11 septembre 1599. Exécution de Beatrice Cenci, meurtrière de son père… incestueux.

Publié le 11 septembre 2013 par Fredlafortune

Le pape refuse de gracier Beatrice, son frère et sa belle-mère, qui ont assassiné le comte Cenci en lui plantant un clou dans l’oeil.

FRÉDÉRIC LEWINO ET GWENDOLINE DOS SANTOSTout Italien connaît l’histoire tragique de Beatrice, la belle parricide. Ils sont des milliers de Romains à pleurer sur son sort le jour de son exécution, le 11 septembre 1599. Elle était si belle ! Belle à figurer dans le nouveau Lui de Beigbeder. Elle aurait été moche, vieille et pauvre, combien l’auraient plainte ? Beatrice Cenci est devenue une légende vivante dans son pays. Une icône symbolisant la révolte des petites gens contre l’arrogance des grands. Alexandre Dumas,Stendhal, Shelley, Artaud, Dickens, Moravia ont tous flashé sur elle, lui consacrant poèmes, écrits et romans. Que des mecs, bien sûr !

Parce qu’elle a commandité l’assassinat de son père, Francesco Cenci, membre d’une vieille famille aristocratique romaine, elle est donc exécutée en compagnie de ses complices : la deuxième épouse de son père, la sublimissime Lucrezia Petroni, et ses deux frères, Giacomo et Bernardo. L’échafaud est dressé sur la place Sant’Angelo de Rome. Il y a plus de monde que pour un concert de Madonna. De nombreux paparazzi ont soudoyé le bourreau pour se trouver au premier rang.

Le premier à monter sur l’échafaud est le jeune Bernardo, 12 ans. Dans son infinie bonté, le pape l’a tout de même gracié la veille, mais a ordonné qu’il assiste au spectacle de l’exécution du reste de sa famille afin de parfaire son éducation avant de retourner dans une geôle. C’est maintenant à la belle-mère Lucrezia d’ouvrir le bal. Elle défaille, au point qu’il faut la porter jusqu’à la plateforme de l’échafaud. Le bourreau, Alessandro Bracca, patiente, l’épée reposant sur son épaule droite. Il ne pense qu’à ne pas rater son coup et son cou. Ses aides placent la tête de Lucrezia sur le billot. Et vlan, le cou est sectionné aussi facilement qu’une motte de beurre. La malheureuse femme n’a rien senti. Son fils Bernardo n’a pas l’air d’apprécier le spectacle à sa juste valeur. Il se sent mal.

Calvaire

C’est maintenant au tour de la star de monter sur scène. Beatrice, belle à se damner, avance vers le bourreau. La foule gronde, la foule pleure, la foule voudrait l’arracher des griffes du bourreau. Elle est si belle, elle semble si innocente. Le bourreau, lui-même effondré, abat sa lame. Et, re-vlan ! Hurlements de femmes. Bernardo s’évanouit. C’est au tour de la jeune femme de perdre la tête après l’avoir fait perdre à tant de jeunes gens. Reste Giacomo. En tant qu’homme, il a droit à un traitement de faveur : avec des tenailles chauffées au rouge, on lui a fait des pinçons sur tout le corps. Une dernière fois, il proclame l’innocence de son petit frère Bernardo avant de poser la tête sur le billot. Lui n’a pas droit à l’épée. Le bourreau saisit un lourd maillet pour l’abattre sur sa tête avec la niaque d’un Teddy Riner expédiant son adversaire au tapis. Le crâne de Giacomo vole en éclats. La cervelle gicle sur l’échafaud. Monsieur Propre se précipite pour nettoyer. Pourtant, le spectacle n’est pas encore achevé. Les aides de l’exécuteur découpent le cadavre du jeune homme en quatre morceaux qui seront accrochés à des crocs de boucher aux quatre coins de la place du supplice. Nicolas Sarkozy, qui est dans la foule, prend bonne note du procédé. Villepin s’enfuit. Les morceaux seront décrochés à 23 heures par les frères de la Confraternité de Saint-Jean-le-Décollé. Ils reconstitueront le corps pour l’enterrer dans la petite église de San Tommaso ai Cenci.

Si les Romains prennent autant le parti des exécutés, c’est parce qu’ils pardonnent leur crime. Leur victime, le comte Francesco Cenci, père de Beatrice et époux de Lucrezia, était un être immoral, débauché et paranoïaque. L’opinion publique le soupçonne d’avoir fait assassiner ses fils aînés. Sa réputation est extrêmement mauvaise. Le martyre de Beatrice commence avec la mort de sa mère, lorsqu’elle a sept ans. Son père s’en débarrasse, avec sa soeur, dans un couvent. Quand, huit ans plus tard, elle revient dans le palais paternel, elle a droit à des menaces et à des coups. Il la harcèle sexuellement, et abuserait même d’elle. Elle est si belle.

