Voyage à travers le XXe siècle avec Hannah Arendt : 1906 – 1923

Publié le 06 octobre 2013 par Ttdo

1906 : Fin de l’affaire Dreyfus

1906 : Le 12 juillet, la cour de cassation réhabilite Dreyfus mettant fin à une affaire qui aura divisé les français pendant 11 ans.

Hannah Arendt consacrera le dernier chapitre de la première partie de son livre les Origines du totalitarisme (1951) à l’Affaire Dreyfus.

Première partie intitulée Sur l’antisémitisme.

Elle en fera le début de l’antisémitisme moderne.

1906 : Naissance près de Hanovre, Enfance à Königsberg

14 octobre 1906, Hannah Arendt nait à Linden près de Hanovre.

Elle passera son enfance à Königsberg, ville du grand philosophe Emmanuel Kant (1724 – 1804).

Elle aura toujours pour Kant un respect particulier et en fera un inspirateur central de son dernier livre, inachevé,  La vie de l’esprit édité et publié par Mary McCarthy.

Königsberg ancienne capitale de la Prusse orientale est devenue aujourd’hui Kaliningrad et appartient à la Russie (exclave).

1908 : Début de la société de consommation

Le 12 août 1908, le constructeur américain d'automobiles Henry Ford présente la première voiture produite en grande série : le modèle T.

Dans les 20 années qui suivent, son entreprise, la Ford Motor Company, va vendre le modèle T à 15 millions d'exemplaires.

C’est le début aux Etats-Unis de la société de consommation, du modèle consumériste (le fameux « american way of life ») qui s’étendra à l’Europe après la seconde guerre mondiale pour s’imposer ensuite, après l’implosion de l’URSS, à la totalité, ou presque, des pays.

Dans Condition de l’homme moderne Hannah Arendt pointe dès 1958 les dangers de la société de consommation. Ce qui fera de son livre, The Human Condition en anglais, un livre culte sur les campus américains en 1968.

Enfance et  Antisémitisme

Examinant, quarante-cinq ans plus tard (en 1964 dans une émission télévisée) son enfance à Königsberg, Hannah Arendt ne considère pas l’antisémitisme qu’elle y a rencontré comme un problème.

Elle a le sentiment d’avoir été épargnée et, plus encore, comme elle le dit à Karl Jaspers, qu’elle a grandi sous la tutelle de sa mère sans jamais subir de préjudices.

Elle garde par-dessus tout le souvenir d’une conduite qu’elle tâche d’adopter toute sa vie, et qu’elle essaie de faire adopter aux autres juifs : « Il faut se défendre soi-même ».

Paul Arendt et sa bibliothèque

L’enfance radieuse décrite par sa biographe est assombrie, selon son expression, par de lourds nuages.

Le premier : en 1911 le père de Hannah Arendt, Paul, victime d’une rechute de la syphilis contractée dans sa jeunesse, est interné.  Il meurt en octobre 1913.

Hannah n’aura connu son père que malade mais il aura eu une influence sur elle par sa bibliothèque qui nourrit les premières lectures de la jeune Hannah. Elle lit les auteurs classiques grecs et latins et Kant dès 14 ans !

Le second nuage : la guerre de 1914.

1914 : La Guerre !

Le 28 juin 1914, l'héritier de l'empire austro-hongrois et son épouse sont assassinés à Sarajevo par un terroriste serbe. Imputé à la Serbie par le gouvernement autrichien, l'assassinat va servir de prétexte au déclenchement de ce qui deviendra la Première Guerre mondiale. Ce déclenchement est probablement un des évènements les plus complexes de l’histoire mondiale. Un livre récent lui est entièrement consacré : Les somnambules de l’historien australien Christopher Clark.

Pour Martha et Hannah Arendt les derniers jours d’août 1914 sont « de terribles journées marquées par l’inquiétude : les Russes sont à la porte de Königsberg ». Le 23 août 1914 elles s’enfuient à Berlin où la plus jeune sœur de Martha vit avec ses trois enfants. Elles s’enfuient juste au moment où les troupes allemandes sont transférées vers Tannenberg pour rencontrer la seconde armée russe. Comme des centaines d’autres habitants de Königsberg les Arendt quittent leur maison sans savoir si elles y retourneront jamais.

30 août 1914 : Victoire de Hindenburg à Tannenberg

Le 30 août 1914, un mois après l'ouverture des hostilités, la victoire surprise des Allemands sur les Russes à Tannenberg révèle aux Européens les plus avertis que cette guerre sera longue et sans pitié.

Paul von Hindenburg (67 ans), le général vainqueur, devient feld-maréchal et très populaire en Allemagne. C’est lui qui appellera Hitler au pouvoir en 1933.

Lorsque Martha et Hannah sont en mesure de retourner chez elles, dix semaines après leur fuite, la région est calme ; la vie est redevenue normale malgré la guerre qui fait rage sur les fronts de l’Est et de l’Ouest.

