L’élection cantonale à Brignoles : derrière la poussée du FN, l’effondrement de la gauche

Publié le 15 octobre 2013 par Delits

On aura rarement entendu autant parler d’élections partielles. Le scrutin cantonal à Brignoles, dans le Var, marqué par la victoire du FN au second tour, après un score élevé au premier, apparaît comme un large désaveu des partis de gouvernement, et plus particulièrement de la gauche au pouvoir. Toutes les élections partielles depuis le début de l’année se sont traduites par une défaite plus ou moins cuisante de l’actuelle majorité. La conjonction de cette victoire pour le parti de Marine Le Pen et d’un sondage Ifop donnant ce même parti en tête des intentions de vote pour les élections européennes de l’année prochaine nourrissent les inquiétudes, notamment dans les rangs des deux grands partis, et l’enthousiasme dans les rangs du parti frontiste qui se voit désormais comme « le premier parti de France ».

Tirer des leçons d’une élection partielle est toujours complexe. Le canton de Brignoles, à l’instar des autres circonscriptions où se sont déroulés des élections partielles, n’est pas une « mini-France ». Les résultats obtenus reflètent avant tout l’histoire électorale de ce territoire, qui ne correspond pas à celle de la France en général. Rappelons à ce titre que dans ce canton du Sud de la France, Nicolas Sarkozy était arrivé nettement en tête à l’élection présidentielle de 2012 (58 % des voix). La force du FN dans la région n’est pas une surprise. Marion Maréchal-Le Pen a été élue députée non loin de loin, et aux élections législatives, le parti frontiste avait obtenu en 2012 32 % des voix au premier tour, puis 41 % au second, où il avait pu se maintenir face à l’UMP, la gauche ayant (déjà) été éliminée dès le premier tour. Cependant, la progression du FN est bien réelle dans ce dernier scrutin, et surtout, c’est sa capacité à mobiliser l’électorat qui impressionne. Alors que le PS et l’UMP voient leur nombres de voix s’effondrer, seul le FN tire son épingle du jeu, un bien mauvais présage pour les deux grands partis traditionnels à quelques mois des municipales.

Un nombre de voix record pour le FN dans le canton, une victoire incontestable

Après deux élections cantonales annulées pour cause de résultats trop serrés – expliquant la tenue de cette troisième élection cantonale dans le territoire de Brignoles – , les électeurs ont donné une claire majorité, dimanche dernier, au candidat du FN qui l’emporte par près de 54 % des suffrages (53,91 %). Soit 5031 voix, un score inédit pour le Front national dans le canton comme le montre le graphique ci-dessous.

 

Au premier tour, le candidat FN, Laurent Lopez, a recueilli 40,40 % des suffrages, soit 2718 voix. Avec les 612 voix du dissident frontiste, candidat sous les couleurs du parti mariniste à la précédente élection cantonale et qui concourrait cette fois sous les couleurs du « Parti de la France » (fondé en 2009 par Carl Lang, ancien cadre frontiste), l’extrême-droite mobilise en tout 3330 électeurs. Beaucoup de commentateurs relativiseront alors la « poussée frontiste ». Le FN n’a-t-il pas fait largement davantage de voix lors de précédentes élections, notamment au premier tour de la présidentielle ? Comment alors parler de victoire du FN ?

Explication malheureusement un peu courte, car le FN progresse en voix alors même que l’abstention augmente, une prouesse que ni l’UMP ni le PS ne parviennent à accomplir, loin de là. Il faut retenir que FN mobilise dans une élection par essence démobilisatrice, et que cela peut difficilement apparaître comme un signe de faiblesse pour la formation de Marine Le Pen, même si en nombre de voix, elle n’atteint pas son score maximal. Des trois cantonales organisées depuis 2011 à Brignoles, celle qui vient de se dérouler est celle qui a connu le plus d’abstention, celle-ci s’élevant progressivement au fil des scrutins.

 

Si, au premier tour, le FN arrive à y obtenir des scores en voix importants comparativement aux autres élections, c’est qu’il mobilise quand d’autres n’y parviennent pas, qu’une dynamique est enclenchée, à même de se reproduire dans d’autres élections dans quelques mois.

Le deuxième tour vient confirmer cette dynamique. Score record pour le FN, victoire incontestable cette fois.

