PERES, IMPAIRS ET MANQUES (Défaillance du père et dysfonctionnents sociétaux)

Publié le 19 octobre 2013 par Dominique Le Houézec

La fonction du pédiatre est celle de la protection de l'enfant avec un double volet de soins et de prévention. Dans les pays dits développés, le risque infectieux a baissé et la vaccination, certes indispensable, ne résume pas la pédiatrie préventive. Certains enfants courent des dangers moins évidents que celui par exemple de l'agressivité du pneumocoque invasif multi-résistant aux antibiotiques. Certains enfants sont plus «en danger» que d'autres. Ils sont en danger majeur d'exclusion, de stigmatisation. Ils sont en danger dans leur développement et leur structuration. Ils sont également en plus grand danger somatique (accidents, maladies répétitives ou psychosomatiques).





Ces enfants sont à repérer et à prendre en charge. Or ces cas ne relèvent pas du domaine exclusif de la PMI (Protection Maternelle et Infantile). Le pédiatre dit «libéral» que je suis a rencontré en peu de temps deux situations de danger pour un enfant. Une collègue pédiatre du grand Est m'a narré dans la même période une autre histoire désolante que je vais tenter également de vous restituer.
Trois points communs réunissent ces trois vignettes cliniques :-  il s'agit dans les trois cas de garçons,-  le médecin généraliste les adresse au pédiatre,- la défaillance de leur père s'aggrave d'un dysfonctionnement évident des institutions que la société a mis en place, notamment pour les protéger.

 1. William a 2 ans. 

Depuis que la famille recomposée s'est installée à Sovigny le Douillet, le médecin traitant est intrigué par les ecchymoses de William qui sont apparues avant l'âge de la marche et siègent sur le visage. Il fait pratiquer un bilan de coagulation (normal) et demande à le revoir. Il ne lui est montré que 8 mois plus tard lors de la visite du 24ème mois. C'est alors qu'il l'adresse à notre collègue pédiatre. Lorsqu'elle le voit, il y a des ecchymoses du visage qui sont attribuées par la famille à la maladresse et au caractère explorateur de William. Elle est surtout alertée par la maigreur de l'enfant qui a perdu 1,7 kg en 8 mois et a aussi commencé à incliner sa courbe staturale.
L'histoire de William et de sa famille est particulière : il est le premier enfant du père (M.). La mère de William est décédée d'une embolie pulmonaire un mois après la naissance de William et M. s’est remis en ménage un mois plus tard avec une autre femme qui avait déjà un enfant de 2 ans d'une première union. M. travaille beaucoup et loin de son domicile : il fabrique et installe des volets roulants. William a été gardé à la journée jusqu'à 14 mois par une nourrice le matin et ses grands- parents maternels l'après midi. Puis, quand la belle-mère de William s'est trouvée enceinte, c'est elle qui en a assumé la garde la journée. Elle vient d'accoucher d'un second garçon qui est à présent âgé de 2 mois.
Après un bilan sanguin qui exclut formellement une (bien peu probable) maladie cœliaque, la collègue pédiatre revoit rapidement William accompagné seulement de son père et le fait hospitaliser dans le service de pédiatrie après avoir pris contact (téléphone et fax) avec un médecin dit "senior" de ce service. Elle explique au père qu’elle fait le jour même un signalement au Procureur de la République de la situation anormale de William. Lorsque elle repasse quatre jours plus tard dans le service de Pédiatrie, elle a la surprise d'apprendre que William est sortant pour l'après midi. Elle proteste successivement auprès du jeune interne puis de la chef de clinique fraîchement nommée. Il lui est rétorqué que « tout le bilan est normal : le squelette complet, la scintigraphie osseuse et la pré-albumine, limite inférieure des normes selon l'âge ». William a été vu par le médecin légiste qui n'a rien constaté et par la psychologue qui aurait trouvé que la famille était parfaite : de fait William appelle sa belle-mère «maman» et va sur ses genoux sans crainte apparente. Dans ces conditions, « on ne va pas le garder éternellement » (sic). Enfin, il semblerait que la prise de poids de William à l'hôpital soit de 1kg en 4 jours mais la fiabilité de cet élément clinique basique (la balance de l'admission n'est pas la même que celle du secteur d'hospitalisation) n'a pas été vérifiée et donc la prise de poids n'a pas été considérée comme un élément déterminant de nature à inquiéter. Le médecin senior (qui l'avait hospitalisé) et le chef de service sont en formation à Grosbourg. Notre collègue pédiatre envoie donc un courrier électronique à ce dernier pour que l'hospitalisation de William soit maintenue, évoquant par ailleurs l'autorité du Procureur de la République.
Le dysfonctionnement de l'institution hospitalière s'explique par plusieurs faits.
-  Le manque de transmissions claires en interne, aggravé par la criante pénurie de personnel lors des épidémies hivernales. -  Le clivage ville/ hôpital : ce qui vient de la ville n'est habituellement pas reconnu, lu à l'image de la lettre dans laquelle la pesée de la pédiatre était pourtant bien consignée. Les suspicions de maltraitance y étaient clairement évoquées ainsi que le signalement qu'elle avait effectué. Malheureusement l'accueil fait au médecin traitant en visite à l'hôpital n'est pas toujours «hospitalier».  - La défaite de la clinique : les jeunes médecins, dénommés "juniors" sont soumis, fascinés et dépendants vi-à-vis des examens dits complémentaires (imagerie, biologie surtout, voire ici expertise légiste et entretien psychologique), au détriment du raisonnement clinique de bon sens. Il me semble qu'il y a là un manque pédagogique de la part de leurs «patrons» qui, en tant que «pères symboliques» sont clairement chargés, et à ce titre responsables, de cette transmission du savoir-faire médical. Dans les années 70-80, nous reprochions (à juste titre) à nos chefs de service, à nos "maîtres" disait-on alors, leur paternalisme, mais ils s'attachaient (le plus souvent) à nous transmettre des notions cliniques pratiques. 
L'exemple de William montre que ce dysfonctionnement hospitalier pourrait être vital pour l'enfant et très grave en terme de responsabilité médicolégale.
Qu'en est-il du père de William ? Père absent qui part tôt et rentre tard ? Travaille-t-il plus "pour gagner plus" ou parce que son patron l'y oblige ? Père «aveugle» ? Témoin passif et impuissant? Est-il sous la dépendance, sous l'emprise de sa nouvelle compagne qui est ici probablement l'adulte maltraitant et /ou négligeant ? C'est pourtant lui qui consulte la première fois le médecin traitant. C'est encore lui qui accepte d'hospitaliser immédiatement son fils quand la pédiatre lui en fait la demande pressante.

