Le président de la République paie le prix de ses ambiguïtés

Publié le 22 octobre 2013 par Lbouvet

François Hollande paie aujourd’hui, au prix fort, la note politique qu’il n’a jamais voulu solder jusqu’ici.

Il paie d’abord son refus de gouverner en usant de tous les moyens que lui confère non seulement la Constitution mais encore la légitimité du statut de président de la République élu au suffrage universel direct. En ne sanctionnant ni même ne condamnant l’expression dissidente de certains de ses ministres (à l’exception de Delphine Batho) ou encore les surenchères et les « appels » récurrents de parlementaires et de responsables des partis de la majorité, il a laissé s’éroder son autorité politique. Il s’est comporté, comme cela lui est régulièrement reproché, en chef de la majorité voire de parti plutôt qu’en chef de l’Etat. L’idée qu’il a avancée d’une présidence « normale » jusque dans la manière de laisser s’exprimer les « différences » ne tient pas ou plus devant les choix difficiles auxquels est confronté chaque jour son pouvoir, qu’il s’agisse du domaine économique ou régalien, comme dans « l’affaire Leonarda ».

Il paie aussi, cher là encore, le fait de ne pas avoir dégagé assez tôt sa candidature à la présidence de la République des contraintes partisanes. Ainsi, ceint de la légitimité incontestable que lui donnait sa désignation par la « primaire citoyenne », aurait-il dû refuser l’accord conclu par Martine Aubry, alors première secrétaire du PS, avec Cécile Duflot pour EELV. Car celui-ci a donné aux Verts un poids politique non conforme à leur poids électoral dans la majorité. Ce poids exorbitant au regard des résultats de ce parti à la présidentielle et aux législatives pèse depuis l’été 2012 non seulement sur la structure gouvernementale et l’expression de la majorité, mais plus profondément encore sur les choix du gouvernement et du PS qu’il s’agisse d’environnement bien sûr mais aussi de questions de société.

François Hollande paie également ses dix années de « synthèse » et de gestion « fine » des courants du parti socialiste et des relations avec les partenaires de la gauche lorsqu’il était premier secrétaire du PS. Ayant systématiquement refusé non seulement de trancher mais de faire trancher par le parti et le débat militant un certain nombre de questions qui le divisent profondément depuis longtemps, à l’exception de la question européenne à l’occasion du traité constitutionnel en 2004, il est aujourd’hui comme président de la République directement confronté aux lignes de force qui partagent le PS, et au-delà la gauche toute entière. On le voit sur la politique économique ou sur la fiscalité comme sur les questions liées à l’immigration. Seule une mesure comme le « mariage pour tous » a largement rassemblé le parti socialiste et la gauche, même si son utilisation politique jusqu’à la corde a sans doute sonné le glas de la possibilité de retrouver une telle unanimité avant la fin du quinquennat.

Enfin, plus largement encore, François Hollande paie son « économisme », ce défaut souvent présent chez les socialistes comme chez les libéraux, qui consiste à penser que seuls les résultats économiques – ici la fameuse « inversion de la courbe du chômage » par exemple – permettent de gagner les élections, faisant fi de l’ensemble des autres déterminants, dépendant notamment de considérations dites « de valeurs », « sociétales » ou « culturelles ». Cette propension à survaloriser l’économie, sa soi-disant rationalité et ses résultats possibles, outre qu’elle est confrontée à des contraintes extrêmement fortes aujourd’hui dont la maîtrise échappe très largement au président de la République, a encouragé celui-ci à négliger ou minorer les questions qui induisent ce que l’on pourrait appeler une posture « d’incarnation » (du pays, de la nation, de l’autorité politique de dernier ressort…), verticale donc, le conduisant à se placer au dessus des clivages et à expliquer ce qui est important et commun à tous davantage que de « représentation », horizontale, des intérêts ou des valeurs particulières de tel ou tel camp politique ou groupe social.

La perte d’autorité que connaît aujourd’hui le président de la République, et l’affaiblissement de la parole politique qu’elle induit, peut néanmoins fonctionner comme un révélateur des faiblesses désormais visibles de tous – le « roi est nu ! » – et de là comme un électrochoc pour la suite du quinquennat. Le seul atout qui reste dans la main de François Hollande est le temps de son mandat. Il ne peut néanmoins le penser et le mettre en scène comme un simple décompte jusqu’à la prochaine présidentielle de 2017 où tout se jouerait au cours d’une « mère de toutes la batailles » et suivant une stratégie qui consisterait à espérer se retrouver au second tour contre Marine Le Pen et la battre au nom d’un ultime « front républicain ». Dans un tel cas, le temps restant sera moins un atout qu’un adversaire de plus.

Pour éviter ce piège, fatal, le président doit solder les comptes qui résultent de la remarquable habileté tactique qu’il a su développer ces dernières années comme chef de parti puis de camp pour se muer, rapidement, en stratège et montrer que son élection était bel et bien un commencement et non une fin.

Bref, le sursaut, c’est maintenant, Monsieur le Président !


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