Encore une fausse canne compagnonnique en vente aux enchères !

Par Jean-Michel Mathonière

La vigilance de plusieurs Compagnons et amis du Compagnonnage a encore permis de détecter, via un fameux réseau social, la mise en vente aux enchères d'une fausse canne compagnonnique ! (voir le précédent article consacré à ce problème récurrent)

Il s'agit cette fois-ci d'une canne de Compagnon boulanger du Devoir, mise en vente samedi 12 octobre par l'étude de Maîtres Lavoissière et Gueilhers à La Rochelle (lot n° 207).


Photographie provenant de l'étude de Maîtres Lavoissière et Gueilhers, D.R.

Plusieurs indices permettent d'affirmer sans l'ombre d'un doute que cette canne est un grossier bidouillage destiné à donner plus de valeur à une canne qui, sans inscription comme il était au demeurant fréquent chez les Compagnons d'antan, n'avait pas grande valeur marchande.

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En premier lieu, ainsi que l'a remarqué le Pays Picard La Fidélité, C.P.R.F.A.D., la canne de E. PACAUD, « Périgord l'Aimable Conduite »,  Compagnon boulanger du Devoir reçu à Orléans à la Toussaint 1884, est exposée au Centre de la Mémoire des Compagnons du Devoir à Angers (elle faisait auparavant partie de la collection de René Édeline, « Tourangeau la Franchise », Compagnon boulanger Du Devoir). Il est difficile d'imaginer que ce Compagnon possédait deux cannes ! Il est en revanche aisé de penser que l'auteur de cette tricherie aura ainsi eu connaissance du nom de ce Compagnon d'autrefois…

En second lieu, comme le souligne également Picard La Fidélité et comme ne pourrait manquer de le relever toute personne connaissant un tant soit peu sérieusement l'emblématique compagnonnique, les Compagnons boulangers du Devoir n'employaient pas le symbole du compas et de l'équerre entrecroisés (accompagnés ici d'un fil à plomb) ! La base de leur emblème était la pelle à enfourner et le rouable entrecroisés (voir l'article précédemment consacré aux Compagnons boulangers).

Ajoutons à cela que les lettres E et F qui encadrent l'emblème n'ont aucun sens pour les Compagnons boulangers, et que la gravure de l'ensemble est malhabile et anachronique par rapport à la date à laquelle ce Compagnon a été reçu.

Cerise sur le gâteau, il me semble avoir croisé cette canne (qui possède un petit accident reconnaissable sur le côté du pommeau), VIERGE DE TOUTE INSCRIPTION, il y a deux ans sur la grande brocante annuelle de Barjac ! Je n'en mettrais pas ma main à couper (elle m'est trop précieuse), mais pas loin !

En fait, il est extrêmement probable que ce bidouillage à partir d'une canne authentique soit l'œuvre du même faussaire que nous dénoncions, Monsieur Daniel Traube et moi, dans le précédent article. Installés semble-t-il à deux pas de chez moi, dans la région d'Avignon, le graphisme peu adéquat des lettrages est assez caractéristique de ses fabrications. Combiné à sa mauvaise connaissance du monde compagnonnique, cela permet de détecter plus aisément ses faux.

Aux mêmes résultats les mêmes causes : ce faussaire a encore de beaux jours devant lui tant que les commissaires-priseurs ne feront pas faire d'expertises sérieuses et honnêtes de ces éléments-phares de l'art populaire que sont les cannes et objets compagnonniques. Et que l'appât du gain les fera employer des euphémismes (« reproduction », « gravé postérieurement », « à la manière de »…) pour désigner des faux et des bidouillages… Un chat est un chat, une arnaque est une arnaque !

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)