2. Arnaud a bientôt 8 ans. 

Je le vois quasiment en urgence à la demande de son médecin traitant et sur le conseil de la directrice de l'école de son village. Il doit être renvoyé de son CE2 (vous avez bien lu). Que s'est-il passé? Plusieurs parents d'élèves de l'école se sont plaints directement au Rectorat de la violence d'Arnaud qui fait peur à leurs enfants. La cellule rectorale a réagi en temps record. L’inspecteur de circonscription s'est déplacé à Saint Hubert sur Meules, paisible petite bourgade du bocage Bas-Normand. A son initiative, un signalement est envoyé au Procureur de la République et une équipe éducative est convoquée en urgence.  
La famille d'Arnaud doit faire elle-même appel à une assistante sociale de la circonscription. Celle-ci va dépêcher un éducateur qui viendra observer ou surveiller Arnaud en classe. Un "cahier de comportement et de soins" (avec plusieurs items) est officiellement ouvert, tenu par le maître et soumis à la signature quotidienne des parents d'Arnaud. C'est donc la toute nouvelle procédure qui conduit au fichage d'Arnaud. Je n'ai appris tout cela qu'à la fin de la deuxième consultation quand j'ai dû rédiger, à la demande des parents relayant celle de l'école, un certificat qui spécifiait que j'avais bien reçu Arnaud (obligation de soins).
Heureusement, je n'ai pas été parasité dès le début par tout cet appareil administratif ! Arnaud a le «physique de l'emploi» ou plutôt il se donne l'aspect du  gros dur (rond et rose comme un petit cochon, mais le cheveu rasé, le treillis militaire et le piercing à l'oreille). C'est un coupable idéal. Il me dit subir les réflexions de ses pairs concernant sa corpulence et il pleure en évoquant très vite la mort de son grand-père paternel survenue il y a 2 ans et demi. Le père s'effondre alors en larmes.
L'hypothèse, qui se confirmera par la suite, est celle d'un état dépressif en miroir (père-fils) en relation avec un deuil familial non fait. Arnaud était toujours avec père et grand père paternel à chasser, à bricoler. On les appelait les «trois inséparables». Les dessins d'Arnaud vont nous permettre de travailler cette problématique : il fait trois dessins successifs d'hélicoptères dont le dernier est triplace et a fonction d'ambulance. La fois suivante il représente des voitures qu'il appelle de façon troublante des «caisses». Puis il abordera les entorses à la loi, à travers son grand-père encore une fois. Celui-ci en effet avait failli perdre son permis de chasse, ayant tué un canard domestique posé sur une rivière.
Un père déprimé, ce n'est peut-être pas idéal pour se construire. Arnaud boxe les copains qui se moquent de lui car il n'a plus son grand père.
Le dysfonctionnement de l'Éducation Nationale peut paraître patent. Il n'y a pas eu de blessés parmi les enfants de l'école. Il aurait peut-être fallu d'abord se donner du temps, faire confiance et établir avec Arnaud et ses deux parents un contrat à l'intérieur de l'école et ainsi ne pas donner de grain à moudre aux ordinateurs du rectorat et du tribunal. Qu'en auraient pensé Françoise DOLTO et Michel FOUCAUD?Malgré tout, l'alliance thérapeutique initiée à partir de l'école locale par la directrice  permet dans un second temps la prise en charge par le pédiatre de l’état dépressif d'Arnaud. Un réseau efficace n'est pas une création «ex nihilo» pilotée par une administration toute puissante, fonctionnant de façon verticale pour collecter des symptômes étiquetés troubles des conduites et exclure les fauteurs de troubles. Un vrai réseau ne peut être qu’un bricolage plus ou moins provisoire, ingénieux et créatif à partir d'un vieux carnet. Un vieux carnet dans lequel il y a ce correspondant-ci, à qui «en confiance», le praticien du terrain peut confier cet enfant-là.