L’année suivante, en 1593, Cenci épouse la veuve Lucrezia Petroni tout en poursuivant sa vie de débauché dans les bordels et les maisons de jeu. Il cumule les maîtresses, claque des fortunes. Bref, Francisco se retrouve couvert de dettes. Il ne les paie pas, est jeté en prison. Il soudoie les autorités. Il aurait fait assassiner ses propres fils. Il refuse de marier Beatrice, préférant utiliser sa dot pour éponger ses dettes. La jeune fille a du caractère. Elle ose se révolter. Aussi sec, Cenci l’expédie dans son château de Cicolano, près de Naples, placé sous le commandement de l’un de ses vassaux, Olimpio Calvetti. Perchée sur un rocher, la sombre forteresse est appelée La Rocca. Pour faire bonne mesure, il la fait accompagner par son épouse Lucrezia, qui commence également à le fatiguer avec ses récriminations. Nous sommes alors en 1595. Beatrice tente de trouver du secours auprès du reste de sa famille, mais une de ses lettres tombe entre les mains de Cenci, qui pique une colère monstre. Il se rend à Cicolano, la frappe, la viole probablement. Cet homme est un monstre. Seul Berlusconi lui trouve des circonstances atténuantes.

Complot

En 1597, poursuivi par des créanciers, Francesco s’installe à Cicolano avec ses deux enfants mineurs : Bernardo, fils de Lucrezia, et Giacomo, frère de Beatrice. La vie devient un enfer pour les deux femmes. Elles n’en peuvent plus. Qui pourra les débarrasser de ce monstre ? Elles s’adressent à Olimpio Calvetti, devenu l’amant de Beatrice. Les comploteurs font une tentative d’empoisonnement qui échoue. Alors, quelqu’un a l’idée de payer des bandits napolitains pour enlever le comte et demander une rançon. Sauf qu’on ne la versera pas, obligeant ainsi les bandits à tuer le comte. Mais ce dernier se méfie et échappe au traquenard.

La troisième tentative est la bonne. Le 9 septembre 1598, l’un des conjurés verse de l’opium dans le verre de Cenci pour l’endormir. Olimpio Calvetti et le maréchal-ferrant Marzio s’introduisent alors dans sa chambre pour le faire passer de vie à trépas. Marzio, qui est un fan du chef britannique Gordon Ramsay, s’empare d’un rouleau à pâtisserie pour briser les jambes du comte. Cette bonne chose accomplie, aidé par Calvetti, il pose un long clou sur l’oeil du comte avant de l’y faire pénétrer à coups de marteau. Par mesure de précaution, il enfonce un deuxième clou dans la gorge. Leur boulot achevé, les deux hommes laissent Beatrice et Lucrezia balancer le corps par-dessus une balustrade surplombant de treize mètres une zone broussailleuse pour faire croire à une chute accidentelle.

La tête de Beatrice

Le 10 septembre, les domestiques trouvent le corps du comte. À peine ont-ils le temps de s’étonner des blessures bizarres que Lucrezia et Beatrice le font enterrer illico presto. Le père indigne mis en terre, elles foncent à Rome pour profiter du luxe du Palazzo Cenci. Les deux femmes sont persuadées que leur haute naissance les mettra à l’abri de tout soupçon. Mauvais calcul. La chute du balcon paraît bizarre aux autorités locales. Même le pape réclame l’ouverture d’une enquête. Le commissaire Maigret, qui passe ses vacances dans la région, recommande d’exhumer le corps. Judicieux conseil : le médecin et les deux chirurgiens qui pratiquent l’autopsie n’ont pas de mal à constater que le comte était déjà mort lors de sa chute. Par ailleurs, une blanchisseuse avoue que Beatrice lui a demandé de laver des draps imbibés de sang provenant prétendument de ses menstruations. L’appareil à analyser l’ADN étant en panne, les enquêteurs font appel à la bonne vieille méthode de la torture. Les vieilles recettes sont toujours les meilleures : à peine menacé de guili-guili, Calvetti avoue tout avant de s’enfuir grâce à une complicité, mais il est rapidement assassiné. Son complice Marzio meurt sous la torture. C’est évident, la famille Cenci est coupable et emprisonnée à la prison de Corte Savella. Soumise à la torture, Beatrice refuse d’avouer le crime, ce qui n’empêche pas leur condamnation à mort par le pape Clément VIII. Contrairement aux bonnes gens du peuple, il ne juge pas qu’avoir tué un père violeur et incestueux constitue une circonstance atténuante.

Le corps de Beatrice est inhumé dans l’église de San Pietro in Montorio à Rome, mais sa jolie tête est laissée à l’admiration et à la pitié de tous, posée sur un plateau d’argent. Elle disparaîtra lors du saccage de Rome par les troupes napoléoniennes. Les biens des Cenci sont confisqués et échouent, comme par hasard, dans la famille du pape. Depuis sa mort, Beatrice incarne la résistance contre l’arrogance de l’aristocratie. Chaque année, à la date anniversaire de sa mort, certains prétendent la voir traverser le pont Sant’Angelo sa tête sous le bras.

Source: Lepoint.fr