François, le chéri de la gauche ?

Publié le 04 octobre 2013 par Tchekfou @Vivien_hoch

Extrait d’un article de Jeanne Smits, dans Présent

C’est un signe : le monde de gauche jubile devant le pape François. Libération a publié trois pages on ne peut plus aimables, agrémentées de photos souriantes de ce pape qui « sort l’Eglise de sa bulle ». Ahurissante approbation de la part du quotidien anarcho-bancaire mieux connu comme vecteur d’un anticatholicisme mesquin et d’un libertarisme sans limites.

Serait-il touché par la grâce ? Par la parole et le geste de ce François qui dénonce l’esprit courtisan de la Curie, qui semble bousculer la morale sinon le dogme ? Qui qualifie le prosélytisme de « pompeuse absurdité » ? Libé, attiré par la radicalité du Christ ? On n’y croit pas un instant, pas plus qu’il ne faut croire l’exégèse des propos de François par la presse, trop ravie de ne pas faire les distinctions qui s’imposent.

Car on ne peut pas (on ne veut pas…) imaginer que ce pape, qui cherche à porter le Christ dans tous les cœurs, et qui sermonne quotidiennement les fidèles sur leurs péchés mignons à la manière d’un curé de paroisse, ne veuille pas convaincre de la véracité de la foi qui l’anime. Et il est vrai qu’on ne convertit pas, ordinairement, par A + B, mais avec l’amour et la grâce du Christ.

Barack Obama lui aussi aime bien le pape Bergoglio. Il s’est dit « énormément impressionné par les déclarations du pape », par toute son attitude « embrassante » à l’égard des plus pauvres : « Il ressemble à quelqu’un qui vit pleinement les enseignements du Christ. » « Son sourire change de la mine austère de son prédécesseur », écrivait Libération.

On comprend la manœuvre d’Obama, engagé dans un bras de fer avec les évêques catholiques américains qui luttent pour échapper aux éléments tyranniques de l’« Obamacare » imposant la couverture de la contraception. Politiquement, c’est tout bon pour lui.

Alors, ce pape commencerait-il à poser un sérieux problème, pour paraphraser Alain Juppé ?

Lui qui déteste les interviews et se méfie de ses premiers mouvements multiplie désormais les petites phrases en direction des médias, telle l’interview avec l’athée Scalfari publiée par La Repubblica. Ce ne sont pas des encycliques et ces propos n’engagent nullement son autorité pontificale – mais ils sont accueillis, repris, commentés, par les médias bien plus que ses textes de fond. On devine même que c’est pour cette raison que François y prend goût…

Mais voici que même le porte-parole du Vatican, le P. Frederico Lombardi – jésuite pourtant ! – se voit contraint de clarifier les choses, reléguant aussi bien l’entretien très réfléchi donné à la Civilta Cattolica et la conversation plus décontractée avec Eugenio Scalfari à des propos « informels » : « Il ne s’agit pas d’un document du magistère. »

Nous sommes donc libres de les accueillir avec circonspection, et de nous étonner de voir le pape François prendre sans délicatesse le contrepied de son prédécesseur qui vit encore. Voyez son insistance à citer un cardinal progressiste, Carlo Maria Martini, à annoncer qu’on va voir ce qu’on va voir avec son « G8 » cardinalice – dont la constitution relève pour lui d’une sorte d’engagement d’élection – à se présenter comme un nouveau saint François. Mais le Poverello n’avait pas imposé sa règle de vie à toute l’Eglise, et il n’avait pas rejeté la beauté et la richesse de la liturgie. Le siècle qui suscita François fut aussi celui des Dominicains, des débuts de l’explosion luxuriante du gothique, et d’une chrétienté sans pareille.

Au temps de François d’Assise, Thomas Becket

« portait une chemise de crin sous ses ors et cramoisis, et il y a beaucoup à dire en faveur de cette association, car Becket avait le bénéfice de la chemise de crin tandis que l’homme de la rue profitait des ors et des cramoisis » :

Chesterton pensait au saint anglais, saint Louis – ce modèle de gouvernance chrétienne – fit de même, en France.

Les bruits qui viennent de Rome traduisent pour le moins une prudence devant l’imprudent, et parlant sous couvert d’anonymat un théologien rappelle le respect dû au pape qui peut se doubler d’une « obligation de parler contre lui, voire de lui résister ». Car ses propos peuvent « ne pas être particulièrement utiles – et même carrément contre-productifs, voire dangereux ».

Cela n’empêche ni le respect, ni même l’affection – mais François n’est-il pas le premier à solliciter la critique ?

JEANNE SMITS

Article extrait de Présent n° 7953 du Samedi 5 octobre 2013