[Critique] GRAVITY

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Gravity

Note:
Origine : États-Unis/Angleterre
Réalisateur : Alfonso Cuarón
Distribution : Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris…
Genre : Aventure/Survival/Drame
Date de sortie : 23 octobre 2013

Le Pitch :
Alors qu’ils travaillent en orbite au-dessus de la Terre, l’astronaute chevronné Matt Kowalsky et le docteur Ryan Stone, une brillante experte en ingénierie médicale qui effectue là sa première sortie dans l’espace, voient leur navette pulvérisée, à la suite d’un terrible accident. Désormais livrés à eux-mêmes dans l’immensité glaciale de l’univers, les deux astronautes doivent de plus composer avec une réserve d’oxygène très limitée. En essayant de ne pas céder à la panique, ils commencent alors à dériver…

La Critique :
Par où commencer… Tout d’abord, il faut bien se rendre compte d’une chose : Alfonso Cuarón est un génie. Le mot est peut-être galvaudé mais le concernant, il prend toute sa dimension. Sans parler forcement de Gravity, le réalisateur mexicain s’était déjà distingué sur des films confidentiels aux budgets beaucoup plus modestes, comme Y tu Mamá Tambien. Quand il entre à Hollywood, c’est par la grande porte. Harry Potter réclame Cuarón qui, avec Le Prisonnier d’Azkaban, réalise le meilleur volet de la saga. Le plus sombre, le plus beau, le plus complexe, le plus passionnant. Totalement affranchi des codes inhérents à une saga monumentale comme Harry Potter, Cuarón livre avec Les Fils de l’Homme, l’un des plus grands chef-d’œuvres d’anticipation du cinéma. Rien de moins. Des plans-séquences ahurissants, de l’émotion à fleur de peau, de l’action immersive et un sens du récit viscéral, le style de Cuarón trouve avec ce film incroyable, une illustration aux formes définitives. Qu’allait-il pouvoir nous pondre alors se demande-t-on ? Comment parvenir à mettre tout le monde d’accord (ou presque, il y a toujours des rabat-joie) une seconde fois ?
Après un long silence radio, Alfonso Cuarón annonce qu’il planche sur un film qui se déroulera dans l’espace. Gravity est dans les tuyaux, la toile s’affole, les fantasmes les plus délirants fusent dans tous les sens et l’attente se fait longue. Une attente qui devient franchement insupportable quand déboulent les premières images de Gravity. De nombreuses mâchoires viennent heurter le plancher des vaches et seules quelques voix s’élèvent pour critiquer la présence de la Miss Détective Sandra Bullock au générique.
Le temps passe et le film est enfin montré à quelques privilégiés, dont James Cameron, qui ne tarit pas d’éloges. D’autres grands noms du septième-art s’empressent de communiquer leur enthousiasme dessinant les contours d’une promo basée sur les commentaires dithyrambiques des chanceux ayant pu voir le film en avant-première. Sur l’affiche finale constellée de tweets et de critiques presse, qui est placardée un peu partout, on retrouve alors des expressions comme « à couper le souffle » et « hors du commun », tandis qu’un spectateur insiste sur la qualité de la 3D. Tout est vrai. Gravity est clairement et sans aucun doute, une étape importante dans l’histoire du cinéma et selon la formule consacrée, il y a aura bien un avant et un après.

Mieux vaut ne pas trop en savoir avant d’embarquer pour le voyage unique que propose Gravity. N’ayez donc aucune crainte ; cette critique ne contient aucune révélation. Vous pouvez poursuivre tranquillement. La bande-annonce elle-même, ne montre d’ailleurs que très peu d’éléments et l’avoir vu 90 fois depuis sa parution, ne nuit en rien à la découverte de l’œuvre finale. C’est une bonne chose car il est rare aujourd’hui de pouvoir s’installer devant un long-métrage, sans savoir ce qu’il nous réserve. Parfois on est déçu, mais Gravity élimine cette option en se libérant de tous les carcans en vigueur pour ne privilégier qu’une seule chose, à savoir l’émotion pure. Si les deux personnages principaux n’évitent pas un rattachement à certains modèles dont l’efficacité a déjà fait ses preuves (la débutante et le vétéran cabotin), leur aventure n’obéit qu’à un instinct primaire, propre à la situation de survie dans laquelle ils se retrouvent piégés. Les clichés n’ont alors plus rien à quoi se rattacher, si ce n’est à des sentiments naturels qui assaillent les protagonistes tout au long de leur périlleuse aventure. Gravity est tout sauf cérébral. Rien n’est forcé. Confronté à un problème qui peut causer leur perte, les personnages agissent avec une immédiaté brutale qui préserve le film d’aller se perdre dans des imbroglios nuisant à l’efficacité de l’ensemble. En cela, Gravity brille par son scénario. Écrit par Alfonso Cuarón et son fils Jonás, le script, à la fois très simple et pourtant ô combien profond, joue sur des ressentis universels sans jamais tomber dans une psychologie de bazar embarrassante. Contrairement au 2001, L’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, auquel il est souvent comparé (surtout pour son caractère révolutionnaire d’ailleurs), Gravity reste linéaire et ne table pas sur des épisodes métaphysiques. Certes, on entrevoit clairement la réflexion, mais jamais le film ne s’y abandonne totalement, gardant constamment l’œil rivé sur l’objectif ultime des deux personnages, à savoir leur survie. Un tour de force qui s’avère plus d’une fois extrêmement émouvant.

