Jeanne d'Arc à l'écran - 5 - Gustav Ucicky (1935)

Publié le 28 septembre 2013 par Transhumain

1935. Hitler est chancelier, l’Allemagne prépare son réarmement et le troisième Reich adopte le drapeau à croix gammée : autrement dit, ça sent le film de propagande à plein nez, d’autant que Joseph Goebbels, ministre de la Propagande et de l’Education du Peuple, contrôle déjà l’industrie cinématographique allemande et son fleuron, la UFA. On sait du reste combien la Pucelle attise les convoitises idéologiques, surtout de la part des nationalistes, et particulièrement en temps de crise. Mais ne nous y trompons pas : Goebbels et Hitler connaissaient les limites de la propagande pure et simple, et des films produits sous leur joug, très peu s’avèrent ouvertement nazis. S’enchaînent alors les films à grand spectacle, souvent à caractère historique, généralement sans lien direct avec le nazisme, donc, mais où l’antisémitisme, l’anglophobie et la glorification de la jeunesse et du sacrifice sont monnaie courante.

Et, à l’image du Joan the Woman de Cecil B. DeMille en 1916, ce sont bien les valeurs sacrificielles de l’épopée johannique qui semblent avoir retenu l’attention du régime – occasion rêvée, qui plus est, de ridiculiser l’ennemi anglais et le voisin gaulois. Réalisé par Gustav Ucicky, Das Mädchen Johanna commence d’ailleurs sur le registre de la bouffonnerie, au cours d’une dispute entre le capitaine anglais Talbot et le gros duc de Bourgogne. Les Français en prennent aussi pour leur grade : à l’exception du fidèle Maillezais (d’ailleurs inventé pour l’occasion), les capitaines français sont lâches, fainéants, cupides, corrompus et, comme La Trémouille, trahissent leur roi sans scrupules. C’est que, comme l’a déjà signalé Graham Greene [1], le personnage principal n’est pas tant cette insipide Jeanne (minaudeuse Angela Salloker) que le machiavélique roi Charles VII (Gustaf Gründgens, onctueux à souhait), qui n’hésite pas à instrumentaliser la Pucelle (plus occupée à jouir des somptueux présents de la cour (ah, son regard émerveillé à la vue de l’étincelante armure offerte par son roi !) qu’à mener l’armée au combat)  jusqu’à la sacrifier et à en faire une martyre, pour le bénéfice du Royaume.

Son rôle est celui d’un faire-valoir, d’une courtisane de Charles VII, à la droite duquel elle trône à Chinon, non sans témoigner, du reste, plus de foi en ses superstitions lorraines (sa couronne de fleur est fanée, signe d’un désastre imminent) qu’en son Seigneur Dieu… Son apparition même, qui sauve le Dauphin d’un lynchage annoncé (la foule le prend pour d’Alençon, qui vient de jeter cent hommes dans la Loire), est à comprendre comme le signe de l’importance capitale de Charles. Et ce n’est pas la crise de nerfs de Jeanne à l’annonce de la sentence du tribunal qui redorera son blason : le seul à garder son sang-froid, le seul à porter le poids et la souffrance de la trahison, c’est bien lui, le sinistre monarque – le seul, aussi, dont la clairvoyance est mise en valeur par un beau clair-obscur dans un film à l’expressionnisme par ailleurs assez terne. Curiosité subtilement fasciste, Das Mädchen Johanna vaut plus comme témoignage d'une industrie soumise au troisième Reich, que pour sa contribution à l'édifice ciné-johannique.

[1] « The real hero is Charles with his Nazi mentality, his belief in the nobility of treachery for the sake of the nation. The purge of 30 June and the liquidation of Tremouille, the burning Reichstag and the pyre in Rouen market-place - these political parallels are heavily underlined. The direction is terribly sincere, conveying a kind of blond and shaven admiration for lonely dictators who have been forced to eliminate their allies. » (G. Greene, Mornings in the Dark: The Graham Greene Film Reader, ed. David Parkinson, Carcanet Press, 1993, p. 39).