Enseigner en région rurale, un métier ingrat

Publié le 24 septembre 2013 par Ancre_de_chine

Cheng Xinggui, 58 ans, accusé d'avoir menti sur son expérience professionnelle, s'est jeté dans une rivière. Juste avant de mourir le 17 juillet, on l'a entendu crier "J'ai des preuves !"
Quelques jours après la "Journée des enseignants" (10 septembre), cette tragédie met en lumière la précarité des enseignants des campagnes. Il s'agit souvent de personnes non-qualifiées, sans qui de nombreux villages n'auraient pas d'école.

La province du Yunnan

Cheng a enseigné dans la province du Yunnan pendant 25 ans et 6 mois. Il faisait partie des 150 000 instituteurs recrutés de façon temporaire pour enseigner dans des écoles de villages du Yunnan, des gens qui ne figuraient sur aucune liste gouvernementale parce qu'ils n'avaient pas ou pas encore obtenu les qualifications requises. Cheng a commencé d'enseigner en 1977. Comme beaucoup de ses collègues, pour un salaire plus que dérisoire, il était à la fois mentor, baby-sitter, cuisinier et infirmier. C'est lui qui portait les gosses sur son dos pour traverser des rivières en furie, c'est aussi lui qui changeait les pantalons des petits lorsqu'ils n'étaient pas encore propres. Son maigre salaire n'a pas permis à ses propres enfants d'entamer des études. Le gouvernement provincial lui a bien proposé une formation d'un an en 1997 pour régulariser sa situation. Il n'a pas pu en profiter, comment aurait-il pu payer études et hébergement alors qu'il pouvait à peine subvenir aux besoins de sa famille? C'est en 2004 que le gouvernement a décidé de remplacer les enseignants temporaires par des universitaires. En 2006, 500 000 instituteurs de l'ouest du pays ont été renvoyés pour manque de qualifications.

Yanjin, dans le Yunnan, où Cheng a enseigné

Selon le Ministère de l’Éducation, Cheng aurait dû recevoir 21165 yuans en compensation, mais il n'a pas pu prouver qu'il a enseigné pendant toutes ces années, il lui manquait des fiches de salaire représentant 8 ans de son travail. Pour ces fiches manquantes, il a rassemblé ses notes d'enseignement, toutes estampillées officiellement, pour prouver son bon droit, puis a traversé les 20 km de chemins escarpés pour aller apporter les preuves à son ancienne école. Inutiles, refusées ! Il a appelé sa femme, s'est plaint de se sentir humilié. Le lendemain, le 11 juillet, il a rendu visite à un ancien collègue, Zhu Yinghuai, 82 ans, en espérant pouvoir trouver de l'aide auprès de lui. Après tout, c'était Zhu qui l'avait convaincu en 1977 d'entamer une carrière d'enseignant ! Il aurait fallu que Zhu l'accompagne en personne à l'école, mais Zhu est âgé, il souffre de maladie neurodégénérative et, de surcroît, se déplace à grand peine, impossible donc qu'il l'accompagne. Le 13 juillet, Cheng est devenu fou, incohérent et s'est mis à battre sa femme et sa fille, ce qu'il n'avait jamais fait jusque là. Le 17 juillet, il est parti sous une pluie battante, on l'a retrouvé 18 heures plus tard à 5km de chez lui.

Des enfants vont à l'école dans la boue


Pourtant, des enseignants "temporaires", il en existe encore. On les renvoie, puis on les supplie de rester car personne ne veut de leur poste. Sans eux, les gosses devraient marcher pendant plus de 10 km pour aller dans une autre école. Rien que dans le Yunnan, il y en a encore 150 000 qui ne sont payés que le 20% du salaire de leurs collègues formés et nommés !
Et pendant ce temps, dans les villes, les enseignants reçoivent des cadeaux pour la "Journée des enseignants".

Enseignants des villes...
enseignants des champs