3. Kevin a 11 ans et demi. 

Il a de mauvais résultats en classe de 6ème. Il est par ailleurs violent avec son frère âgé de 7 ans. C'est un 3ème enfant d'une fratrie de 6. Il a deux grandes sœurs de 14 et 13 ans et trois petits frères de 7, 4 et 2 ans.
Son médecin traitant ne sait plus comment l’aider. Il le voit régulièrement tous les 15 jours à la demande de l'enfant. Kevin a perdu son père il y a 18 mois... décédé en prison, à la maison d'arrêt trois jours avant sa libération... Petit dealer, il y purgeait en préventive une courte peine... Ils étaient six détenus dans la cellule... Malgré les demandes répétées de la famille, relayées par l'avocate, le résultat de l'autopsie n'a toujours pas été donné aux proches.  « Il y a encore des scellés » me dit la mère et moi je vois alors une Justice qui a la bouche fermée comme bâillonnée. Bien sûr quand il n'y a pas de paroles, d'explications, comment faire son deuil ? Comment en parler, quand mère et grandes sœurs s'y refusent ? Comment communiquer quand les sens sont parasités par les six télés dans l'appartement et par je ne sais combien de portables ou de consoles de jeux vidéo ? (Est-ce que ça console vraiment ?). 
Kevin est intimidé avec moi, il détourne souvent le regard et a des tics nerveux des pieds. Il refuse de dessiner mais pas de me répondre. C'est toujours un peu sur le même mode que nous progressons peu à peu : je lui fais des propositions et il acquiesce le plus souvent en disant « bah, oui ».
Et pourtant, c'est par le biais d'un espace virtuel, seul dans sa chambre devant son écran informatique qu'il exprime sa colère, son chagrin, son mal-être de pré-adolescent : Kevin a imité ses grandes sœurs qui ont ouvert un blog. Il y a mis la photo de son père et probablement un petit commentaire. Il y lit les réflexions de ses copains, y guette les passages de sa mère et de ses sœurs qui elles, n'inscrivent rien... L'ingéniosité de ce garçon est de rendre public quelque chose relevant du journal intime. C'est là qu'il va puiser auprès de ses pairs "empathie, compréhension, solidarité et régression ... une blog thérapie ?» (12). 
Je dis à Kevin qu'il est comme un  «cheval de Troie» pour aider sa famille. Je lui raconte l'Iliade qui est quand même un merveilleux jeu vidéo avec des héros et des rebondissements. Il s'agit en effet de venir en aide à toute une famille murée dans une citadelle de silence. Je demande à Kevin comment il a fabriqué son blog (une de ses soeurs l'a aidé à le faire), ce qu'il sait et ce qu'il pense des causes de l'incarcération de son père. Qu'imagine-t-il des causes de sa mort ? Je ne peux pas m'empêcher de me demander quel sera plus tard son rapport à la loi, à cette justice qui n'est pas été capable de garantir la protection de son père en prison ? Recherchera-t-il l'anarchie ou à l'inverse plutôt l'extrême autoritarisme d'un « meneur à qui l'on confie sa destinée en lui confiant les clefs du pouvoir : l'autorité retrouvée d'un père » comme l'écrit GRIMBERG (6)
La défaillance du père est ici moindre et antérieure à celle de l'institution, mais elles se complètent et se renforcent mutuellement de façon terrifiante.

