 juin 1934, que les yeux de Dodd commencent à s’ouvrir et que la famille prend conscience des horreurs du gouvernement de Hitler et de ses dérives. Et surtout du fait qu’il est bien tard pour réagir… L’ambassadeur, toujours en poste, commence alors à critiquer son pays d’accueil, ce qui n’est pas très bien vu ni par ses compatriotes ni par les Allemands, qui le feront renvoyer aux États-Unis en décembre 1937. Dodd est devenu bien dérangeant et il faut s’en séparer et le faire taire. Il passera la fin de sa vie à dénoncer Hitler et son régime, mais ne sera pas plus écouté que du temps où il oeuvrait comme ambassadeur.

Ce récit a été reconstitué à partir des notes personnelles des protagonistes retrouvées dans les archives, et s’il est entièrement documenté, il se lit pourtant comme un thriller. Un thriller passionnant qui fait bien froid dans le dos…

Dans le jardin de la bête d'Erik Larson, traduit de l'anglais (États-Unis) par Edith Ochs,Cherche Midi, 640 p., 21 €.

 

Un grand merci à Lisalor pour le prêt de ce roman que j'ai kidnappé pas mal de temps...