Le FN gagne 1700 voix entre les deux tours. D’où viennent-elles ? Probablement largement des abstentionnistes de premier tour (environ 3600 électeurs de plus se sont mobilisés au second tour, une mobilisation plus importante qu’au second tour de 2012 qui opposait gauche et FN). Les nouveaux votants qui choisissent le FN se recrutent certainement également parmi les 612 voix portées au premier tour sur le dissident FN, bien qu’il ait appelé à voter UMP au second tour. Peut-être aussi de la gauche, mais peut-on pour autant parler d’un effondrement du Front républicain ? Le candidat UMP gagne lui 2904 voix entre les deux tours, signe qu’il semble bien avoir rallié une partie des voix de gauche (1579 voix au premier tour) et la majorité des abstentionnistes nouveaux votants au second tour.

Le Front républicain fonctionne donc, mais il n’est pas suffisant. La victoire du FN est d’autant plus remarquable qu’elle se fait contre un candidat de droite. Aux élections cantonales précédentes, très serrées (puisqu’annulées), le FN avait talonné la gauche. En juillet 2012, le FN avait gagné presque autant de voix entre les deux tours (1446), mais contre la gauche, ce qui fait une différence de taille, une partie des électeurs UMP pouvant constituer un vivier pour le candidat FN. En 2013, le candidat UMP a vraisemblablement rallié ses électeurs de premier tour. Qui sont donc les nouveaux électeurs du FN au second tour ? La réponse est sans doute à chercher dans la faiblesse des deux grands partis, dans les déçus d’une UMP sans leadership et sans vision, qui n’avaient déjà pas voté pour elle au premier tour, et des déçus, à gauche, d’un gouvernement sans résultat, qu’ils ne veulent plus soutenir. Croient-ils vraiment dans les solutions proposées par le FN, votent-ils pour « mettre un coup de pied dans la fourmilière », pour tenter autre chose après que l’UMP puis le PS n’ont pas réussi à enrayer la crise ? Les motivations sont sans doute multiples, mais elles convergent vers une dynamique FN dans ce canton.

Mettre la focale sur le FN et oublier l’effondrement de la gauche ?

Le FN a progressé, indéniablement, mais les mouvements de voix les plus importants ne sont pas à chercher du côté de ce parti, qui avait déjà gagné l’élection cantonale en 2011 (certes face à la gauche) et s’était qualifié au second tour de l’élection législative en 2012.

La gauche n’a pas passé le cap du premier tour lors de la dernière élection cantonale. Le candidat communiste, censé rassembler le Front de gauche et le PS, mais dont la désignation a été contestée localement, n’a recueilli que 15 % des voix. EELV, qui s’est présenté indépendamment, a obtenu 8,89 % des suffrages. Au total, la gauche semble donc s’être effondrée. Elle obtient 23,5 % des voix, soit plus de 10 points de moins que son étiage naturel (35,6 % à l’élection législative de 2012, 34,4 % au premier tour de l’élection présidentielle).

Si l’on regarde en nombre de voix, l’effondrement est encore plus flagrant du fait de la montée concomitante de l’abstention :

 

La différence avec la précédente élection cantonale, en 2012, est frappante : juste après l’élection présidentielle, la mobilisation de la gauche est un peu inférieure à celle ayant prévalue en 2011, mais ceci s’explique par la montée générale de l’abstention. En suffrages exprimés, la gauche gagne même des voix entre les deux premières élections cantonales passant de 31,5% à 39,6%. En 2013, la gauche s’écroule en voix (1579) et en suffrages exprimés (23,5%). Le contexte joue sans aucun doute : le PS ne s’est pas présenté en tant que tel et a décidé de soutenir un candidat communiste. Néanmoins, cette érosion n’est pas isolée. Elle est la véritable leçon des élections partielles qui se sont tenues depuis le début de l’année. Si l’on prend ces quatre suffrages (deux cantonales – Brignoles et Mantes-la-Jolie –, et deux législatives, celle ayant eu lieu dans l’ancienne circonscription de Jérôme Cahuzac et celle de la deuxième circonscription de l’Oise), la démobilisation de l’électorat de gauche est indéniable : entre l’élection présidentielle de 2012 et l’élection partielle, la gauche affiche des diminutions allant de -18,3% à -32,2% des inscrits, tandis que pour le FN, ces diminutions ne sont que de -4,7 % à -14,1 %. Si l’on compare à partir des élections législatives, les enseignements sont identiques : dans ces élections partielles qui suscitent une forte abstention, la gauche a perdu une part très importante de son électorat, tandis que le FN subit des baisses moins importantes, voire arrive à mobiliser autant que durant les législatives.

