Deux réalisateurs réunis par la rage et un certain goût pour la provocation

Par Borokoff

A propos de La vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2 d’Abdellatif Kechiche et Prisoners de Denis Villeneuve 

Adèle Exarchopoulos

Inspiré par le roman graphique Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh, La vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2 du Français Abdellatif Kechiche se passe dans le Nord de la France et narre les affres et les déboires sentimentaux d’une jeune femme de notre époque âgée de 17 ans (jouée par Adèle Exarchopoulos), qui découvre sa sexualité et son corps en même temps qu’elle tombe amoureuse d’Emma, une étudiante aux Beaux-Arts de Lille (irréprochable Léa Seydoux) plus âgée qu’elle. Les deux femmes vont bientôt vivre une passion amoureuse tumultueuse et tourmentée avant de s’entre-déchirer et de se séparer. Le nouveau film de Kechiche, qui n’est sans doute pas son meilleur, se déroule sur plusieurs années successives et tourne autour de la figure centrale d’Adèle, incarnée par une Adèle Exarchopoulos admirable. La jeune femme tâtonne, se cherche avant de rencontrer Emma pour qui elle a comme un coup de foudre. Mais si Adèle éprouve une sorte de fascination pour la liberté et la figure artistique que représente Emma, cette dernière semble au contraire trouver de plus en plus plan-plan sa petite amie. Auparavant, les deux femmes se seront aimées dans des scènes de sexe très explicites mais un brin répétitives…

Adèle Exarchopoulos, Léa Sydoux

C’est d’ailleurs le reproche essentiel que l’on pourra faire à un film dont la longueur (pratiquement trois heures !) ne se justifie pas forcément. Si les deux premières heures sont plutôt brillantes et réussies dans le portrait d’Adèle et le côté chronique du film, la dernière partie finit par lasser. On y sent moins de fluidité dans la mise en scène mais davantage de labeur, de difficulté à trouver un nouveau souffle, à trouver de nouveaux enjeux dramatiques et cinématographiques. Comme si le cinéma de Kechiche tournait un peu en rond sur ce coup-là. En même temps que le film tombe dans l’anecdotique, il perd en tension et en intensité dans ce dernier tiers qui coïncide avec la rupture entre les deux femmes, à l’époque où Adèle est devenue institutrice et a emménagé avec une artiste dont la carrière décolle. Rien à dire du côté de la direction d’actrice, des performances de Seydoux à celles de l’extraordinaire Exarchopoulos. De tous les plans, la jeune actrice incarne à merveille cette période d’initiation et de passage à l’âge adulte à travers un apprentissage parfois cruel et violent de la vie que Kechiche décrit bien. Des déboires et une souffrance physique et psychologique filmés caméra au poing et la rage au ventre par un réalisateur qui confirme et assume les revendications sociales, les questionnements subtils (en toile de fond) de son cinéma, notamment sur l’Histoire de la France et un passé colonial pas toujours assumé. Quant à Exarchopoulos, elle incarne à merveille cette période cruciale d’une jeune femme en pleine mue, en pleine transition et en pleine douleur. Les gros plans sur son visage éploré font penser aux beaux portraits de Pure de Lisa Langesth ou d’Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Love…

Jake Gyllenhaal et Hugh Jackman

Dans un genre qui n’a rien à voir avec la romance évoquée ci-dessus, si ce n’est par une certaine forme de rage et de provocation assumées qui réunit les deux réalisateurs, Prisoners du Canadien Denis Villeneuve est un thriller assez haletant qui se tient dans la banlieue de Boston, où deux fillettes ont été enlevées sous les yeux de leurs parents. Le film réalisé par l’auteur du très remarqué Incendies vaut autant par l’ambiance poisseuse et pluvieuse qui s’en dégage, à mi-chemin entre Seven et une version plus approfondie et travaillée psychologiquement de la série des Esprits Criminels, que par la confrontation entre ses deux acteurs principaux : Jake Gyllenhaal, qui campe un inspecteur traumatisé et plein de tics et Hugh Jackman, père de famille à la recherche désespérée de sa fille et qui n’hésitera pas à torturer celui qu’il soupçonne d’être l’auteur du kidnapping (toujours aussi excellent Paul Dano, décalé et inquiétant à souhait pour ne pas dire illuminé cette fois !) et qui est d’ailleurs le suspect N°1 dans l’affaire.

Jake Gyllenhaal

La torture que l’on voit à l’œuvre dans Prisoners est un des enjeux majeurs du film. Les scènes répétées de torture du personnage joué par Dano (son visage massacré et sanguinolent est à la limite du soutenable) porteront forcément à débat dans la manière dont le réalisateur s’attarde pour ne pas dire s’appesantit dessus. Pour mieux dénoncer la torture ? A la limite du complaisant, ces scènes assez peu convaincantes pêchent surtout par leur provocation frontale mais maladroite. On sent un réalisateur soucieux de rentrer « dans le lard » du spectateur mais qui ne verse pas forcément dans la nuance. Pourtant ces scènes gênent moins que cette religiosité de pacotille dans laquelle baigne le film et qu’incarne le père de famille, joué par Jackman. Certes, le film est d’abord destiné aux Américains mais la foi catholique qui imprègne le héros de Prisoners comme cette question du bien et du mal qui le taraude et le ronge desservent le film et finissent par devenir des freins inutiles et irritants à une intrigue pourtant rondement menée jusque-là. Car malgré quelques invraisemblances dans ses péripéties et son histoire Prisoners est un thriller bien ficelé. Un polar réussi et convaincant (malgré quelques maladresses) dont la mise en scène tendue et les rebondissements inattendus trouvent un écho remarquable dans le jeu parfait des duettistes Gyllenhaal et Jackman…

http://www.youtube.com/watch?v=GTF-6tGQxsw

La vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2 d’Abdellatif Kechiche avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Aurélien Recoing… (02 h 59)

Prisoners de Denis Villeneuve avec Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Viola Davis (02 h 33)