Que peut le Pédo-Psychiatre ?  

Depuis 15 à 20 ans, nous voyons dans nos consultations la recrudescence de certaines problématiques et l'émergence de pathologies nouvelles :

- Des troubles du sommeil où l'enfant dans le lit des parents et le père sur le divan de la chambre d'amis,  l'enfant étant devenu à son insu le contraceptif du couple. - L'enfant roi et l'enfant tyran : avec sa forme clinique redoutable de l'enfant sans limites qui met à sac votre cabinet et auquel la mère demande mollement, sans conviction « Erwan, est ce que tu veux bien ranger les jouets du Docteur ?»- Pathologies narcissiques, états limites, pré-psychoses symbiotiques (non autistiques), retards graves de la parole et du langage (enfants dont les mères comprennent les moindres volontés et auxquels elles obéissent au doigt et à l'œil).

Beaucoup d'auteurs évoquent la difficile position des pères d'aujourd'hui BADINTER (1), CHILAND (2), DELAISI DE PERCEVAL (3), HERITIER (7), MARCELLI (8), NAOURI (9), WIDLOCHER (13). Comme l'écrit France FRASCAROLO, il y a un paradoxe dans « la situation actuelle de la paternité qui est d'une part très à la mode et très valorisée, et d'autre part menacée de totale déliquescence» (5).

