Et maintenant, quoi ? Un peu plus de résilience

Publié le 22 octobre 2013 par Copeau @Contrepoints
Billet d'humeur

Et maintenant, quoi ? Un peu plus de résilience

Publié Par Baptiste Créteur, le 22 octobre 2013 dans Sujets de société

Selon un « rapport secret des préfets », les Français sont en colère et brandissent une menace de désobéissance fiscale.

Par Baptiste Créteur.

Les Français sont en colère.

Le pouvoir de négociation face à l’État est à peu près nul. Il peut écraser l’individu, briser les volontés, ruiner les ménages. Il peut organiser des pénuries, restreindre l’accessibilité des services, entraver la création, brider la créativité. L’État attend de tous qu’ils deviennent roseau plutôt que chêne, que par peur de rompre ils préfèrent être chien que loup.

Mais il arrive un moment où l’acceptation devient résignation, puis frustration, qui devient grogne ; et quand la grogne devient colère, le vent commence à souffler. Il souffle ; le gouvernement l’a entendu. Selon un « rapport secret des préfets« , qui comme tout rapport secret est publié et commenté, les Français sont en colère. Les roseaux sont prêts à se dresser face au vent.

Le deuxième point abordé par les préfets a davantage fait les gros titres des médias. »Inquiets du discours antifiscal qui pourrait favoriser les extrêmes, écrivent-ils, les élus considèrent que les limites du consentement à l’impôt sont atteintes. »

Là encore tout converge : « Dans les esprits où domine la hantise du chômage et de la baisse du pouvoir d’achat, la hausse de la fiscalité devient un élément anxiogène de plus. » L’expression utilisée est celle de « choc psychologique » pour « des foyers jusque-là non imposables ». À preuve, « l’afflux record dans certains centres de finances publiques de contribuables à la recherche d’informations ».

Dans ce contexte, « les élus confient avoir constaté la radicalisation des propos de leurs administrés qui fustigent ‘un matraquage fiscal’ et ‘une hausse insupportable d’impôts qui financent un système trop généreux’. » Et les préfets de conclure : « La menace de désobéissance fiscale est clairement brandie. »

Les Français deviennent donc, malgré eux et des années de propagande (n’ayons pas peur des mots, mais méfions-nous de nos médias) libéraux. Enfin, pas vraiment ; ils font simplement preuve de bon sens et constatent les effets délétères du dirigisme, de la centralisation du pouvoir, du collectivisme, du constructivisme…

Et pour apaiser les Français, le gouvernement joue sur l’espoir, en appelant à l’optimisme et la patience, et utilise les habituelles ficelles de la peur et de la compassion. Et dans les deux cas, il se plante.

Il se plante, parce que les Français n’ont plus peur du Front National. C’est un parti normal, plus un parti extrême. Ils n’ont pas tout à fait tort ; c’est un parti collectiviste et dirigiste comme les autres. Ou peut-être un peu plus que les autres, mais qu’importe.

Et il se plante encore en pensant qu’un peu de compassion, quelques discours mal ficelés sur les valeurs de notre pays qui n’ont plus cours depuis longtemps et une allocution pathétique calmeront les Français. Malgré la mobilisation fort bien orchestrée de quelques centaines de lycéens, qui donne plus d’effet aux élans de générosité des élus – toujours avec l’argent des autres – ça ne prend pas, et pour cause : comme l’analyse fort bien h16, tout ce que démontre l’affaire Léonarda, c’est qu’un poulet sans tête est capable de glisser sur ses propres fientes.

La grogne continuera de monter, et le gouvernement continuera de jouer la sourde oreille. De censurer, même. Lorsqu’elle donne une plate-forme d’expression aux citoyens et que ceux-ci s’expriment, l’administration n’hésite pas à supprimer les propositions qui reçoivent trop de soutien populaire et ne vont pas dans le sens qui convient. Sans doute les soutiens à ces propositions s’étaient-ils déjà mobilisés pour soutenir le bijoutier de Nice.

