Fascinant Joël Pommerat...

Publié le 19 septembre 2013 par Fousdetheatre.com @FousdeTheatre


A l'Odéon où il a ses habitudes depuis maintenant plusieurs années, Joël Pommerat "réveille", selon ses termes, deux spectacles créés en 2004 et 2006 à Strasbourg. "Au Monde" et "Les Marchands". Nous avons eu le bonheur d'assister au second. Comme à chaque fois, ce fut une expérience visuelle, sensorielle, véritablement unique. Un voyage aux frontières du réel envoûtant, hypnotisant, parfois perturbant, aux images fortes, interrogeant le public sur la place que l'homme moderne  accorde au travail dans sa vie. Beau et percutant.

Avec les membres de sa compagnie, le dramaturge-metteur en scène travaille longuement en improvisation avant de créer une multitude de séquences à la durée variable (d'une seconde à plusieurs minutes) entrecoupées de noirs. Dans le cas qui nous intéresse, ce bout à bout onirique, ce diaporama en 3D composé d'instantanés de vie, épurés, fantasmés, quasiment muets, habillés de lumières ciselées et minimalistes, plaçant fréquemment les protagonistes à contrejour, ne laissant deviner que leurs silhouettes,  ces fragments d'existence illustrent un récit narré à 95% par une voix off et une bande son des plus recherchées.

La voix ? Celle d'une femme travaillant en usine. Heureuse, nous dit-elle, car exerçant une activité. Que ferait-elle de son temps s'il lui était impossible de le vendre, si elle ne pouvait le mettre à la disposition de son employeur ? Elle s'ennuierait. Tomberait malade. Comme son amie chômeuse, elle serait malheureuse, angoissée, perturbée... Elle aussi, peut-être, verrait des morts et leur parlerait. Ce monologue raconte la relation des deux femmes, leur complicité, le soutien qu'elles s'apportent l'une l'autre. il décrit la crainte de perdre un emploi chéri, vénéré, pourtant cause de souffrances physiques. Il montre la détresse, la peur, la mise à l'écart. il montre deux chemins qui pourraient n'être qu'un. Il remet en question nos certitudes sur la valeur travail en évitant intelligemment tout discours politique ou leçon facile, possiblement crispants...

Techniquement et esthétiquement, le résultat nous bluffe, atteignant la perfection. Sans jamais ouvrir la bouche, ou presque, les huit acteurs sont tous d'une vérité, d'une intensité prodigieuse et nous emmènent loin, très loin. Dans un endroit où tous nos sens sont en éveil. Et en émoi !

D'une poésie rare.

N'hésitez pas !

Jusqu'au 19 octobre.

Photos : Elisabeth Carecchio