Un dictateur romain mais oh combien contemporain….

Par Citoyenhmida

J’ai mis plusieurs jours à lire “MOI, SYLLA, dictateur” de Bernard SIMIOT paru il y a de cela 20 ans chez Albin Michel.

Pourquoi?

D’abord parce que le roman est écrit dans une langue parfaitement adaptée aux événements historiques que le livre relate. Une langue d’une très haut registre, avec tous les ingrédients sémantiques idoines qui lui confèrent un anachronisme savant mais nécessaire.

Quel bonheur de retrouver et parfois de buter sur  des mots tels que “retraïre” (gladiateur armé d’un trident, d’un poignard et d’un filet dans lequel il cherchait à envelopper son adversaire armé de pied en cap), “questeur” (magistrat romain dont les attributions étaient essentiellement d’ordre financier), “patricien” (personne qui appartenait, de par sa naissance, à la classe sociale la plus élevée chez les citoyens romains, qui jouissait de nombreux privilèges et qui, à l’origine, pouvait seule prétendre à une haute magistrature).

Quelle surprise aussi de trouver plusieurs fois  le mot  ”giton” (jeune homme entretenu par un homosexuel) – ce qui rappelle de la Grande Rome n’était aussi sage qu’on voulait nous le faire croire, ou “citharède” (chanteur qui s’accompagnait sur la cithare) et “griffons” (animal fabuleux à tête d’aigle et au corps de lion, armé de griffes ou serres puissantes, employé fréquemment comme motif de décoration-  ce qui rappelle de la Grande Rome était aussi le berceau des arts!

Par ses précisions historiques, ce roman nous ramène aux meilleurs péplums des années 60 qui nous faisaient revivre les hommes et les événements des grandes cités antiques.

Ensuite, parce le récit supposé autobiographique de Sylla, général romain “détenant la magistrature suprême”, est une longue et tortueuse aventure durant laquelle “ni le pouvoir ni l’or ne l’ont jamais ébloui”.

Pourtant, toute sa vie ne fut que conjurations, complots déjoués, alliances nouées, trahisons, batailles homériques et défaites cuisantes, amitiés bafouées et reniements récompensés!

Une vie malgré tout guidée par  le service de la République – dans le sens antique du terme - et  par le désir de voir triompher l’Etat.

Enfin, ce MOI SYLLA est un roman à la limite “contemporain ” :  si les manières d’accéder au pouvoir politique ont changé (du moins en apparence), l’exercice de ce même  pouvoir fraie encore de nos jours avec les mêmes  contradictions et embuches.

L’auteur rappelle, par l’entremise d’un personnage,  que sous la Rome antique “une campagne électorale coûte toujours très cher” et que  “pour faire carrière, il faut connaitre les liens qui unissent la politique, l’administration et les affaires”!

Il est d’un cynisme qui peut paraitre exagéré quand il fait dire au même personnage : “Sans corruption, pas de chantiers, pas de marine….”.

On se croirait dans les arcanes de n’importe quel état d’aujourd’hui, toutes catégories confondues, des puritains USA où le lobbying fait loi au plus petit pays sous-développé ayant une miette de richesse minière à monnayer.

Pour finir, les préoccupations de SYLLA touchent des problèmes qui demeurent d’actualité dans le monde occidental.

Quand il se dit préoccupé par “cette affaire de droit à la citoyenneté“, il nous rappelle les difficultés des dirigeants européens face au flot migratoire.

Sylla était déjà préoccupé par “la question de l’unité italienne, si précaire encore“, cette question qui a resurgi des siècles après lui et aujourd’hui encore pose encore quelques problèmes.

Tout comme  sa prédiction à propose de la “gigantesque bataille qui se poursuivra pendant des siècles innombrables entre l’Orient et l’Occident” semble s’appliquer à ce que le monde du XXIème est en train de vivre.

Je ne vais pas vous raconter tout le livre, mais je ne peux m’empêcher de relever la vision profondément juste que Sylla avait de la géopolitique de son époque et dont beaucoup de chefs d’états contemporains auraient d’û s’inspirer. Arrivé par la force des armes au bord de l’Euphrate,  écrasant ses adversaires et s’alliant avec leurs ennemis,  il a préféré s’arrêter car “l’Asie lui apparaissait comme un gouffre où Rome était menacée d’être engloutie”.

Et pourtant, cet homme, parvenu au faîte du pouvoir suprême sur terre, a préféré l’abandonner, usé par la maladie et les abus, pour se retirer et consacrer  ses derniers jours à la méditation sur le pouvoir.

Excellente lecture donc, stimulante etenrichissante!

(Sylla : (Lucius Cornelius Sulla en latin) homme d’État romain, né en  138 av. J.-C., mort à Cumes en 78 av. J.-C.)