Pour les élus, les limites du consentement à l’impôt sont atteintes, comme si l’impôt avait un jour été conçu pour être consenti. Ce n’est pas parce qu’on envoie le chèque « volontairement » qu’on consent ; combien de Français envoient, sciemment, plus que ce qu’on leur demande ? Et évidemment, leur peur dans ce moment-là, c’est la montée des extrêmes, le risque de perdre leur circonscription, leur mairie, leur arrondissement, leur pâté de maison. Ce dont ils ne se rendent pas compte, c’est que la seule raison pour laquelle le FN gagne le soutien d’une partie de la population, c’est parce qu’il se déclare contre le système. Peu représenté aujourd’hui, il n’a pas encore déçu dans l’exercice du pouvoir.

Si le redécoupage cantonal « ne suscite guère de réactions dans l’opinion, il fait parfois l’objet de débats enflammés dans les exécutifs locaux« . Plus que « des accusations partisanes », les préfets notent ainsi « les inquiétudes sur les conséquences d’un tel redécoupage sur le maillage territorial des services publics et l’éligibilité à certaines subventions ou projets d’équipements ».

C’était une évidence, mais il est bon de le noter : alors que les Français grognent et expriment bruyamment leur colère, les débats enflammés portent sur l’éligibilité de la circonscription du député Michu à la subvention B37 et aux projets d’équipement dont il pourra détourner quelques écus tout en faisant la joie d’administrés locaux enchantés de disposer d’un troisième stade pour mille habitants.

Le premier point mis en exergue par les préfets porte sur le monde rural. Celui-ci « s’organise pour revendiquer une spécificité de traitement dans les réformes en cours ». À quelques mois des municipales, il n’y a rien là de secondaire. [...] Le discours qui monte est tout entier dirigé « contre l’hégémonie des métropoles » que le gouvernement serait en train d’organiser à travers la loi Lebranchu. Chez les petits élus, tout fait désormais sens : les restructurations liées au vote de la loi de programmation militaire aussi bien que la réforme Peillon des rythmes scolaires. Le sentiment qui domine est « un sentiment d’abandon ».

Il ne serait pas surprenant que la grogne vienne du monde rural. Le bon sens paysan a été largement entamé par la Politique Agricole Commune, mais il en reste quelque chose. En ville, des policiers nombreux se mobilisent rapidement pour interrompre des inconnus ; à la campagne, des gendarmes peu nombreux mettent des plombes à atteindre des voisins qu’ils connaissent bien. Et qui n’ont pas tout entier été envahis par un sentiment de dépendance à l’État, qui sont encore capables de se déplacer par eux-mêmes et d’organiser la solidarité sans besoin d’associations subventionnées.

Mais viendra-t-elle ?

Comme l’écrivait h16 de sa plume la plus blasée qui n’a depuis cessé de s’affûter, il ne reste pas grand chose à sauver, mais ça tient encore. C’était en avril 2012, après 7 ans de chroniques. Soit plus de 8 ans maintenant, qui ont vu passer ailleurs les subprimes et le shutdown, Wikileaks et Edward Snowden ; et ici, le dirigiste Sarkozy et le dirigiste Hollande. Et ça tient encore.

Quiconque s’intéresse à l’économie comprend que ses principes ne sont en rien différents des principes de l’action humaine, et ne peut que parvenir au constat que le système que nous connaissons ne peut pas perdurer éternellement. Pour autant, impossible de dire quand il va s’effondrer, ni comment. L’U.R.S.S allait aussi s’effondrer, mais ça a pris 80 ans. À chaque fois que l’édifice s’enfonçait, on pensait que c’était la bonne, mais non. La social-démocratie n’en est peut-être qu’au début de son déclin.

Son caractère liberticide, le gâchis que génère toujours et partout le pouvoir contre la liberté deviennent de plus en plus visibles ; pour autant, qui sait combien de milliards on peut encore emprunter et imprimer, combien de taxes on pourra créer, quelles dépenses pourront être rognées pour permettre à l’insubmersible État-providence propulsé par une démocratie sans garde-fous de continuer sa course sur l’océan de nos vies ?

Je ne dis pas qu’il faut renoncer et attendre que le tout s’effondre sous son propre poids. Je ne dis pas non plus que ça sera amusant lorsque ça arrivera. Ce que je dis, c’est que si on grogne, il faut le faire bien.

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