Et avec ça qu'est-ce que je vous mets ?

Par Damien Besançon


Ces six derniers mois au cinéma, une pulsion de vie (dans Deux jours à tuer) et une pulsion de mort (dans 99 francs) sont toutes deux survenues à un même moment qu’on pourrait pourtant qualifier de peu fréquent : lors d’une réunion visant à proposer un « concept » pour la campagne de promotion d’une nouvelle gamme de yaourts.
Antoine et Octave, respectivement, s’y lancent de plein gré dans l’exercice dit du pétage-de-plombs. Et il s’en suit inévitablement une virée au loin, une fuite en avant, une évasion, du rêve – en somme tout ce qui peut détacher leurs yeux de l’image honnie, celle du client d’hypermarché tendant la main vers un paquet de yaourts pour le porter à son caddie.
Albert Dupontel et Jean Dujardin viennent l’un et l’autre de la scène comique. On peut d’ailleurs penser que c’est là ce qui les rend bankable, notoirement dans des drames. À ce cinéma qui fait leur pouvoir, portant aux nues leur humble parcours comme on lance un nouveau produit, ils semblent néanmoins adresser dans ces deux scènes un théâtral bras d’honneur. Mais ils semblent, seulement.
Voici comment : tout d’abord Jean Becker et Jan Kounen (principalement auteurs de films marqués Gentil ou Méchant, selon) s’appuient sur ces scènes pour faire pivoter leur héros autour d’un axe. Pour Antoine c’est l’axe altruiste, eschatologique, « ce qui restera de moi ». Pour Octave c’est l’axe égoïste, métaphysique, « ce que je deviendrai ». L’un veut revivre, l’autre, renaître.
Mais ces éclats qui paraissent magistraux font en réalité partie d’une stratégie, celle du partir pour mieux revenir. Revenir à travers les siens ou revenir dans la partie revient alors au même : il ne nous appartient pas de décider de notre sort. Dans les deux films, la scène du yaourt vient nous rappeler que derrière l’absurdité du modèle qui nous gouverne, il y a l’absurdité qui consiste à le contester.