Visuellement aussi, on peut parler de tour de force. L’expression trouve carrément tout son sens ici, devant un spectacle qui exigea l’invention d’une nouvelle technologie. Le spectacle est tout bonnement hallucinant. Immersif au point de provoquer des sueurs froides, le film prend le spectateur par la main et arrive à lui communiquer les douleurs et les sensations des astronautes, en le propulsant dans une immensité que Cuarón capte avec une ampleur absolument saisissante. Une fois que le générique déroule sa liste de noms, c’est le souffle coupé et la tête à l’envers que l’on ressort de la salle. De mémoire de cinéphile, jamais un tel spectacle n’avait été projeté sur un écran de cinéma. Gravity propose de l’inédit au point où l’on pourrait croire qu’il a vraiment été tourné dans l’espace. Les repères s’envolent, le temps file et les chocs sont violents. De retour avec des plans-séquences d’une virtuosité incroyable, Cuarón fait virevolter sa caméra, et abolit toute notion de limite. Les effets-spéciaux, terrifiants de réalisme, s’effacent au bénéfice d’une authenticité hallucinante. La 3D, quant à elle, est magnifique. Certainement la plus belle depuis l’invention du procédé. Et de loin !
Jamais Cuarón n’est dans la démonstration de force putassière. Jamais il ne se contente d’étaler sa science. Il raconte une histoire, tient compte des conditions de son environnement et finit par livrer ce qui restera comme le tout premier film réaliste se déroulant dans l’espace (aucun son, pas d’explosions de feu dans les étoiles…). Le dosage est parfait, entre le fond et la forme. Aucun n’est dénigré au profit de l’autre. C’est tout bonnement brillant d’intelligence.

Même chose pour les acteurs. Seuls à l’écran, George Clooney et Sandra Bullock ont la lourde tâche d’exister au milieu de la technologie. Coup de bol, Cuarón est un grand directeur d’acteurs et son scénario ne les a pas oubliés. Sans vrais personnages, un film est voué à se vautrer. Gravity ne se vautre jamais.
Maîtrisant les codes du charmeur taquin qui a tout vu, Clooney est impérial. Il laisse le champs libre à Sandra Bullock. Elle que de nombreux spectateurs attendaient au tournant. Des personnes qui ne lui auraient pas pardonné de tout foutre en l’air. Investie d’une mission « ça passe ou ça casse », Sandra Bullock en profite pour fermer le clapets de ses détracteurs. Gravity lui offre le rôle de sa vie. Celui qui libère un talent souvent étouffé car cantonné à s’exprimer dans une multitude de films plus ou moins similaires. Princesse du box-office dans les années 90, reine des comédies romantiques et détentrice d’un Oscar conspué, Sandra Bullock impressionne pourtant. Tenace, charismatique, incroyablement émouvante et complètement en phase avec les intentions du long-métrage, elle met de côté le glamour et la comédie et fait des merveilles. Solide, son jeu est aussi justement nuancé et superbement dosé. Dans les étoiles, Sandra Bullock touche au sublime.
Elle est la reine d’un chef-d’œuvre incroyable. D’une expérience de cinéma unique. De celles que l’on ne vit que quelques fois et dont il faut savourer chaque instant. De celles qui nous font chavirer au point de nous happer pour nous laisser sur le carreau, le cœur dans les chaussettes, heureux et conscient d’avoir assisté à un moment primordial. Primordial et, au risque de rabâcher, jamais vu et beau à pleurer !

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Warner Bros. France