Martha et Hannah Arendt vivent les années de la Première Guerre mondiale dans leur maison de Königsberg qui, devenue ville de garnison, n’est plus le théâtre d’aucun combat après la retraite des Russes en 1914.

La révolution russe de « février » 1917

Pendant ce temps en Russie un évènement qui va changer le cours du XXe siècle. Le 8 mars 1917, à l'occasion de la Journée des femmes, des travailleurs défilent paisiblement à Saint-Pétersbourg. La manifestation dégénère très vite. Elle entraîne en quelques jours l'effondrement du régime tsariste.

Une semaine plus tard, Nicolas II abdique et laisse la place à une République démocratique.

Celle-ci s'effondre à son tour neuf mois plus tard, laissant le pouvoir aux bolcheviques.

La « révolution d’octobre »

Dans la nuit du 6 au 7 novembre 1917 les bolcheviques s'emparent du Palais d'Hiver et des principaux centres de décision de la capitale russe.

Les habitants ne se rendent compte de rien.

Dans la terminologie bolchevique, ce coup de force sans véritable soutien populaire est baptisé «Révolution d'Octobre» car il s'est déroulé dans la nuit du 25 au 26 octobre selon le calendrier julien en vigueur dans l'ancienne Russie jusqu'au 14 février 1918.

Abdication de Guillaume II, Armistice

En Allemagne, le 9 novembre 1918, l'empereur allemand Guillaume II abdique.

Le socialiste Scheidemann proclame la République.

Préoccupé par la révolution allemande, qui fait écho à la révolution russe et qui menace d'emporter le pays, il demande l'armistice aux Alliés deux jours plus tard.

Révolte Spartakiste, Assassinat de Rosa Luxemburg et de et Karl Liebknecht

Au cours des deux dernières années de guerre et durant la révolution de 1918-1919, la maison de Martha Arendt devient un lieu de rendez-vous des sociaux-démocrates.

Martha Arendt soutient les Spartakistes lorsque leur soulèvement aboutit à une grève générale dans la première semaine de 1919.

Hannah Arendt se souviendra très bien que sa mère, fervente admiratrice de Rosa Luxemburg l’avait entrainée dans les toutes premières discussions enflammées qui eurent lieu au sein du groupe de Königsberg lorsque vint de Berlin la nouvelle qu’il y avait eu une insurrection.

Alors qu’elles couraient dans la rue, Martha Arendt lança à sa fille : « Retiens bien cela, tu vis un moment historique ».

Hannah Arendt conservera toute sa vie une grande admiration pour Rosa Luxemburg. Pour son étude de l’impérialisme dans Les Origines du totalitarisme, elle se réfèrera au livre célèbre de Rosa Luxemburg traduit en français sous le titre L’accumulation du capital : contribution à l’étude économique de l’impérialisme[1].  Elle lui consacrera un texte publié dans son livre Men in Dark Times traduit en français sous le titre Vies Politiques[2].

Le moment historique est tragiquement bref. Le 15 janvier, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés par des membres des Corps Francs (Freikorps).

Le Parti communiste, formé par la fusion des Spartakistes et de plusieurs groupes éclatés, essaie de relancer le mouvement lors de la première Semaine de Spartacus ; il échoue.

Institution de la République de Weimar

Le 6 février 1919, trois mois après l'armistice, une Assemblée constituante allemande se réunit dans le théâtre de Weimar.

Elle régularise les institutions républicaines nées de la défaite allemande et de l'abdication de l'empereur Guillaume II.

Les députés mettent en place les institutions républicaines qui vont remplacer le IIe Reich allemand. Ils installent à la tête du pays un président de la République, officiellement appelé Reichspresident, le nouvel État républicain conservant le nom de Reich (Empire en français).

Ce président est élu pour sept ans, avec de larges pouvoirs dont celui de suspendre les droits fondamentaux des citoyens et d'autoriser le chancelier à gouverner par décret-loi, sans passer par un vote du Parlement ou Reichstag.

Le premier président de la République est Friedrich Ebert. En raison des circonstances exceptionnelles, il est désigné par l'Assemblée et ne sera jamais légitimé par le suffrage universel comme le prévoit la Constitution de Weimar.

Les constituants introduisent le référendum d'initiative populaire et un mode de scrutin à la proportionnelle intégrale.

En acceptant l'humiliation du traité de Versailles du 28 juin 1919, le nouveau régime ternit son image auprès de l'opinion publique.

À la mort du président Ebert, en 1925, le vieux maréchal Paul Von Hindenburg (78 ans) est élu à sa succession au suffrage universel. C'est lui qui appellera Hitler à la chancellerie le 30 janvier 1933. Ce sera la fin de la République de Weimar.

Les institutions de la République de Weimar vont cependant perdurer dans la forme jusqu'à la chute du nazisme.

Traité de Versailles

Huit millions de morts (dont 1.400.000 pour la France) témoignent de l'horreur exceptionnelle d’une guerre sans précédent achevée par l'armistice de Rethondes.

Des traités de paix avec chacun des pays vaincus transforment complètement la carte du continent européen : avec la disparition de quatre empires, l'allemand, l'austro-hongrois, le russe et l'ottoman, au profit de petits États nationalistes, souvent hétérogènes, revendicatifs... et impuissants.

