Le temps de l'Altruisme

Publié le 19 octobre 2013 par Sapiens Pietro Cossu

Le Temps de l'Altruisme.....

Il y a comme ça des vagues. Des moments. Aux jours où des peuples redécouvrent le "faire ensemble", justement. A l'heure où les individus malmenés dans leur liberté et leur intégrité sortent de leur enveloppe individuelle pour entrer "soudainement" dans une dimension qui les dépasse, celle du groupe, du clan, de la "communauté de pensée", de l'identité culturelle régionale ou de la nation.

Ce moment ce n'est évidemment pas une génération spontanée. C'est une graine qui germe depuis ... un moment!?...

Ce moment c'est comme un éveil. C'est aussi une confrontation. C'est une confrontation quand les talents et les énergies des générations nouvelles s'expriment avec d'autant plus de spontanéité qu'elles sont libérées du miroir aux alouettes des promesses d'un futur toujours plus abondant. Et qu'elles se heurtent aux barreaux d'une cage devenue trop étroite, celle de l'individu avec un grand I, consommateur, électeur et nouveau roi en passe de déchéance. Ça fait un moment que certains le disent ou l'espèrent en le redoutant parfois... Et voilà que ça arrive... par épisodes.

Car c'est bien une confrontation avec les valeurs d'individualisme absolu, dont tout cela parle... Avec comme modèle sous-jacent, le modèle économique du type de celui d'Adam Smith (mort en 1790!). Celui qui a fait nos structures de pensée économique classique, et modelé les bases du libéralisme sans bornes, fondé sur l'individualisme et rien que l'individualisme (qui a aussi construit le romantisme avec lequel on a habillé les horreurs et les génocides de la conquête de l'Ouest...).

Adam Smith : « Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs propres intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage. » . Pour Adam Smith, c'est donc parce qu'on s'occupe de nos petits intérêts personnels que se dégagera un jour ce merveilleux horizon qu'est l'optimum du "bien commun". Fondation d'une école de pensée. Fondation du Libéralisme économique tel qu'il nourrit le quotidien plus de 200 ans plus tard.

Ben oui.

La théorie a séduit.

Elle a pris des rides.

Ça ne marche plus vraiment bien.... Si tant est qu'elle ait vraiment marché, si l'on songe à réintégrer dans le modèle, les éléments adjacents et oubliés... les dommages collatéraux en quelques sorte.... Si l'on choisit une posture "écologique" au sens large et premier du terme (prise en compte de "tout ce" et de "tous ceux" qui nous entourent).

Parce qu'en effet ça donne l'impression de marcher un temps.... si on masque les coûts monstrueux qui réduisent à la portion congrue le "bien commun": la destruction de l'environnement humain, naturel et social, la destruction du lien social, la destruction d'une bonne part de ce qui fait l'humanité contre la barbarie.

Favilla le talentueux chroniqueur du journal économique français "Les Echos" l'avait bien dépeint fin 2008 quand la crise financière entrait en phase dure; il disait alors à propos de la phrase d'Adam Smith:

« à la place de « nous », mettez : les actionnaires. A la place de « notre dîner », mettez : les cours de nos actions en Bourse. A la place du boucher et du marchand de bière, mettez : les dirigeants (…). Les actionnaires ont très bien compris que, pour attirer dans leur camp ces « faiseurs de dividendes », il fallait leur consentir quelques avantages (…), des modes de rémunération très incitatifs … »(Ici Favilla évoque les activités de marché)

Alors?

Alors quand les scientifiques sortent de leur univers de scientifique pour se refonder sur des valeurs liées à l'homme et deviennent des "passeurs" à l'instar de Georges Charpack, il nous arrive des petits trésors.