Les «nouveaux pères», avec leurs fétiches que sont carnet de paternité, congé de paternité  (même si ce dernier est une bonne chose) risquent d'être (ou sont déjà) récupérés par la société du spectacle et de la publicité. Les pères sont encore loin de participer comme les mères aux soins quotidiens du jeune enfant et aux tâches ménagères. Beaucoup de pères se sentent ou sont réduits au rôle de producteur (économique) et de reproducteur (donneur de gamètes). C'est l'enfant qui crée dorénavant le lien filial (de fils à père) de façon ascendante et non plus le contraire de façon descendante (de père à fils). (8)
L'évolution des Lois a précédé ce mouvement : le droit de correction paternel est aboli en 1935, la puissance maritale en 1938. La puissance paternelle est remplacée en 1970 par l’autorité parentale. En 1972, la Loi sur la filiation assimile l'enfant naturel à l'enfant légitime et attribue l'autorité parentale à la mère exclusivement en cas de non mariage.
Loin de moi l’idée de remettre en cause cette évolution sociologique nécessaire voire salutaire mais qui casse un modèle sans le remplacer. Dans un  intéressant travail non publié, Jean Pierre LELLOUCHE passe en revue les notions voisines de l'autorité : la domination, la puissance, le pouvoir, le sacré, le leadership, la violence. Le terme d'autorité a sa préférence en raison de  son étymologie ( Autorité vient du bas-latin auctoritas qui signifie fondateur, auteur, qui amène la croissance, objet de considération morale ) avec les « interdits-tuteurs» qui permettent de grandir. Il n'y a ni violence, ni manipulation, ni séduction : quelqu'un fait autorité, on le suit.
L'enfant est une personne, cette notion a émergé dans les années 80 avec la connaissance scientifique des compétences du bébé qui pouvaient se théoriser également grâce aux découvertes antérieures de la psychanalyse de l'enfant. Cette rencontre féconde a quand même connu des dérives car ces notions de psychologie du développement ont été rapidement sacralisées, simplifiées et donc caricaturées  en les vulgarisant, en les répétant en boucle pour s'en convaincre : « his majesty the baby » est devenu l'enfant roi... Et qu'on ne vienne pas en attribuer la faute à Françoise DOLTO ! 
Les connaissances psychanalytiques ont été détournées par une auto-justification des aspirations des adultes à se réaliser de façon individuelle à travers leur progéniture (8). Dans l'image inconsciente du corps, Françoise  DOLTO (4) décrit pourtant bien les différentes «castrations symboligènes» qui aident l'enfant à grandir et à se dégager de la fusion maternelle primaire. Il s'agit là du sens de castration en psychanalyse et non en chirurgie urologique ! C'est l'action d'un adulte qui par la parole, «signifie (à un enfant) que l'accomplissement de son désir sous la forme qu'il voudrait lui donner est interdit par la loi». Françoise DOLTO illustre cette notion par la belle métaphore du jardinier qui coupe la fleur d'une jeune plante pour lui permettre une meilleure fructification ultérieure. Qui est le meilleur tiers séparateur sinon le père ?


Philippe GRIMBERG reprenant l'évolution de la pensée de FREUD, souligne la place essentielle du père dans les représentations inconscientes de tout un chacun.  "Père de la horde primitive" dans Totem et Tabou, "Père modèle" dans la Psychologie des masses, "Père éternel" dans l'Avenir d'une illusion,  "Père castrateur" dans Malaise dans la culture, "Père trait d'union avec Dieu" dans le Président Wilson. (6). On voit les désastres réalisés à l'échelle mondiale par Adolf Hitler et Joseph Staline qui se faisait appeler le "petit père du peuple". « Le père n'est pas seulement un géniteur, ni même un bon père de famille, encore moins un père tranquille, mais une fonction, une fonction psychique essentielle, symbolique, terrible parfois, dont le paradigme s'incarnera dans le fameux Nom du Père, évoqué cette fois par LACAN» (6). 
On pourrait aussi bien dire le "non du père". Qu'en est-il quand le père réel n'a pas pu dire non ? « La présence réelle du père dans une famille ne garantit pas l'existence du rôle paternel; il y a des pères qui sont présents toute la journée, tout en restant absents pour ce qui concerne l'attention psychique. La véritable nourriture du self est l'attention affective, l'attention psychique » (11) ( Le self en psychiatrie est une notion chère à WINNICOT et intraduisible en français, signifiant peut-être le « sentiment de soi»  toujours en train de se fabriquer, chez l'enfant comme chez l’adulte. Il est ancré dans la relation précoce entre le petit enfant et sa mère).  
Quand, de façon manifeste le père de William est absent, «aveugle», lorsque celui d'Arnaud est déprimé et que celui de Kevin, délinquant, est décédé sans causes reconnues, cette fonction du père est à l'évidence manquante ou défaillante. La société peut alors y pallier ou non, combler ou non ce vide, ce manque ou bien le creuser encore plus, par inexpérience, abus de pouvoir ou cynisme. Ici la fonction du Pédiatre, comme je l'écrivais au début, n'est-elle pas de protéger cet enfant en mettant ce petit en sécurité à l'hôpital, en essayant de comprendre le sens des symptômes de cet écolier pour qu'il ne soit pas stigmatisé, en accompagnant ce pré-adolescent dans sa difficile recherche de la justice et de la vérité ?

Que peut le Pédiatre ?