Le premier des traités de paix et le plus important est signé le 28 juin 1919 avec l'Allemagne dans la galerie des Glaces au château de Versailles, sur les lieux mêmes où fut fondé l'empire allemand le 18 janvier 1871. Pour la forme, les représentants de 27 pays alliés font face aux Allemands. Mais le traité de Versailles a été concocté en cercle fermé par quatre personnes seulement : Clemenceau, Lloyd George, Wilson,Orlando.

L’Allemagne est amputée du huitième de son territoire et du dixième de sa population. Elle est par ailleurs soumise à des limitations de souveraineté. L'Allemagne perd l'Alsace et la Lorraine du nord (Metz), annexées en 1871. L'Allemagne perd une grande partie de ses provinces de l'Est à l'exception de la Prusse orientale (Königsberg).

Aux marges orientales de la nouvelle Allemagne, le traité ressuscite une Pologne hétérogène (avec une forte minorité germanophone) dont le seul accès à la mer passe par les territoires allemands. C'est le corridor de Dantzig que la Pologne se montrera inapte à défendre. Les royaumes et les principautés qui composaient l'Empire allemand et pouvaient servir de contrepoids à l'autoritarisme prussien sont dissous.

L'armée allemande est réduite à 100.000 soldats de métier et la marine de guerre à 16.000 hommes. Les forces armées sont interdites d'artillerie lourde, de cuirassés et d'avions. Les Alliés prévoient d'occuper militairement pendant 15 ans la rive gauche du Rhin ainsi que trois têtes de pont sur le Rhin (Mayence, Cologne, Coblence). Il est prévu également une zone démilitarisée de 50 km de large sur la rive droite du Rhin.

Le gouvernement allemand doit reconnaître sa responsabilité dans le déclenchement de la guerre, ce qui relève d'une interprétation pour le moins tendancieuse de l'Histoire.

Enfin, l'Allemagne est astreinte à de très lourdes «réparations» matérielles et financières. Le montant final en sera fixé après la signature du traité de Versailles, en 1921, à plus d’une année du revenu national de l'Allemagne.

En Allemagne, c'est l'indignation. L'opinion publique qualifie le traité de Diktat. L'assemblée réunie à Weimar se résigne néanmoins à approuver le traité le 22 juin 1919, avant qu'il ne soit signé dans la galerie des Glaces de Versailles.

Cela n'empêchera pas le Sénat américain de rejeter le traité de Versailles et de refuser par la même occasion l'entrée des États-Unis à la Société des Nations (SDN), créée à l’initiative de leur président.

Quant aux Français, ils trouveront dans leur majorité le traité encore trop indulgent à l'égard de l'Allemagne et en tiendront rigueur à Clemenceau qui échoue à l’élection présidentielle de 1920.

Le 10 septembre 1919 le traité de Saint Germain-en-Laye met fin officiellement à l'Autriche-Hongrie. Les Alliés refusent aux Autrichiens de langue allemande le droit de s'unir à l'Allemagne. Ils créent une petite Autriche indépendante de 7 millions d'habitants. Trop petite pour être viable, avec une capitale démesurée de 2 millions d'habitants, Vienne. 17 ans à peine s'écouleront avant qu'Hitler ne décide de la rattacher au IIIe Reich.

En février 1920 Martha Arendt se remarie avec Martin Beerwald.

Occupation de la Ruhr, Hyperinflation

En juin 1922 la conférence pour la fourniture d’un prêt à l’Allemagne par les Alliés échoue.

Composé le 22 novembre 1922, le cabinet du nouveau chancelier du Reich Wilhelm Cuno réclame un report des échéances du remboursement des réparations pour deux ans en échange d’une tentative de stabilisation monétaire. Cette demande est refusée par les chefs de gouvernements alliés à la fin décembre à Paris.

Le 11 janvier 1923, à l’instigation du président du Conseil français Raymond Poincaré, les armées française et belge envahissent le bassin industriel de la Ruhr. Le 13 janvier, Cuno réplique en appelant à la résistance passive et le 19, il demande aux fonctionnaires de refuser d’obéir aux ordres des occupants La répression est immédiate : instauration de l’état de siège, interdiction d’envoyer du charbon vers l’Allemagne non occupée, établissement d’une frontière douanière à l’intérieur même du territoire allemand, expulsion de dizaines de milliers de fonctionnaires et de cheminots, etc. La situation dégénère rapidement et la résistance s’organise sous l’aile bienveillante de la Reichswehr. Les mouvements de droite se réveillent. Même le parti communiste d'Allemagne (KPD) de Karl Radek se prononce pour la résistance. Le 31 mars 1923, treize ouvriers sont tués à Essen par les occupants.

Les prêteurs étrangers perdent totalement confiance. L’indice des prix au détail passe de 1 en 1913 à 750 milliards en novembre 1923.



[1] Maspéro, 1969, épuisé.

[2] Tel Gallimard, 1974