 

Fait notable, c’est à Mantes-la-Jolie que la baisse de la gauche est la plus importante par rapport à l’élection présidentielle. C’est dans cette circonscription qu’elle était la plus forte (67 % au deuxième tour pour François Hollande).

Ces résultats font craindre une démobilisation de l’électorat de gauche aux prochaines élections, municipales et européennes. La participation différenciée (faible parmi l’électorat de gauche, plus forte parmi les électeurs potentiels du FN), plus qu’un détournement des électeurs de gauche vers d’autres forces politiques, explique très certainement les résultats de ces scrutins partiels et un tel recul de la majorité. A l’inverse, le FN peut donc s’appuyer sur deux leviers : la mobilisation de ses électeurs potentiels, même à des scrutins assez peu courus (à cet égard, l’hypothèse d’une poussée FN aux élections européennes, traditionnellement fortement abstentionnistes, n’apparaît pas du tout improbable) ; et le gain de nouveaux électeurs, mécanisme qui devrait pouvoir permettre au FN de faire quelques performances à des scrutins où la participation sera plus importante (municipales notamment). Les municipales pourraient aussi voir une remobilisation encore plus forte des électeurs frontistes, leur participation n’ayant pas joué à plein lors des élections partielles, comme le montre le graphique ci-dessus.

L’UMP face à un défi stratégique

Le contexte d’impopularité du gouvernement devrait pleinement profiter au principal parti d’opposition. Néanmoins, celui-ci, confronté à ses propres difficultés, semble également boudé par les électeurs. Dans le canton de Brignoles, pourtant favorable à la droite, le parti semble mal au point et fait au premier tour, à l’instar de la gauche, son plus mauvais score depuis la cantonale de 2011. Dans ce canton, l’UMP perd autant d’électeurs que la gauche par rapport à l’élection présidentielle. La droite reste cependant à peu près stable en voix exprimées par rapport à la précédente élection cantonale (27,0% – UMP + le candidat divers droite – en 2013 contre 25,4% en 2011). L’érosion électorale a en fait eu lieu entre la législative et la deuxième cantonale (le candidat UMP ayant fait 32% des voix à l’élection législative, puis ayant été élu au second tour).

  

Si dans le canton de Brignoles, l’UMP perd pratiquement autant d’électeurs que la gauche, les autres scrutins partiels ne confirment pas ce constat et démontrent au contraire que l’UMP est nettement moins affectée par la perte des suffrages que la gauche.

Plus encore, comme dans le cas de la cantonale de Mantes-la-Jolie, la droite, quand elle n’est pas concurrencée par le FN, l’emporte : le candidat UMP a ainsi gagné cette cantonale par 60% des voix au second tour (la droite modérée ayant fait 53% des voix au premier) alors que la gauche était nettement dominante aux législatives un an plus tôt (57% des voix au second tour). Dans l’Oise, l’UMP recueillait 41% des voix au premier tour de l’élection partielle. Elle n’en avait obtenu que 34% lors du premier tour de l’élection législative de 2012.

L’UMP profite donc également de la faiblesse de la gauche. Néanmoins, le fait que le FN en profite également – dans des proportions différenciées selon les territoires – peut la mettre en difficulté, notamment quand des triangulaires se dessinent. La problématique de l’efficacité du Front républicain se pose donc cruellement pour l’UMP, qui devra arbitrer entre le choix de ce front ou le rapprochement avec le FN. En termes uniquement électoraux, la réponse n’est pas simple, car elle varie selon les territoires. La cantonale de Brignoles démontre que localement, quand le FN prospère, le Front républicain n’est plus toujours suffisant pour permettre la victoire de la droite, même s’il fonctionne en partie. Dans d’autres cas, l’effondrement de la gauche et la faiblesse du FN permettent à la droite de s’imposer.

En tout état de cause, c’est bien la gauche qui devrait avoir le plus à perdre dans les prochaines élections. Les reculs enregistrés lors des élections partielles posent avec toujours plus de force la question des résultats obtenus par le gouvernement en place. L’impopularité de la majorité devrait se traduire logiquement dans les urnes, comme le montrent ces scrutins partiels.