Il ne s'agit pas de remplacer ce père, de le singer, de l'invoquer par trois fois « Le père! Le père! Le père!» en s'agitant comme un cabri ( métaphore Gaullienne : lors d'un conférence de presse célèbre, le général se moqua ainsi de la difficile construction Européenne en répétant «l'Europe, l'Europe, l'Europe!»)
Pourtant, dans le quotidien de notre pratique, nous essayons de le faire venir à la consultation, quelquefois en lui écrivant comme le conseille la pédiatre Simone GERBER. Nous tentons parfois de le faire vivre dans la parole de la mère et de l'enfant. Dans tous les styles de familles qu’elles soient traditionnelles, mono parentales, recomposées ou homoparentales, il faudrait l'imaginer et la reconstruire, cette fonction paternelle... Restaurer cette fonction, en faire la promotion c'est découvrir avec la famille et l'enfant « ce qui tend à nier ou à conflictualiser répétitivement l'existence du tiers (...) voire détruit la situation triangulaire de base» (10). Pourquoi les garçons en font-ils plus les frais que les filles ? Fragilité biologique, surexposition sans protection à une mère fusionnelle et/ou simplement affectivement carencée ?
Bien sûr notre intervention est quelquefois illusoire : nous y allons avec nos «gros sabots pédiatriques» et donc avec plus ou moins d'adresse et de bonheur. J'exprime toujours mon désaccord quand je vois dans mon cabinet, une mère embrasser son nourrisson ou son enfant sur la bouche (ce n'est pas si rare !) Combien de fois, entendons-nous des fins de non-recevoir maternels à nos propositions de rencontrer le père de l'enfant : « Ne vous donnez pas de mal, vous savez, il ne viendra pas il travaille très tard et d'ailleurs il ne s'intéresse pas à son enfant ». Ce que j'appelle la "réintroduction des protéines du père "[9] n'obéit pas à un protocole standard ! ( en cas d'allergie aux protéines du lait de vache, leur réintroduction est effectuée avec précaution vers l'âge d'un an  souvent en milieu hospitalier). Ici je veux évoquer à côté du biologique, le caractère vital, constitutif et obligatoirement bipolaire (paternel/maternel) de la psyché de l'enfant.  Il est aussi des cas extrêmes qui doivent susciter notre réactivité éthique, des cas où « passées les bornes, il n'y a plus de limites» come l'écrivait Alphonse ALLAIS.

Alain QUESNEY

Petite Bibliographie:  

  1- BADINTER  E. « XY de l'identité masculine ». Odile Jacob, 1992                                                         2- CHILAND  C. « L'enfant, la famille et l'école ». PUF le psychologue 1989                                           3- DELAISI DE PARSEVAL  G. «La part du père».  Seuil 1998 (2ème édition)                                       4- DOLTO  F. « L'image inconsciente du corps » Seuil 1984                                                                  5- FRASCAROLO  F. « Qu'advient-il des pères? » Revue DEVENIR 1995, vol n°4                                   6- GRIMBERG  P.  « Freud Politique? ». Cahiers de psychanalyse politique 2008, n°6                            7- HERITIER  F. « Anthropologie de la Famille ».  Qu'est ce que la Société. Odile Jacob 2000             8- MARCELLI  D.  « L'enfant, chef de famille, l'autorité de l'infantile ». Albin Michel 2003                 9- NAOURI  A. « Les pères et les mères ». Odile Jacob 2004                                                             10-ODY  M. «Carence paternelle, importance du père et de la fonction paternelle dans le développement mental » dans le Traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. LEBOVICI, DIATKINE, SOULE (PUF 1985)                                                                                                               11- ROSENFELD  D. « Le rôle du père dans la psychose » dans " L'enfant, ses parents et le psychanalyste", sous la direction de Claudine GEISSMAN et Didier HOUZEL Bayard 2003                     12- STORA M. « Ca ne regarde que les autres !  Le blog à l'épreuve de l'adolescence ". Enfance et psy 2008, n°40.  Ères                                                                                                                              13- WIDLOCHER D.  «L’interprétation des dessins d'enfants».  Bruxelles Charles Dessart  1965 réédition Mardaga 2008