Dans les dépendances du vrai
Tout est vrai dans ce livre parce que
Kevin Orr, bien que jeune auteur, n’a pas la naïveté des tenants de
l’autofiction, il ne surdramatise pas non plus la littérature ni n’idéalise le
poète en torero ; il a cependant réussi à saisir plus d’éclats de Vrai que tant
d’autres avant lui en multipliant les prises, y compris celles de la fiction et
de la rhétorique et de la typographie et de l’écriture automatique et du
décadrage.
Tel un auto-portraitiste futé (parce que débarrassé des affres du narcissisme),
il a su quasiment se piéger lui-même et son double écrivant dans les affres de
ce que produit le manque de produit,
il s’est pris de vitesse comme le montre cette phrase :
J’avais mécaniquement la langue collée à
mon palais.
Ce geste de déplacement, l’adverbe ainsi collé tout de suite après le verbe, et
d’autres gestes déplacés de l’écriture, des soulignements, des élans
mimétiques, des répétitions, des regards en abîme et dedans, des majuscules
énervées, des maladresses tremblées à la Cy Twombly font mieux qu’illustrer le
travail de ce poète (plus voyeur que voyant) qui travaille dans le monde du
cinéma, ce sont les douleurs manifestes d’un combat déchirant.
Et les débuts d’une œuvre vraie :
... souvent les œuvres commencent de
cette façon-là, par quelque chose qui s'impose avec une force et une évidence
absolument nettes, capables de synthétiser dans leur réalisation l'ensemble des
travaux épars qu'on pensait avoir créés sans le moindre sens ni aucune
vocation.
[Pierre Le Pillouër]
Kevin Orr, Le
Produit, coll. Fiction & Cie, Le Seuil, 2013, 206 p.17 €