Dans cette ligne, après l'ouvrage de Juliette Tournand "La Stratégie de la Bienveillance" (2007) est sorti en 2011 le livre de Philippe Kourislky, biologiste, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des Sciences et ancien directeur général de l'Institut Pasteur, sur le thème de "l'altruisme". Kourislky était déjà "dans le sujet" avec son ouvrage "Le temps de l'altruisme" en 2009, il sort deux ans plus tard, le "Manifeste de l'Altruisme".

En 2013, le temps s'accélère et on retrouve sous le titre "Plaidoyer pour l'Altruisme" un ouvrage de Matthieu Ricard, pragmatique et ouvert sur le champs économique. Puis le livre de Jacques Attali "Pour une Economie Positive"..

Kourilsky nous invitait à redécouvrir en nous les racines de l'Altruisme, qu'il différencie de la "générosité". La Générosité c'est donner (y compris donner de soi). L'Altruisme c'est "considérer" et "respecter", il ne fonde pas les mêmes rapports humains. L'Altruisme est une valeur de Respect, de Liberté et d'Humanisme. La Générosité est dissociée de la Liberté et du Respect, même si elle peut l'accompagner. Car je peux être un rapace ou un requin et avoir ensuite la générosité de partager une partie de mon butin. Et choisir avec ma Fondation de soutenir qui je veux avec. Ça s'appelle encore de la "générosité".....

L'Altruisme induit la considération de l'Autre. Il inspire plusieurs idées: d'abord "ma liberté s'arrête là où la tienne commence" (Article IV de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen: "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.").

Ça date de 1789. Tiens? Adam Smith était encore vivant.....!

"L'Altruisme est une contrepartie de notre Liberté" (Kourilsky). Elle implique un "devoir", une "attention" une "vigilance" à l'Autre. Le devoir d'Altruisme est un garant de la Liberté. Cette vision est l'autre face de la pièce de Bakounine: "Ta liberté étend la mienne à l'Infini". C'est vrai..... sauf si elle me tue. Mais là aussi "ta liberté" n'existe que parce que "la mienne" existe.

Et quand on contrarie tout ça il se produit ce qui est en train de se produire... Mais ça, Hegel l'avait déjà dit dans sa dialectique du Maître et de l'Esclave....

L'Altruisme ce n'est pas le Collectivisme. Ce n'est pas l'Egalitarisme. Ce n'est pas le Libéralisme. Ce n'est pas non plus l'Anarchisme. L'Altruisme c'est... L'Altruisme. ;-)

Dans son "plaidoyer", Matthieu Ricard montre en quoi l'Altruisme n'est plus une question de choix philosophique, mais une nécessité économique.

Jacques Attali, reprend la vague avec son ouvrage "Pour une économie positive" où il souligne évoquant les enjeux du long terme que "l'Altruisme est un moteur plus puissant que l'Individualisme"......

Inutile de décrier. Nous sommes bien à un tournant. Je ne sais pas lequel car je suis moi aussi dans "le bain obscur". Mais on voit bien avec ces multiples signaux que les jeux du changement de paradigme sont faits et que les graines ont germé. Hegel (encore lui) disait "la Chouette de Minerve ne prend son envol qu'à la tombée de la nuit". C'est à dire après la bataille. Ce n'est que quand elle s'envole qu'on la voit. Et quand on la voit il est trop tard, elle est partie.

Le jour, aux lueurs duquel on peut agir, est tombé.

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A l'automne 2011, le directeur du Media Lab du MIT, JOICHI ITO, une des figures du nouveau paradigme managerial disait au sommet THINK GLOBAL d'IBM: "Nous pensions que ce qui gouverne le monde c'est l'intérêt personnel éclairé. C'est faux. En réalité c'est la coopération.

Je pense que dans ce sens de la coopération, entre une part du sens de la contribution.

Joichi Ito pose la question de ce qui peut bien motiver les ingénieurs salariés qui travaillent toute la semaine et qui le Weekend participent aux "Open space" et "Open source", en donnant de leur temps, de leur énérgie et sans attendre de salaire ou de bonus...