Lincoln (T8) Le Démon des Tranchées

Publié le 23 octobre 2013 par Un_amour_de_bd @un_mour_de_bd

Saint-Nazaire, juin 1917. Des navires américains débarquent des troupes sur le sol français. Après l’énorme cuite du T7, « Le Fou sur la montagne », Lincoln n’a pas eu d’autre choix que d’accompagner le mouvement. Il compte se mettre au vert et vivre de quelques petits trafics…

Scénario de Olivier Jouvray, dessin de Jérôme Jouvray, couleur d’Anne-Claire Jouvray

Public conseillé : Adultes, adolescents

Style : Humour, aventure Paru chez Paquet, le 28 août 2013


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Trafics et magouilles en tous genres

C’est sur le théâtre de la Première Guerre mondiale qu’on retrouve donc notre cow-boy cynique et mal embouché. Cheveu court, rasé de frais, il n’a que faire de l’engouement des petites françaises pour ces beaux et élégants militaires venus d’un autre continent. Non, lui, ce qui l’intéresse, c’est le business, profiter de la situation pour engranger un max de fric et se faire la malle. Déjà, pendant la traversée, il a ratissé les soldes de ceux qui ont voulu se tenter au poker. Là, sur le sol français, trafics d’alcool et de nourriture vont lui faire gagner un sacré pécule. Mais à trop jouer avec les stocks alimentaires de l’armée, il va se faire coincer les doigts dans la boîte à biscuits. En fait, c’est un brave sergent noir, Morris, qui se retrouve au trou à la place de son peu intègre ami ! Et qui en a bien à foutre d’un pauvre négro qui serait innocent ?

Entre Dieu et Diable

Toujours coincé entre Dieu et Diable, le premier essayant de mettre Lincoln sur le droit chemin quand le second fait tout pour l’en détourner,  notre héros a décidé de se mettre au vert avec son magot. Jouant finement sur une de ses rares vertus, son dégoût pour l’injustice, Dieu réussit néanmoins à le décider à faire évader Morris… et c’est là que tout va déraper. Au bout de la bonne action, Lincoln va se faire tuer et perdre son magot, ce dernier étant bien plus important que sa vie puisque notre grincheux héros est immortel. Pour retrouver son précieux pécule, Lincoln devra rejoindre le front et monter seul à l’assaut des tranchées allemandes. Tout un programme qui donne lieu à la plus hilarante scène de l’album et ce titre de « Démon des Tranchées ».


Lincoln, l’enfant sans père de la famille Jouvray

L’histoire veut que Lincoln soit né à la fin du XIXe siècle, de père inconnu et de mère prostituée. Ce sale caractère, solitaire et bagarreur, s’emmerde dans une vie morne et sans relief. C’est là que Dieu intervient, pour changer le sens de cette vie sans saveur. Il fait le pari que Lincoln, un jour, connaîtra le bonheur et lui donne aussi l’immortalité, ce qui peut aider ce gaillard à l’esprit emporté, grande gueule et qui n’aime pas avoir tort ! Un fils sans père rencontre Dieu, qui s’essaie forcément au rôle du père… voilà tout un programme !
Pour la série, Lincoln est enfant de la famille Jouvray. Olivier au scénario, Jérôme au dessin et Anne-Claire aux couleurs. Il est né en 2002 avec un premier album dont le titre est très évocateur : « Crâne de bois ». Ce détonnant personnage connait tout de suite le succès et la série reçoit de très nombreux prix entre 2003 et 2005. Depuis, Lincoln balade en « famille » son sale caractère, plutôt avec réussite, Olivier Jouvray lui donnant juste à chaque nouvelle aventure un rôle différent.  Policier, escroc, révolutionnaire, trafiquant d’alcool, maintenant militaire…

L’histoire, le dessin…

L’histoire, placée dans l’Histoire, permet à Olivier Jouvray de revenir sur cette rencontre de deux mondes, celle de ces Américains venus du pays le plus moderne du monde avec ces Français rustiques, de plus vaincus par l’Allemagne. Les beaux gosses plein de morve face aux paysans ruinés et humiliés par la guerre, et ces noirs dont tout le monde se fout et que bien peu de Français avaient alors pu croiser, et ces militaires arrogants et si peu respectueux de la chair à canon envoyée sur le front, et les tranchées… tout cela fait le sel d’un scénario bien construit, fluide, très dynamique et vivifiant. Avec cet humour décalé, parfois bien déjanté mais qui sait toujours toujours trouver l’axe original, une lumière différente pour exposer des situations que l’on croit connaître.
Le dessin de Jérôme Jouvray est toujours en progrès, beaucoup moins minimaliste qu’au début. La ligne est vive, souple, ronde, souligne l’esprit caricatural et humoristique de la série avec son air faussement naïf tout en apportant plus de détails aux décors. C’est toujours facile et plaisant de suivre Lincoln dans ses mésaventures, sans doute grâce à une intelligente construction et à la mise en couleur d’Anne-Claire Jouvray qui colle parfaitement aux situations, telle une météorologue soulignant les zones de turbulences comme les périodes d’éclaircies. Et sur ce bourbier de la Guerre 14-18, les atmosphères changeantes et très contrastées sont multiples. Seules les pages avec Dieu ne m’ont pas séduit.

Pour résumer

Ce nouveau Lincoln est un bon cru, sans atteindre des sommets. La série vit un changement de cap avec cette traversée de l’Atlantique et Lincoln fait du Lincoln, ce qui plaira aux inconditionnels mais pourra sembler insuffisant à d’autres. J’ai regretté que Dieu et Diable soient si peu présents car les dialogues de ces confrontations sont souvent très cocasses. Mais dieu a décidé de laisser à Lincoln son propre libre-arbitre.
J’ai beaucoup aimé cette traversée de l’Atlantique et la confrontation de deux mondes forts différents. Et j’ai adoré la scène où Lincoln devient le Démon des tranchées, oui, c’est vraiment très drôle.

Qu’adviendra-t-il de notre stupide cow-boy, enterré à la fin de cet opus, sans doute pour une ou deux années ? Les auteurs reconnaissent que le sale caractère de Lincoln leur pèse parfois et qu’ils ont besoin de s’en séparer afin de se ressourcer. Mais qu’ils ont chaque fois plaisir à retrouver ce fils indigne pour faire vivre à cet immortel asocial une situation nouvelle et tout à fait inédite. Allez, je fais le pari que Lincoln sera encore en Europe pour sa prochaine aventure !