"Garçon, une vie s’il vous plait ! Avec des Cahuets … si vous avez."

Publié le 27 septembre 2013 par Sandrine Audras @SandrineAudras

Un jour, un homme qui a sa vie – nommons le Paul – rencontre une femme – Joane –  qui a également la sienne, de vie.
Jusque là, rien que du simple et basique.

Comme ils s’aiment, ils décident de se construire une vie à deux.
Une vie de couple, en fait

Donc cela fait :
une vie propre + une vie propre = une vie à deux.

Quand plus tard  Paul et Joane ont des enfants, ils bâtissent une autre vie: une "vie de famille" où Paul prend la fonction/rôle de Père et Joane celle de Mère.

Ce qui donne :
Une vie propre + une vie propre = une vie à deux.
Une vie à deux + des enfants = une vie de famille

Souvent, très souvent, cette 3ème vie prend le pas sur les deux autres pour des raisons évidentes et justes: les enfants.

Et de fait, la 1ère et la 2ème vie, et tout ce qu’elles contiennent, se font discrètes ou s’effacent même carrément. Peut être parce que, de ces trois « construction de vie », la dernière est celle qui a l’importante fonction de « transmettre».
C’est donc à cette fin qu’est conçue la mécanique de la « vie de famille », laquelle repose entièrement sur ces rôles ultimes et exclusifs (pensent-ils) que Paul et Joane endossent…celui de Père et de Mère.

Sauf que Paul n’est Père qu’en conséquence de l’addition de sa « vie propre » à celle de Joane… et réciproquement.
Sauf que tous deux ne sont « parents » qu’en conséquence de leur « vie de couple ».
Elle-même l’addition de leur deux « vies propres »…

Et pourtant, Joane et Paul pensent que leurs enfants ne voient et ne perçoivent que la troisième vie symbolisées par ces créatures magnifiques, terribles et mystérieuses qu’ils sont devenus : le Papa et la Maman d’Elise et Hugo.
C’est vrai qu’ils ont tout fait pour : c’est la seule portion de l’équation citée plus haut qu’ils présentent en priorité à leurs enfants… et encore, sans leur expliquer le raisonnement.

Elise a même dit un jour : « Papa et Maman ce ne sont pas des gens… C’est des Parents ! »

La force de l’évidence pour une enfant de 8 ans à l’époque, pour qui cette entité indivisible et dédiée ne pouvait en aucun cas être faillible ou fragile…

Pourquoi raconter cette histoire ?

Peut être parce qu’un jour, Paul ou Joane, je ne sais plus, ne s’est plus sentit bien dans sa première vie, dans sa vie propre.

Elle avait évoluée, cette vie perso, subit des remaniements plus ou moins subtils. Peut être qu’il y a eu trop de chocs, ou trop d’incompréhensions …peut être est-ce à cause du travail, de l’argent… peut être est-ce à cause d’une maladie…
Il y a tellement de choses qui font et sont à l’origine d’une vie perso…

Toujours est-il que celle que l’un a eue devant les yeux à un moment  ne s’additionnait plus avec celle de l’autre.
Et que du coup, la vie de couple – cette équation subtile – est devenue …bancale.

Restait la troisième vie.
La vie de famille, avec ses rôles fondateurs et sa fonction de transmission.

Alors, l’un s’est peut être dit quelque chose du genre : « ma vie ne me convient plus, je ne l’aime plus… mais faut que je pense aux enfants. Faut que je prenne sur moi pour eux, et peut être que cela passera. »

Il est possible que l’autre ait pensé : « je sens qu’on ne s’aime plus, mais on ferra avec, même si on n’est pas heureux. Le pire serait de me retrouver face à moi-même. Je ne perdrai pas ce qu’on a construit.»  

Donc, pour les enfants, et/ou à cause de cette « vie de famille »,l’un et l’autre ont  fait profil bas, avaler des couleuvres, quand ils n’ont pas mis en place d’ingénieuses« stratégies alternatives ».
Il y a du avoir des compromis tacites, des tentatives sincères, des abandons chroniques.
J’imagine qu’il fallait continuer à « transmettre », rester « de bons référents », de « bons parents » pour Hugo et Elise.

Je pense qu’ils étaient sincèrement convaincus – l’un comme l’autre – qu’en faisant tout pour maintenir en état leur fonction de Père ou de Mère au sein de leur famille, ils préservaient leurs enfants de leurs difficultés de couple. De leurs difficultés d’être.

… Le Père ou la Mère doivent cacher l’homme ou la femme aussi mal que l’arbre cache la forêt…

Arque boutés l’un comme l’autre derrière leur figure parentale maintenue à grand frais, Paul s’étiole et Joane souffre.
Pour la famille, pour les enfants,il ne faut surtout pas se remettre en question.
On est parent maintenant, on a des responsabilités, plus le temps de penser à soi … même si c’est là qu’on a mal…
Faut assumer et prendre sur soi.
Ca va aller.

Sauf que tous les deux ont oublié que cette « troisième vie »dépend des deux autres.
Que la première surtout, la vie à soi – la vie propre – soit bancale … et c’est les deux autres qui vacillent.
Et tout le monde qui trinque.

Cela a pris du temps pour que Joane et Paul s’en rendent compte et prennent conscience que c’était illusion que de croire qu’Hugo n’avait jamais vu la femme qui souffrait, doutait ou pleurait derrière le masque de Mère que Joane portait.

Ils se fourvoyaient monumentalement et égoïstement en pensant que l’image du Père dissimulait entièrement à Elise les aspirations, les craintes, ou les rêves de Paul.

Un jour, ils se sont séparés.

Ont-ils jamais pris la mesure de ce qu’ils avaient transmis pendant cette période à leurs enfants : le non-dit… la culpabilité… la souffrance… la pesanteur… le déséquilibre … et autres merveilleuses valeurs fondatrices et  "guerrières " ?

Je ne sais pas.

La morale de mon histoire ?

Je ne suis pas sûre qu’il y en ait une véritablement.
Mais si c’était le cas, comme il se doit, elle sortirait probablement de la bouche d’un enfant … même devenu un tout petit peu grand…

Elise a 32 ans aujourd’hui, et quand elle évoque la séparation de ses parents son regard se durcit un peu:

« Tu prends tout le temps où ils ont fait « semblant », t’additionnes celui pendant lequel ils ne l’ont plus fait;  tu ajoutes celui qu’il leur a fallut pour qu’enfin ils décident d’arrêter.
La somme de toutes ces années, c’est 80% de mon enfance.
J’ai du mal à en extraire de jolis souvenirs familiaux tout légers et jolis. Ils disent que tout ce qu’ils ont fait, c’était pour nous … pour ne pas qu’on souffre, parce qu’on était « petits ».
Aujourd’hui je leur dit qu’on n’a jamais été dupe et ça leur fait mal. Parce qu’ils mesurent le temps qu’ils ont gâché: le leurs, et le notre. »

Elle me sourit et ajoute :
« - Sacré héritage, hein ?
- Ça dépends, lui réponds-je, t’en pense quoi ?
- Qu’on n’a qu’une vie, le droit de se tromper, le droit de recommencer et d’être heureux. Mais pas de perdre son temps. Ni celui des autres. »

… Glups … C’est noté.

Garçon …???
Et les cahuets alors !!!!

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