Ils voient des notes de musique partout!

Publié le 26 mai 2013 par Harmonic777888 @phbarraque

Oui cela existe : certains patients voient des notes de musique partout. Un délire obsessionnel où la représentation des sons sur une portée musicale remplace les mots, le verbal. C’est ce que décrit le neurologue britannique Oliver Sacks dans sa dernière publication scientifique parue en mars 2013 dans la revue Brain.

Ainsi, il évoque le cas de huit personnes âgées ayant toutes ce type particulier d’hallucinations visuelles, reliées pour la moitié d’entre elles à des troubles de la vision.

Marjorie J., une Américaine de 77 ans, atteinte d'un glaucome qui touche surtout la partie inférieure de son champ visuel raconte : "Il y a environ deux mois, j'ai commencé à voir de la musique, des lignes, des interlignes, des notes, des clefs, en fait de la musique écrite sur tout ce que je regardais, mais seulement dans la zone aveugle de mon champ visuel. Je l'ai ignoré pendant un moment mais un jour que je visitais le Musée d'art de Seattle, à la place des lignes des notices explicatives des tableaux, j'ai vu de la musique. J'ai su que j'étais en train d'avoir une sorte d'hallucination." Quelques mois plus tard, Marjorie J. se souvient qu'en lisant son journal, les lignes imprimées dans la partie inférieure de sa vision périphérique étaient des lignes de musique : "Cependant, quand j'ai baissé les yeux pour les regarder, elles ont disparu, puis réapparu quand mon regard est remonté." Ces hallucinations ont disparu après son opération du glaucome. Le cortex se montre donc parfois d’une créativité très encombrante.

Le cas d'Arthur S. est assez semblable. Il s'agit d'un chirurgien qui, est en train de perdre la vue en raison d'une DMLA, une dégénérescence maculaire. Des portées commencent à lui apparaître et ce pianiste amateur se dit qu'une partie de son cerveau compose peut-être de la musique de façon autonome. Malheureusement, il ne peut la déchiffrer car les « partitions » sont complexes à déchiffrer pour ses capacités de musicien non professionnel, mélangeant quatre ou six portées, parfois avec six notes à jouer ensemble, sans compter les rangées horizontales de dièses et de bémols ! Comme il le résume, c'était "un pot-pourri de notation musicale sans aucun sens". Sans doute Pierre Boulez aurait-il pu la déchiffrer ?

Ted R., pianiste à ses heures, trouve une astuce pour essayer de jouer ses "compositions" : il s'installe devant son instrument, pose un journal sur le pupitre et attend que les lignes imprimées disparaissent sous les portées hallucinatoires. La déception est de nouveau au rendez-vous car la musique est difficilement déchiffrable, notamment parce que la mélodie, bourrée d'ornements, se joue sur les notes les plus graves du piano, ce qui nécessite une demi-douzaine de lignes supplémentaires sous la portée en clé de sol. Mais Ted R. savait-il que la clé de Fa existe ? Apparemment non.

Les scientifiques savent depuis longtemps que l’apparition de ces « partitions », de ces images mentales fulgurantes, s'apparente à un trouble visuel connu depuis 1760, le syndrome de Charles Bonnet, du nom du naturaliste genevois qui l'identifia le premier chez son grand-père, un homme quasiment aveugle, qui semblait percevoir une multitude de formes humaines et animalières.

En revanche, il est plus difficile d'expliquer l'apparition de ces hallucinations chez des personnes n'ayant pas de trouble de la vision, comme c'est le cas pour la moitié des huit patients âgés. Ceci dit, pour les quatre autres cas, on note que deux sont atteints de la maladie de Parkinson, qu'une troisième a eu ces hallucinations lors de fortes fièvres et que la quatrième voit des portées musicales lorsqu’elle se réveille.

Il est intéressant de noter que sur huit patients, sept sont des musiciens actifs, amateurs ou professionnels. Pour eux, les notes inscrites sur les portées sont analogues à une écriture et correspondent à un long apprentissage de leur cerveau à la musique. C’est leur mode de fonctionnement et nul doute, qu’un peintre mettrait à la place des notes de musique des couleurs et des formes.  Pour construire ces hallucinations, le cerveau cherche donc un langage qui est familier au patient tout en le complexifiant à souhait, hallucinations obligent !

Philippe Barraqué

Musicothérapeute

Musicologue (Université Paris8)

 

 

 

 

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Source : Brain

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